Dans la majorité des cas, les infractions de nature sexuelle donnent lieu à une expertise psychiatrique systématique de la personne suspectée. Les conclusions de l’expert désigné auront des conséquences sur le jugement.
A. LES HYPOTHÈSES D’EXAMEN PSYCHIATRIQUE
[Code de procédure pénale, article 706-47-1]
Les personnes poursuivies pour l’une des infractions de nature sexuelle doivent être soumises, avant tout jugement au fond, à une expertise médicale depuis la loi du 17 juin 1998, à l’exception notable de l’exhibition sexuelle, d’une part, et du harcèlement sexuel, d’autre part.
La première exception s’explique par la volonté politique exprimée en 2003 de lutter contre l’exercice de la prostitution sur la voie publique, en pénalisant indirectement le client de la personne prostituée sous l’angle de l’exhibition sexuelle, en allégeant les exigences procédurales au stade de la poursuite et du jugement.
La seconde exception trouve sa source principalement dans l’origine de sa création, conçue initialement comme un moyen d’offrir à des salariés victimes de harcèlement de leur employeur un outil juridique leur permettant de lutter contre ce type d’agissements, le caractère sexuel n’étant en quelque sorte qu’un accessoire de l’objectif initial.
Bien évidemment, même dans ces deux hypothèses, les autorités judiciaires peuvent ordonner une telle expertise psychiatrique, laissée à leur appréciation. Il convient également de rappeler que, depuis la loi du 5 mars 2007, une expertise psychiatrique peut être rendue obligatoire dans ces deux hypothèses en raison de l’existence d’une procédure de tutelle ou de curatelle concernant la personne suspectée.
Mis à part ces deux infractions, toutes les autres infractions de nature sexuelle, et en particulier toutes les formes de viol, d’agression sexuelle, d’atteinte sexuelle, de corruption de mineur, de détention et de diffusion d’images pédopornographiques (cf. supra, chapitre I) exigent un examen psychiatrique préalablement au jugement de la personne suspectée. A défaut, la juridiction de jugement est tenue de renvoyer l’affaire et d’ordonner elle-même une expertise à cette fin, sous peine de nullité du jugement à intervenir.
La lourdeur de ce dispositif et son caractère systématique conduisent, dans la majorité des cas, à écarter la procédure de jugement en comparution immédiate. Même si aucune disposition légale ne s’y oppose, celle-ci est en effet peu compatible avec des investigations approfondies sur la personnalité du prévenu.
B. LA DÉSIGNATION ET LA MISSION DE L’EXPERT
[Code de procédure pénale, article 706-47-1]
1. SA DÉSIGNATION
L’expert peut être désigné à tous les stades de la procédure, et en particulier par le procureur de la République dès le début d’une enquête préliminaire ou de flagrance.
Cette désignation peut également résulter d’une décision du magistrat instructeur dans le cadre d’une information judiciaire, un examen psychiatrique étant en pratique systématique dans toutes les affaires criminelles, notamment en cas de viol.
Rien n’interdit la désignation d’un collège de deux ou trois experts, mais cette solution n’est réservée le plus souvent, compte tenu de la pénurie d’experts, qu’au cas où l’irresponsabilité pénale de la personne poursuivie est sérieusement envisagée.
En pratique, trois hypothèses différentes vont se présenter :
- soit l’expert intervient en urgence pendant la garde à vue, dans un temps nécessairement contraint et restreint, puisqu’une telle mesure ne peut pas excéder 48 heures. En outre, les conditions d’investigation de l’expert seront nécessairement marquées par ce cadre procédural, puisqu’il n’aura pas accès, dans la majorité des cas, à une procédure pénale largement inachevée, et sera avisé de manière informelle par l’officier de police judiciaire du contenu et de l’état de l’enquête. Enfin, les conditions matérielles d’investigations seront également spécifiques, puisque la mission expertale se déroulera, la plupart du temps, dans les locaux du commissariat de police ou de la brigade de gendarmerie, ne présentant pas nécessairement les garanties optimales de réalisation sereine d’un examen médical qui a des conséquences importantes pour la personne gardée à vue. Aussi la conférence de consensus sur l’intervention du médecin en garde à vue a-t-elle préconisé de limiter autant que possible l’intervention d’un spécialiste dans un tel cadre (1) ;
- soit l’expert intervient à l’égard d’une personne poursuivie, laissée libre à l’issue des premières investigations. Il la convoque alors sur son lieu d’exercice habituel et à la date qu’il décide, en général après avoir pu consulter la procédure pénale déjà constituée. L’expert pourra également s’entourer de tous renseignements utiles fournis, le cas échéant, par la personne poursuivie. Celle-ci peut éventuellement être réexaminée selon les diligences de l’expertise ; bien évidemment, cette hypothèse apparaît beaucoup plus favorable à un examen approfondi de la situation de l’intéressé ;
- soit l’expert se déplace en établissement pénitentiaire, en général en maison d’arrêt, dès lors que la personne n’est pas encore jugée et qu’elle a fait l’objet d’un placement en détention provisoire dans le cadre d’une information judiciaire ou par la juridiction de jugement. Les conditions d’examen sont, dès lors, soumises aux contraintes horaires et organisationnelles de l’établissement pénitentiaire, contraintes susceptibles de peser plus ou moins lourdement sur le travail de l’expert, selon le temps effectif dont il dispose et le lieu de réalisation de l’examen. Par ailleurs, l’expert peut être tenu d’examiner la personne dans un délai variable, qui peut être assez réduit, de l’ordre de un mois en pratique, dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate (2).
L’expert désigné est un psychiatre, en général inscrit sur la liste des experts établie par chaque cour d’appel, mais n’importe quel praticien spécialiste en psychiatrie peut être désigné, avec son accord, à défaut de confrère disponible, par une prestation de serment particulière.
L’organisation française de la psychiatrie fait encourir deux risques qui ne sont pas toujours évités, compte tenu de la sociologie des psychiatres.
En effet, la particulière disponibilité d’un expert peut conduire les autorités judiciaires à le désigner de manière quasi systématique dans certaines juridictions, même si la qualité des conditions et du contenu d’une telle intervention peuvent prêter le flanc à la critique, en particulier lorsqu’elle est déconnectée de la réalité d’une pratique clinique (3).
L’absence d’expert peut également conduire à désigner des spécialistes dont la connaissance de la problématique des auteurs d’infractions sexuelles peut se révéler aléatoire, induisant parfois des conclusions inappropriées au regard de la situation de la personne examinée (4).
Cette problématique, largement soulignée lors de l’audition publique organisée, courant 2007, par la Haute Autorité de santé à la suite du rapport de la Fédération française de psychiatrie sur l’expertise psychiatrique pénale n’a pas à ce jour trouvé de véritables réponses.
La personne poursuivie peut demander une nouvelle expertise, laissée à l’appréciation de l’autorité judiciaire compétente.
2. SA MISSION
Au-delà des questions classiquement posées à l’expert, sa mission porte sur deux points :
- la responsabilité pénale de la personne poursuivie, et l’existence éventuelle d’une altération ou d’une abolition de son discernement ;
- l’opportunité d’ordonner une injonction de soins, notamment dans la perspective ultérieure d’une condamnation à une peine de suivi socio-judiciaire, une telle injonction ne pouvant être ordonnée par la juridiction pénale que si l’expert a conclu à la possibilité d’un traitement.
Au-delà de ces questions classiques, l’expert est appelé à formuler un avis sur l’existence d’une pathologie psychiatrique ou de troubles du comportement, en particulier de nature psychopathique, et leur lien éventuel avec les faits reprochés à l’intéressé.
L’expert peut également selon les cas tenter de fournir des éléments susceptibles de comprendre le processus de passage à l’acte, par référence à sa formation théorique et pratique, par un raisonnement suffisamment explicite afin d’être ultérieurement discuté par les parties au procès et par la juridiction de jugement (5).
Bien évidemment, l’expert n’a pas vocation à établir la culpabilité d’une personne, entendue seule sans l’assistance d’un conseil, mais à recueillir ses explications et à répondre aux questions précitées.
La preuve étant libre en matière pénale, la tentation peut être pourtant forte pour l’autorité judiciaire d’exploiter ultérieurement les déclarations de la personne examinée dans le cadre de l’expertise, afin de compenser l’absence de preuve matérielle et d’aveux de l’intéressé dans le cadre de la procédure judiciaire.
Une telle démarche doit être utilisée avec une grande prudence : d’une part, parce qu’elle peut signer un véritable détournement de la mission d’expertise et, d’autre part, parce qu’il ne peut pas être inféré une culpabilité d’un individu du seul fait que le « portrait » dressé par l’expert correspondrait à celui d’un auteur d’infractions sexuelles, alors même qu’aucun élément de preuve déterminant n’a pu être recueilli dans le cadre judiciaire (6).
En particulier, la dénégation des faits par la personne poursuivie, susceptible de recevoir plusieurs explications psychiatriques clairement référencées, peut également résulter du fait que le prévenu n’est pas nécessairement coupable des faits dont on l’accuse.
Afin de fixer une ligne de conduite en la matière, la conférence de consensus sur la psychopathologie des auteurs d’infractions sexuelles de 2001 a préconisé de répondre systématiquement de manière négative à l’injonction de soins lorsque la personne conteste la réalité des faits dont on l’accuse (7).
Aucune disposition n’impose à l’expert de préciser la durée et le nombre d’examens de l’intéressé, ni ne fixe un plan type de l’expertise, bien que l’audition publique relative à l’expertise psychiatrique en matière pénale ait proposé un cadre de référence (8).
L’expérience révèle que le contenu des expertises psychiatriques est très variable, selon le cadre procédural d’intervention de l’expert précédemment exposé, ce qui peut dans certains cas conduire à contester la pertinence de l’avis formulé.
Les expertises psychiatriques des personnes poursuivies pour infractions sexuelles sont tarifées à 274,40 €, outre les frais de déplacement éventuels .
C. LES EFFETS DE L’EXPERTISE SUR LE JUGEMENT
[Code pénal, article 122-1 ; code de procédure pénale, articles 706-129 et suivants]
1. LES EFFETS SUR LA RESPONSABILITÉ PÉNALE
Si l’expert conclut à une abolition totale du discernement de la personne poursuivie, hypothèse de moins en moins courante, la juridiction d’instruction ou de jugement, qui se range généralement à l’avis du ou des experts, rend une décision constatant l’irresponsabilité pénale de l’intéressé.
Depuis la loi du 25 février 2008, la juridiction doit indiquer si la personne a commis les faits reprochés ; elle se prononce éventuellement sur sa responsabilité civile, en la condamnant au paiement de dommages et intérêts ; elle peut ordonner également une hospitalisation d’office, si les conditions de cette mesure sont réunies, ainsi que des mesures de sûreté pour une durée de dix ans, comme l’interdiction d’entrer en relation avec la victime, de paraître en certains lieux spécialement désignés, de détenir ou porter une arme, d’exercer une activité professionnelle ou bénévole précise dans l’exercice de laquelle ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs.
Ces mesures s’appliquent immédiatement aux personnes poursuivies, même pour des faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi du 25 février 2008 (9).
Lorsque l’expert conclut à une altération du discernement de la personne poursuivie, la juridiction doit en tenir compte lors du prononcé de la peine, mais aucune disposition n’impose à la juridiction de « réduire » la sanction qui aurait été applicable à une personne déclarée pleinement responsable de ses actes, ni à justifier spécialement sa décision sur ce point.
2. LES EFFETS SUR L’INJONCTION DE SOINS
La juridiction de jugement ne peut prononcer une injonction de soins dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire que si l’expert a conclu en ce sens, les juges ne pouvant passer outre à une conclusion négative de l’expertise sur ce point.
Toutefois, même dans ce cas, rien n’interdit aux juges de prononcer une obligation de soins, dont l’organisation procédurale et les modalités imposées à l’intéressé sont beaucoup moins contraignantes pour la personne condamnée. Une telle solution peut toutefois s’analyser en un détournement des conclusions de l’expertise.
A l’inverse, lorsque l’expert conclut à la possibilité d’un traitement, la personne condamnée à une peine de suivi socio-judiciaire est automatiquement soumise à une injonction de soins, sauf décision contraire expresse de la juridiction de jugement .
3. LES EFFETS SUR L’AMÉNAGEMENT DE LA PEINE PRIVATIVE DE LIBERTÉ
Cette expertise est communiquée à l’administration pénitentiaire en cas de condamnation à une peine privative de liberté, afin d’éclairer les praticiens intervenant en prison et de faciliter le suivi médical et psychologique, notamment dans le cadre d’un service médico-psychologique régional.
Cette expertise peut éventuellement servir de référence, lorsqu’elle a été réalisée depuis moins de deux ans, en vue d’une mesure de libération conditionnelle ou de surveillance judiciaire, afin de permettre le prononcé de l’injonction de soins, même si en pratique les magistrats désignent le plus souvent un nouvel expert à cette fin.
(1)
Fédération française de psychiatrie, rapport préc., p. 27 à 31 ; Rapport de la conférence de consensus, « Intervention du médecin auprès des personnes en garde à vue », décembre 2004.
(2)
Fédération française de psychiatrie, rapport préc., p. 62 et 63.
(3)
Fédération française de psychiatrie, rapport préc., p. 57.
(4)
Fédération française de psychiatrie, rapport préc., p. 62.
(5)
Fédération française de psychiatrie, rapport préc., p. 36 à 38.
(6)
Fédération française de psychiatrie, rapport préc. p. 56.
(7)
Fédération française de psychiatrie, conférence de consensus, « Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agressions sexuelles », 2001.
(8)
Fédération française de psychiatrie, en partenariat avec la Haute Autorité de santé, « Expertise psychiatrique pénale », Rapport de la commission d’audition, 2007, p. 50 à 55.
(9)
Crim. 16 décembre 2009, n° pourvoi 09-85153 (à paraître au Bulletin criminel), après avoir jugé le contraire, Crim. 21 janvier 2009, Bull. crim., n° 24.