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L’EXAMEN PSYCHIATRIQUE APRÈS CONDAMNATION

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[Code de procédure pénale, article 712-21]
Depuis 1994, le législateur a systématisé l’examen psychiatrique après condamnation de l’auteur d’infractions sexuelles, tout en élargissant la mission de l’expert, en particulier sur la dangerosité et le risque de récidive.


A. LES HYPOTHÈSES D’EXAMEN PSYCHIATRIQUE APRÈS CONDAMNATION



1. LE PRINCIPE

Les mesures d’individualisation de la peine privative de liberté d’une personne condamnée pour des faits de nature sexuelle doivent en principe systématiquement faire l’objet d’une expertise psychiatrique préalable, en particulier avant toute mesure de libération conditionnelle, de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de placement sous surveillance électronique, de suspension ou de fractionnement de peine, de relèvement de la période de sûreté ou encore de permission de sortir et pour les réductions de peine entraînant la libération immédiate du condamné.
Cette obligation concerne également les condamnés à une peine privative de liberté non incarcérés, dont la sanction est susceptible de faire l’objet d’un aménagement de peine dès le début de leur exécution (semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique...) .
Une expertise psychiatrique est également obligatoire en cas de prononcé d’une mesure de sûreté, qu’il s’agisse d’une surveillance judiciaire ou d’une surveillance de sûreté.
Toutes les infractions précédemment évoquées pour l’expertise psychiatrique préalable au jugement sont bien évidemment incluses dans le périmètre de cette obligation d’expertise postérieure au jugement, infractions dont la liste précise est rappelée à l’article D. 49-23 du code de procédure pénale.
La loi inclut également l’infraction d’exhibition sexuelle, à la différence du harcèlement sexuel, dans le cadre de l’expertise psychiatrique obligatoire post-condamnation, alors même qu’elle n’est que facultative avant la décision statuant sur la culpabilité et la sanction pénale.
L’expertise est réalisée par un expert, mais doit impérativement être effectuée par deux experts lorsque la personne a été condamnée pour le meurtre, l’assassinat ou le viol d’un mineur de 15 ans.
L’expertise préalable à la libération conditionnelle d’une personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité doit également être impérativement effectuée par deux experts .
Compte tenu de la lourdeur de ce dispositif procédural et de la pénurie chronique d’experts, en particulier lorsque l’établissement pénitentiaire est géographiquement isolé, le législateur a prévu un allégement particulier autorisant le juge de l’application des peines, avec l’accord du procureur de la République, par décision motivée, à ne pas ordonner une nouvelle expertise, dès lors que figure au dossier du condamné une précédente expertise, datant de moins de deux ans, y compris si celle-ci a été réalisée avant la condamnation .


2. LES DÉROGATIONS

L’expertise n’est pas obligatoire pour toutes les personnes qui bénéficient d’une réduction de peine n’entraînant pas leur libération immédiate, d’une part, et lorsqu’elles disposent d’une autorisation de sortie sous escorte, d’autre part, le risque apparaissant moins important puisque l’intéressé n’est pas libéré dans la première hypothèse, et qu’il fait l’objet d’un contrôle permanent dans la seconde .


B. LA DÉSIGNATION ET LA MISSION DE L’EXPERT

[Code de procédure pénale, articles 712-21 et D. 49-24]


1. SA DÉSIGNATION

L’expert est désigné par le juge de l’application des peines ou le tribunal d’application des peines, selon les mêmes conditions que celles de l’expertise avant jugement et avec la même rémunération.
Les juges se trouvent très régulièrement confrontés à une pénurie d’experts, en particulier lorsque l’établissement pénitentiaire est éloigné de tout centre hospitalier universitaire et difficilement accessible.
L’exigence systématique d’expertises psychiatriques préalables à la libération du condamné conduit régulièrement à allonger de manière significative les délais d’examen de la situation de l’intéressé, voire à rendre son projet de sortie caduc.


L’INSAISISSABLE NOTION DE DANGEROSITÉ

En France, la dangerosité d’une personne a toujours été intégrée par les magistrats, mais cette appréciation s’effectuait de manière le plus souvent implicite et subjective tout au long du processus pénal.
La loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales constitue une rupture majeure dans la conception classique de la dangerosité, érigée pour la première fois au rang de concept pénal juridique autonome et explicite, d’une part, et de critère majeur afin d’imposer à certains condamnés une mesure de sûreté, distincte d’une peine, d’autre part.
DEUX DÉFINITIONS : CRIMINOLOGIQUE ET PSYCHIATRIQUE
Cette notion est classiquement divisée en deux catégories : dangerosité criminologique et/ou psychiatrique. Ces deux cadres d’analyse servent à la fois pour évaluer la dangerosité, en tirer des conséquences en termes de recours à des moyens de contraintes, de traitements et de réinsertion.
Dans son acception criminologique, elle peut se définir comme « un phénomène psychosocial caractérisé par les indices révélateurs de la grande probabilité de commettre une infraction contre les personnes ou les biens » (1). L’évaluation de l’état dangereux se confond alors avec le pronostic de la commission d’une infraction voire de la réitération et de la récidive.
Quant à la dangerosité psychiatrique, elle a été définie, en 2005, par la Commission Santé-Justice présidée par Jean-François Burgelin (2) « comme un risque de passage à l’acte principalement lié à un trouble mental, et notamment au mécanisme et à la thématique de l’activité délirante ».
Et les rapporteurs d’expliquer que « la complexité de la notion de dangerosité psychiatrique trouve une illustration dans l’oscillation constante entre deux conceptions, l’une consistant à considérer l’agression comme la possible traduction d’un trouble mental et l’autre visant à reconnaître également le rôle important joué par les facteurs environnementaux ».
Le plus souvent, la dangerosité psychiatrique est significativement diminuée par une prise en charge thérapeutique régulière, médicamenteuse et psychologique.
Ce constat va à l’encontre de l’iée erronnée qu’un malade mental ne peut être guéri et demeurera dangereux, ce qui est source d’exclusion et tend à retarder le recours aux soins. Cette représentation simpliste méconnaît en réalité la multiplicité des facteurs de la dangerosité : les facteurs individuels comme les éventuels troubles psychopathologiques, la personnalité de l’auteur, son environnement social et familial, l’impact de la sanction sur son comportement, l’état de réitération ou de récidive, etc. ; les facteurs situationnels comme les circonstances du passage à l’acte, la nature de l’infraction commise, les addictions éventuelles, etc. ; les facteurs victimologiques comme son attitude à l’égard de la victime, ses liens avec celle-ci...
La pluralité de ces éléments suppose donc, pour la commission, des outils diversifiés d’évaluation.
DEUX APPROCHES D’ÉVALUATION : CLINIQUE ET ACTUARIELLES
En France, l’évaluation psychiatrique clinique est très largement privilégiée, et complétée par des évaluations pénitentiaires, ainsi que par celle d’une Commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Mais, il n’existe pas de référentiel clair et univoque pour l’appréciation de la dangerosité, laissant une trop large place à l’appréciation purement personnelle.
Afin de pallier les carences de l’évaluation purement clinique, les pays anglo-saxons recourent à des criminologues utilisant des échelles actuarielles prédictives fondées sur des cohortes de populations condamnées et suivies sur plusieurs années, et censées présenter les caractéristiques similaires à l’individu examiné.
La fiabilité tant de l’examen clinique que de l’évaluation actuarielle a été régulièrement mise en cause.
Les études internationales sur la récidive des criminels atteints de troubles mentaux et les auteurs d’infractions à caractère sexuel font apparaître une forte proportion d’individus dont la dangerosité a été surestimée (faux diagnostics positifs), de l’ordre de 65 à 85 %, ou dans une moindre mesure sous-estimée (faux diagnostics négatifs), ce qui peut être, dans un cas comme dans l’autre, lourd de conséquences. En réalité, ces outils sont élaborés dans un but de recherche et non de discrimination pénale absolue.
Par ailleurs, la dangerosité en milieu carcéral n’a pas le même sens qu’en milieu libre. Ainsi, la bonne adaptation à l’univers carcéral ne saurait être systématiquement considérée comme le gage d’une absence de dangerosité en milieu libre. De fait, des détenus présentant un pronostic élevé de récidive, comme ceux qui sont condamnés pour des infractions à caractère sexuel, peuvent avoir un bon comportement en prison sur le plan de la discipline ; inversement, la réaction à l’emprisonnement peut se traduire chez certaines personnes par un rejet des règles et de la hiérarchie pénitentiaires, attitude qui, pour autant, n’est pas forcément le signe d’une dangerosité criminologique en milieu ouvert.


2. SA MISSION

L’expert doit préciser si le condamné est susceptible de faire l’objet d’un traitement, afin de lui imposer, le cas échéant, une injonction de soins dans le cadre d’une libération conditionnelle, d’une mesure de surveillance judiciaire ou de surveillance de sûreté.
L’expert doit également se prononcer spécialement sur la dangerosité et les risques de récidive ou de commission d’une nouvelle infraction (3).
La loi du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle a ajouté une mission spécifique pour l’expertise de dangerosité préalable à la libération conditionnelle des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité. Les experts doivent désormais se prononcer non seulement sur la mise en œuvre d’une injonction de soins, mais également sur l’opportunité du recours à un traitement utilisant des médicaments inhibiteurs de libido .
Contrairement à une pratique ancienne et générale, les experts doivent donc dorénavant, pour les affaires les plus graves, se prononcer sur le contenu concret des soins et du traitement susceptibles d’être appliqués à l’intéressé.
Ces nouveaux chefs de mission posent à nouveau la question de la pertinence et des limites des expertises psychiatriques, particulièrement mises en lumière par l’audition publique relative à l’expertise psychiatrique en matière pénale.
En premier lieu, des critiques sérieuses ont été élevées sur les notions évanescentes de dangerosité, et de risque de récidive, dont les contours précis sont particulièrement difficiles à discerner (4) (cf. encadré ci-contre).
Par ailleurs, si l’expert psychiatre dispose d’une formation et d’un cadre de référence pour apprécier la dangerosité psychiatrique d’un individu, s’agissant d’une problématique similaire à la procédure d’hospitalisation sous contrainte, en revanche il paraît beaucoup moins légitime pour formuler un avis sur la dangerosité criminologique ou le risque de récidive d’un individu, relevant pour l’essentiel de connaissances étrangères à la pratique de l’art médical (5).
En outre, aucune étude française ne permet de vérifier la solidité des avis fournis dans ce cadre, mais l’expérience révèle régulièrement qu’ils doivent être pris avec prudence et précaution, en particulier lorsque l’expert ne développe pas de manière explicite les critères précis et le raisonnement l’ayant conduit à conclure à un risque avéré de récidive.
Une première recherche récente a toutefois exploré la concordance des diagnostics psychiatriques et psychologiques dans un échantillon de 505 criminels évalués entre 1990 et 2003, dont 242 pour viols simples et aggravés, en montrant l’absence de référence aux méthodes employées, l’ambiguïté du diagnostic de perversion et de perversité sexuelles ne recouvrant pas les mêmes notions selon les experts, et l’existence d’une forte proportion d’expertises ne comportant pas de diagnostic précis (6).
Ces interrogations se conjuguent à la multiplication sans fin des hypothèses d’expertises psychiatriques obligatoires et à l’existence de critères légaux de dangerosité différents selon la nature des mesures concernées.
Plusieurs pays étrangers, en particulier anglo-saxons, estiment que l’avis purement clinique n’a qu’une valeur proche du hasard, et préfèrent recourir aux échelles actuarielles fondées sur des modèles statistiques, posant également de redoutables questions sur la pertinence de l’adaptation de ces outils construits pour des catégories de population à des situations individuelles.
Tout en mettant en garde les praticiens sur les limites inhérentes à leur intervention, les auditions publiques relatives à l’expertise psychiatrique pénale et aux personnes atteintes de psychopathie recommandent de ne recourir à ces échelles actuarielles, en général non validées en langue française, qu’avec une extrême prudence et préconisent de combiner plusieurs démarches.
Dans le même état d’esprit, la mission conduite en 1996 par le Dr Claude Balier avait mis au point un questionnaire spécifique aux auteurs d’infractions sexuelles ayant pour objet de mieux cerner les contours des notions précitées.
Le condamné peut solliciter une nouvelle expertise psychiatrique, laissée à l’appréciation des juges.
Elle n’est de droit que pour les personnes susceptibles de faire l’objet d’une surveillance judiciaire pour des faits commis avant le 14 décembre 2005 .


C. LES EFFETS DE L’EXPERTISE SUR LA DÉCISION JUDICIAIRE APRÈS CONDAMNATION

Les considérations qui précèdent sont d’autant plus déterminantes que les conclusions de l’expert vont dans la plupart des cas induire la décision d’individualiser la peine ou d’imposer une mesure de sûreté.
En effet, les juges ne pourront que très difficilement passer outre à un avis négatif de l’expert à une mesure d’aménagement de peine, ou à un avis positif à la mise en œuvre d’une mesure de surveillance judiciaire ou de surveillance de sûreté.
Par ailleurs, lorsque l’expert conclut à la possibilité d’un traitement, la juridiction de l’application des peines imposera une injonction ou une obligation de soins selon les cas, dont le non-respect peut conduire au retrait ou à la révocation de la mesure accordée, et à la réincarcération du condamné.


(1)
Debuyst C., in « Rapport d’information sur le traitement de la récidive des infractions pénales », n° 1718, Assemblée nationale, juillet 2004, p. 45.


(2)
Burgelin J.-F., « Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive », Rapport de la commission Santé-Justice, juillet 2005, La Documentation Française, p. 10 et s.


(3)
Fédération française de psychiatrie, en partenariat avec la Haute Autorité de santé, « Expertise psychiatrique pénale », Rapport de la commission d’audition, 2007, p. 44 à 46.


(4)
Fédération française de psychiatrie, rapport préc., p. 47 à 50.


(5)
Fédération française de psychiatrie, rapport préc., p. 35.


(6)
Combalbert N. et autres, Revue européenne de psychologie appliquée, janvier 2009, vol . 59, n° 1, p. 9 à 15.

SECTION 1 - LA SYSTÉMATISATION DE L’EXAMEN PSYCHIATRIQUE

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