ASH : Quels sont aujourd’hui les grands besoins du secteur sanitaire, social et médico-social en matière de formation ?
Jean-Pierre Delfino : Le sujet ne se pose plus vraiment en ces termes. Aujourd’hui, le recrutement est devenu la problématique numéro 1 de nos adhérents. Les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux cherchent à attirer et fidéliser les professionnels qualifiés. Les dispositifs de formation, d’alternance et de professionnalisation constituent un moyen de les aider à faire venir ces salariés, mais aussi de permettre à ces derniers de monter en compétences et ainsi d’assurer leur évolution professionnelle au sein d’une même filière d’activité – le cas classique étant celui de l’ASH (agent des services hospitaliers) recruté sans qualification qui se forme pour devenir aide-soignant, puis infirmier – et, souvent, au sein d’un même établissement ou d’une même association car, dans notre secteur, les emplois restent encore très territorialisés.
De toutes les attentes de nos adhérents, celle du recrutement est devenue la principale. C'est une nouveauté depuis la création de l'Opco Santé en 2019. La demande d’accompagnement de la montée en compétences reste bien présente mais comprend, désormais, un enjeu crucial de fidélisation des salariés en poste. C’est pour cela que nous avons déployé une forte activité en faveur de l’alternance, ce qui n’était pas dans notre culture auparavant. En 2022, nous avions organisé une série de grands rendez-vous avec les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux de notre périmètre autour de l’alternance comme vecteur de recrutement. Et cette thématique sera encore à notre agenda pour 2024.
La loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » de 2018 a réservé les fonds mutualisés aux seules entreprises de moins de 50 salariés. Comment les établissements adhérents de votre Opco se sont-ils adaptés ?
Notre situation est un peu particulière par rapport aux autres Opco puisque nous couvrons un champ où, traditionnellement, les salariés se forment beaucoup. Selon les derniers chiffres de 2022, 534 000 salariés sont entrés en formation cette année-là, soit près d’un sur deux dans notre périmètre. Il n’y a qu’en 2020 où ce taux a été exceptionnellement bas avec 315 000 salariés formés seulement. Cela n’a rien de surprenant au vu du contexte de l’époque : plus de 90 % de nos adhérents appartiennent à la branche des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux privés à but non lucratif (soit le périmètre de l'ex-Opca Unifaf avant 2019, rejoint depuis par la branche de l'hospitalisation privée) et, lors de cette année marquée par le Covid, ils étaient en première ligne face à la pandémie avec d’autres priorités que la formation. Nous sommes d’ailleurs revenus à la normale dès l’année suivante avec 510 000 entrées en formation.
L’autre spécificité de l’Opco Santé, c’est que nos adhérents sont très majoritairement des établissements de grande taille. Nous ne représentons que 1,3 % des employeurs de moins de 50 salariés en France et la proportion des petites structures est donc très faible dans notre périmètre. Pourtant, malgré ce nombre réduit, l’activité formative y est intense puisque 55 % des salariés de ces établissements de petite taille ont pu accéder à la formation en 2022. Sans les accords de branches de nos partenaires sociaux qui ont mis en place des politiques particulièrement pro-actives de versements conventionnels et volontaires à destination des petits employeurs, nous ne pourrions pas assurer ce niveau de financement.
Quel est le montant des fonds gérés par l’Opco Santé ?
En 2022, ils s’élevaient à 645 millions d’euros, portés en grande partie par le développement de l’alternance. Et en la matière, nous partions de très loin puisque l’apprentissage était, jusqu’à la réforme de 2018, peu utilisé dans nos filières. A titre d’illustration, nous recensions, à la création de l’Opco, environ 1 500 contrats d’apprentissage en tout et pour tout. Et encore concernaient-ils essentiellement des fonctions supports. Notamment les métiers de l’hôtellerie et de la restauration que l’on trouve dans les établissements de soins. En quatre ans, ce nombre est monté à 17 500 contrats ! Cela peut paraître peu par rapport à d’autres Opco qui gèrent, eux, plus de 100 000 contrats, mais cela prouve que l’apprentissage s’installe doucement chez nous alors qu’il était encore inexistant il y a quatre ans. Le changement n’a pas été simple : nos établissements avaient la culture de l’accueil des stagiaires, mais pas de celui des apprentis, ce qui est plus exigeant en matière de tutorat et d’accompagnement, mais ils ont su répondre aux nouvelles exigences. L’offre de formation s’est également adaptée, et aujourd’hui, il est possible d’accéder par l’alternance à des qualifications très recherchées par nos adhérents comme le diplôme d’aide-soignant (DEAS), le diplôme d’Etat d’accompagnant éducatif et social (DEAES) ou le diplôme d’Etat d’infirmier (DEI). Toutefois, il existe encore des angles morts dans ce développement de l’alternance puisqu’il a bien pris dans les grandes et moyennes structures, mais ce n’est pas le cas dans celles de moins de 50 salariés et encore moins dans celles de moins de 11. Ce sera l’un de nos sujets majeurs de réflexion cette année.
Les deux coups de rabot de 2022 et 2023 sur le montant des niveaux de prise en charge financière des contrats d’apprentissage ont-ils eu des conséquences sur le développement de l’alternance ?
Certains de nos secteurs en ont beaucoup souffert. Je pense notamment aux diplômes d’aides-soignants, l’un de nos cœurs de métiers, qui ont connu une baisse de leur niveau de prise en charge de 13 %. Il est possible qu’il ait eu une surestimation initiale des coûts-contrats par les branches en 2020. Lorsqu’elles ont élaboré les premiers niveaux de prise en charge, l’apprentissage était un phénomène émergent chez nous. Tous les établissements n’avaient pas encore basculé dans l’alternance et le coût réel d’un diplôme en apprentissage était encore difficile à déterminer. Or il est nécessaire de prendre en compte la complexité de certains diplômes et les surcoûts que cela peut entraîner pour les centres de formation. Par exemple, la préparation d’un diplôme d’aide-soignant exige le contact avec plusieurs catégories de publics, de la petite enfance au grand âge. Si l’apprenti fait son alternance dans un grand établissement qui comprend tous ces services, cela ne pose aucun problème et n’entraîne aucun surcoût. Mais s’il le fait dans un Ehpad, c’est différent. Le centre de formation doit lui permettre d’exercer des stages de longue durée chez plusieurs employeurs afin de pouvoir tenir compte des exigences associées au diplôme. Je plaide pour que la détermination des coûts-contrats tienne compte de cette complexité particulière à ces métiers. Sans quoi, les centres de formation risquent de délaisser les apprentis au profit des étudiants venus de la formation initiale. Ce serait une perte étant donné le nombre de gens qui utilisent l’alternance dans le cadre d’une reconversion professionnelle.
Justement, l’apprentissage ne s’est-il pas développé au détriment de l’autre type d’alternance, le contrat de professionnalisation ?
Le contrat de professionnalisation continue à se développer. Nous en avons financé 2 000 en 2021, 2 500 en 2022. Je caricature un peu, mais dans d’autres branches que les nôtres, c’est un contrat destiné à ceux qui ont raté leur entrée en formation dans leur 26e année. Chez nous, c’est davantage un dispositif utilisé par des demandeurs d’emploi âgés de 30, 35, 40, voire 45 ans, à la recherche d’une seconde partie de carrière. D’ailleurs, nous avions signé un accord avec Pôle emploi (aujourd’hui France travail) dans le cadre des préparations opérationnelles à l’emploi collectives (POEC) et utilisons le contrat de professionnalisation en sortie de ces périodes pour les plus de 26 ans. Dans nos secteurs, les deux contrats – apprentissage et professionnalisation – ont leur place et leur public.
L’instauration annoncée d’un reste à charge sur l’usage du CPF risque-t-il de pénaliser les salariés du périmètre de l’Opco Santé ?
Le compte personnel de formation (CPF) n’est pas un outil très utilisé chez nous. Il faut dire qu’il est peu adapté à l’achat de formations pour nos secteurs qui correspondent généralement à des cursus longs et coûteux. D’ailleurs, les branches de l’associatif – celles qui se trouvent aujourd’hui dans le périmètre d’Axess correspondant aux périmètres des fédérations Nexem, Fehap et Unicancer – ont signé un accord permettant aux salariés de co-investir leur CPF avec leur employeur pour leur faciliter l’accès à ces formations dans le cadre des plans de développement des compétences des entreprises. Nous travaillons d’ailleurs sur ces solutions de co-abondements avec la Caisse des dépôts et consignations (gestionnaire du CPF, ndlr) pour faciliter leur financement.
Le passage du congé individuel de formation (CIF) au projet de transition professionnelle (PTP) a-t-il impacté les salariés de vos secteurs ?
Le CIF était un dispositif bien installé depuis 40 ans. Le PTP est un objet un peu différent et surtout moins financé. Dans nos secteurs, du fait du coût élevé des formations, la transition entre les deux s’est traduite par une baisse des recours au PTP par rapport à l’ancien CIF. C’est pour cela que nous avons signé en 2021 un partenariat avec Certif Pro (la tête de réseau des associations « Transitions Pro » [ATP] chargées du PTP) pour développer un modèle de financement singulier pour les formations d’infirmiers en trois ans. Dans ce schéma, les ATP prennent en charge la première année de formation sur leurs fonds propres et l’Opco les deux années restantes dans le cadre de la Pro-A. C’est acrobatique, mais cela garantit au salarié qui se lance dans un changement de carrière d’avoir sa formation pluriannuelle entièrement financée.