[Code civil, article 425]
Une mesure de protection juridique peut être ouverte lorsqu’une personne se trouve dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles, de nature à empêcher l’expression de sa volonté.
Dès lors, l’altération médicalement établie des facultés mentales est une condition de mise sous protection que les juges doivent apprécier, preuve à l’appui, c’est-à-dire à l’aide du certificat médical l’établissant (1). A défaut, leurs décisions encourent la cassation.
A. LES FACULTÉS MENTALES
En ce qui concerne l’appréciation de l’altération des facultés mentales, la législation antérieure évoquait trois causes limitatives : la maladie, l’infirmité et l’affaiblissement dû à l’âge. En parallèle, toute une jurisprudence s’était développée autour de cette notion. Avec la loi du 5 mars 2007, l’énumération de ces trois motifs disparaît. Mais cela ne devrait pas fondamentalement remettre en cause la jurisprudence existante.
Selon cette dernière, il y a altération des facultés mentales, par exemple, lorsque la personne :
- est atteinte de psychose maniaco-dépressive non stabilisée et tient des propos incohérents ou menaçants (2) ;
- souffre de troubles maniaco-dépressifs présentant un caractère répétitif (3) ;
- est atteinte « d’une schizophrénie paranoïde grave, avec rémission passagère du délire, [présentant] un état d’apragmatisme [la] rendant incapable de gérer son budget » (4) ;
- présente des troubles cognitifs, amnésiques et du langage (5) ;
- est dans la totale incapacité de gérer ses affaires, est illettrée, ne remplit aucun document et ne peut rédiger aucun chèque, et enfin, présente d’importants troubles de la mémoire constatés par un rapport d’expertise (6) ;
- présente une subexcitation psychomotrice avec hyperthymie (7) ;
- est atteinte de déficiences amnésiques dues à son âge et à un début d’altération de ses facultés mentales et ignore la valeur de ses biens et le montant de ses revenus et s’en remet à une personne de son entourage (8).
En outre, selon le rapporteur de la loi à l’Assemblée nationale, Emile Blessig, d’autres causes pourraient être invoquées. Tel est le cas de « la dépression ou [du] stress post-traumatique qui est défini comme un trouble mais pas toujours comme une maladie, et qui pourtant altère les facultés mentales en modifiant le discernement » (9).
En tout état de cause, l’altération seule ne suffira pas. Elle devra en effet entraîner l’impossibilité pour la personne de pourvoir seule à ses intérêts.
B. LES FACULTÉS CORPORELLES
Pour justifier une mesure de protection, l’altération des facultés corporelles, comme l’altération des facultés mentales, doit entraîner l’impossibilité pour la personne de pourvoir seule à ses intérêts. En outre, l’altération des facultés corporelles seule ne suffit pas, elle doit en effet être de nature à empêcher l’expression de la volonté.
Cette exigence était déjà posée avant la réforme de 2007 et la jurisprudence l’a confirmée à plusieurs reprises. Ainsi, par exemple, même si une personne souffre de sclérose en plaques depuis plusieurs années, « que sa maladie la prive désormais de toute autonomie, qu’elle a notamment besoin d’être aidée pour la toilette et ne peut se déplacer seule et que, selon le médecin spécialiste qui l’a examinée, elle est incapable de gérer seule ses biens et doit être conseillée ou contrôlée dans tous les actes de la vie civile », le juge doit préciser en quoi cette altération l’empêche d’exprimer sa volonté (10).
Le projet de loi initial avait envisagé d’exiger uniquement une entrave à l’expression de la volonté, mais l’Assemblée nationale lui a substitué le verbe « empêcher » « afin que l’ouverture d’une mesure de protection juridique en cas d’altération des facultés corporelles soit subordonnée à une impossibilité absolue pour la personne d’exprimer sa volonté » (11).
Il s’agit, par exemple, expliquent les rapports parlementaires, de prendre en compte la situation de personnes qui souffrent d’importantes infirmités motrices, notamment à la suite de graves accidents de la circulation routière, et qui « sont privées de l’usage de la parole mais peuvent, par le biais d’assistance technique et d’un entourage attentif, se faire comprendre et exprimer leur volonté » (12).
LA POURSUITE, L’INSTRUCTION ET LE JUGEMENT DES INFRACTIONS COMMISES PAR DES MAJEURS PROTÉGÉS
La loi du 5 mars 2007 a introduit de nouvelles règles de procédure en matière de poursuite, d’instruction et de jugement des infractions commises par des majeurs protégés. Ce faisant, le législateur a souhaité éviter une autre condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme qui, dans un arrêt du 30 janvier 2001, avait estimé que la législation française méconnaissait le droit effectif à un procès équitable, énoncé à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En l’espèce, un majeur sous curatelle n’avait pas répondu aux convocations qui lui avaient été adressées et avait fait l’objet d’un jugement réputé contradictoire pour atteintes sexuelles sur mineur de 15 ans sans que son curateur ait été informé de l’existence de la procédure pénale (13).
Sept nouveaux articles ont donc été insérés dans le code de procédure pénale et complétés par des dispositions réglementaires. L’ensemble étant applicable depuis le 26 novembre 2007. L’article 706-112 prévoit ainsi l’application de dispositions particulières lorsqu’il est établi, au cours d’une procédure pénale, que la personne majeure fait l’objet d’une mesure de protection juridique.
UN DROIT À L’INFORMATION...
L’article 706-113 énonce que, dans ce cas, le curateur ou le tuteur, ainsi que le juge des tutelles, doivent être avisés par le procureur de la République ou par le juge d’instruction, par lettre recommandée ou sous la forme d’une télécopie avec récépissé ou par un envoi adressé par un moyen de télécommunication à l’adresse électronique de l’avocat et dont il est conservé une trace écrite (C. proc. pén., art. 803-1) :
- des poursuites dont la personne fait l’objet ;
- d’une alternative aux poursuites consistant en la réparation du dommage ou en une médiation ;
- d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ;
- d’une audition comme témoin assisté.
Ces modalités d’envoi ne s’appliquent pas si le curateur ou le tuteur est auditionné comme témoin avec procès-verbal au cours de l’enquête ou de l’instruction. Dans ce cas, cette information est donnée à cette occasion. De même, en cas d’urgence, elle peut être faite par tout moyen (C. proc. pén., art. D. 47-15).
En outre, une lettre simple suffit, ou le recours aux modalités de l’article 803-1 du code de procédure pénale, pour aviser le tuteur ou le curateur de l’exécution d’une composition pénale.
Autre information à communiquer : le procureur de la République ou le juge d’instruction doit aviser, selon les mêmes modalités, le curateur ou le tuteur des décisions de non-lieu, de relaxe, d’acquittement, d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ou de condamnation dont la personne fait l’objet (C. proc. pén., art. 706-113 et D. 47-18).
... À LA COMMUNICATION DU DOSSIER...
Le curateur ou le tuteur peuvent, par ailleurs, prendre connaissance des pièces de la procédure dans les mêmes conditions que celles qui sont prévues pour la personne poursuivie. Toutefois, au cours de l’information, le tuteur ou le curateur ne peut obtenir une copie du dossier de la procédure que par l’intermédiaire de l’avocat de la personne mise en examen ou témoin assisté (C. proc. pén., art. D. 47-16, al. 1). En revanche, lorsque la personne est citée ou renvoyée devant la juridiction de jugement, ou lorsqu’il est fait application de la procédure alternative de réparation ou de médiation ou de la procédure de composition pénale, le tuteur ou le curateur a droit, à sa demande, à la copie du dossier de la procédure. Cette copie lui est délivrée gratuitement (C. proc. pén., art. D. 47-16, al. 2).
En outre, lors de la procédure de réparation, de médiation, de composition pénale, de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, la personne peut être assistée de son tuteur ou de son curateur, si celui-ci est présent, lorsqu’elle comparaît devant le procureur de la République, son délégué ou son médiateur, ou devant le magistrat du siège chargé de valider ou d’homologuer la procédure (C. proc. pén., art. D. 47-17).
... ET UN DROIT DE VISITE EN CAS DE DÉTENTION PROVISOIRE
Le tuteur et le curateur bénéficient par ailleurs de plein droit d’un permis de visite si la personne protégée est placée en détention provisoire. Par exception, le magistrat saisi du dossier de l’information peut refuser de délivrer ce permis de visite ou le retirer si cette personne est la victime de l’infraction ou s’il existe des raisons plausibles de présumer qu’elle est coauteur ou complice de l’infraction (C. proc. pén., art. D. 47-19).
L’OBLIGATION D’ÊTRE ASSISTÉ D’UN AVOCAT
Le majeur protégé poursuivi doit toujours être assisté par un avocat. Si lui ou son curateur ou son tuteur, n’en choisit pas, le procureur de la République ou le juge d’instruction en fait désigner un par le bâtonnier, l’intéressé étant informé que les frais seront à sa charge, sauf s’il remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle (C. proc. pén., art. 706-116).
Lorsque, en appel, la chambre des appels correctionnels constate que le prévenu a été jugé sans être assisté par un avocat, son président en fait désigner un par le bâtonnier, l’intéressé étant de nouveau informé que les frais sont à sa charge, sauf s’il remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle. La chambre renvoie ensuite l’affaire à une audience ultérieure à laquelle le prévenu sera assisté par un avocat, puis annule le jugement, reprend toutes les questions à traiter, même celles qui ne sont pas abordées par les premiers juges et statue sur le fond (C. proc. pén., art. D. 47-26).
L’INFORMATION SUR L’AUDIENCE
Le curateur, ou le tuteur, est ensuite avisé de la date d’audience (C. proc. pén., art. 706-113). Cette obligation s’impose uniquement en matière correctionnelle et criminelle, ainsi que pour les contraventions de la cinquième classe. Le ministère public doit alors aviser les intéressés de la date et de l’objet de l’audience par lettre recommandée ou, selon les modalités prévues par l’article 803-1 du code de procédure pénale, dix jours au moins avant la date de l’audience.
Lorsqu’il est présent à l’audience, le curateur, ou le tuteur, doit être entendu par la juridiction en qualité de témoin. A cet effet, il doit en principe prêter serment. N’ont toutefois pas à prêter serment le père, la mère ou tout autre ascendant du prévenu ou de l’un des prévenus présents et impliqués dans la même affaire, le fils, la fille ou tout autre descendant, les frères et sœurs, les alliés aux mêmes degrés, le mari ou la femme, y compris après le divorce, la partie civile et les enfants de moins de 16 ans (C. proc. pén., art. 335 et 448). Les intéressés n’ont pas besoin de se retirer dans une chambre du Palais de justice et de n’en sortir que pour déposer, comme c’est la règle habituellement. Les dispositions des articles 325 et 436 du code de procédure pénale ne sont, en effet, pas applicables (C. proc. pén., art. D. 47-20).
UNE EXPERTISE MÉDICALE AVANT TOUT JUGEMENT SUR LE FOND
La personne poursuivie doit être soumise avant tout jugement au fond à une expertise médicale (C. proc. pén., art. 706-115). Cette dernière a pour objet de déterminer si l’intéressé était ou non atteint au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement ou ayant aboli ou entravé le contrôle de ses actes, afin de permettre à la juridiction saisie d’appliquer les dispositions de l’article 122-1 du code pénal sur l’irresponsabilité pénale.
La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime.
Lorsqu’une information est ouverte, et notamment en matière criminelle, une expertise psychiatrique est ordonnée consistant notamment en un examen médical et psychologique (C. proc. pén., art. 81). Cette expertise peut être ordonnée dès le stade de l’enquête par le procureur de la République (C. proc. pén., art. D. 47-21). Elle est facultative (C. proc. pén., art. D. 47-22) :
- en cas de procédure d’alternative aux poursuites consistant en la réparation du dommage ou en une médiation ;
- en cas de composition pénale ;
- lorsque la personne est entendue comme témoin assisté ;
- lorsqu’il est fait application de la procédure d’ordonnance pénale ;
- en cas de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
En outre, en matière correctionnelle, le juge d’instruction ou le président du tribunal correctionnel peut, par ordonnance motivée qui peut être prise en même temps que l’ordonnance de règlement ou par jugement motivé qui peut être joint au jugement sur le fond en certaines circonstances et sauf opposition de la personne mise en examen ou du prévenu et de son avocat, dire qu’il n’y a pas lieu de soumettre l’intéressé à une expertise. Il en est ainsi lorsqu’il découle des éléments issus de la procédure civile ayant conduit à la mise en œuvre de la mesure de protection juridique, et notamment des certificats médicaux ou des expertises y figurant, des indications suffisantes pour apprécier si l’intéressé était ou non atteint au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement ou ayant aboli ou entravé le contrôle de ses actes. Ces éléments sont versés au dossier de la procédure pénale à la demande du ministère public, du juge d’instruction ou du tribunal correctionnel (C. proc. pén., art. D. 47-23).
Cette expertise peut être confiée à un expert psychiatre ou à un médecin spécialiste figurant sur la liste des médecins habilités à rédiger les certificats médicaux permettant l’ouverture d’une mesure de protection juridique (C. civ., art. 431). Ils sont alors rémunérés conformément aux dispositions de l’article R. 117, 9° du code de procédure pénale (C. proc. pén., art. D. 47-24). Lorsque, en cas d’appel, la chambre des appels correctionnels constate que le prévenu a été jugé sans que l’expertise ait été réalisée, hors les cas où elle est facultative ou a été jugée inutile, elle ordonne qu’il soit procédé à cette expertise.
La chambre renvoie alors l’affaire à une audience ultérieure, puis, au vu du résultat de l’expertise, annule le jugement, évoque et statue sur le fond (C. proc. pén., art. D. 47-25).
LE CURATEUR OU LE TUTEUR COMPLICE OU VICTIME
S’il existe des raisons plausibles de présumer que le curateur ou le tuteur est coauteur ou complice de l’infraction, et faute de subrogé curateur ou de subrogé tuteur, le procureur de la République ou le juge d’instruction demande au juge des tutelles la désignation d’un tuteur ou d’un curateur ad hoc. Il en est de même si le tuteur ou le curateur est victime de l’infraction. A défaut, le président du tribunal de grande instance désigne un représentant ad hoc pour assister la personne au cours de la procédure pénale (C. proc. pén., art. 706-114).
LE MAJEUR PROTÉGÉ PLACÉ SOUS SAUVEGARDE DE JUSTICE
Lorsque le majeur protégé fait l’objet d’une mesure de sauvegarde de justice, le procureur de la République ou le juge d’instruction avise le juge des tutelles des poursuites le concernant. Le magistrat peut alors désigner un mandataire spécial qui dispose, au cours de la procédure, des prérogatives confiées au curateur ou au tuteur par l’article 706-113 (cf. ci-dessus). Ces prérogatives sont également reconnues au mandataire de protection future (C. proc. pén., art. 706-117).
[Code de procédure pénale, articles 706-112 à 706-118 et D. 47-15 à D. 47-26]
(1)
Cass. civ. 1re, 5 novembre 2008, requête n° 07-17907, accessible sur www.legifrance.gouv.fr
(2)
Cass. civ. 1re, 20 juillet 1988, requête n° 87-12784, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(3)
Cass. civ. 1re, 17 mars 1992, requête n° 89-21844, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(4)
Cass. civ. 1re, 5 mai 1993, requête n° 91-17068, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(5)
Cass. civ. 1re, 3 juin 1998, requête n° 95-21966, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(6)
Cass. civ. 1re, 24 septembre 2008, requête n° 07-16002, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(7)
Cass. civ. 1re, 19 mars 2008, requête n° 06-20238, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(8)
Cass. civ. 1re, 24 septembre 2008, requête n° 07-15984, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(9)
Rap. A.N. n° 3557, Blessig, janvier 2007, p. 127.
(10)
Cass. civ. 1re, 17 octobre 2007, requête n° 06-14155, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(11)
Rap. A.N. n° 3557, Blessig, janvier 2007, p. 129.
(12)
Rap. Sén. n° 212, de Richemont, février 2007, p. 118.
(13)
CEDH, 30 janvier 2001, affaire Vaudelle contre France, requête n° 35683/97, disponible sur www.echr.coe.int.