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Christine Chognot, docteure en sociologie : “Le sens est la motivation essentielle dans les associations”

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Christine Chognot vient de publier Le sens de l’action dans les associations (éd. érès), un livre issu de sa thèse.

Crédit photo DR
Les associations peuvent être un outil de transformation sociale. A condition que les valeurs de solidarité qu’elles défendent soient au rendez-vous et qu’elles ne soient pas oubliées des politiques publiques, affirme cette spécialiste du secteur.

Pourquoi posez-vous la question du sens dans les associations ?

Pour rédiger ma thèse de sociologie, j’ai rencontré des directeurs d’associations, des administrateurs, des salariés et des bénévoles vraiment combattifs et très motivés. Ils se battent pour trouver des solutions concrètes avec une fibre humaine et une force de l’engagement qui les poussent à aller dans la même direction. Quand les acteurs de terrain parlent de solidarité autour d’un projet, comme la défense du développement durable, par exemple, les vieux militants sont souvent en connivence avec les jeunes directeurs, car cela leur rappelle ce pourquoi ils se mobilisaient dans les années 1970. Mais on ne saisit l’intelligence collective que lorsqu’on a des repères appropriés, qui ne sont pas ceux du management classique. Si on considère, comme ces dernières années, que les associations sont des entreprises comme les autres, et que l’on occulte leur spécificité, cela ne fonctionne pas. J’ai étudié à HEC et je sais vers quelle gestion pure et dure on essaie de les pousser, sans faire référence aux valeurs et au projet commun qui est leur vocation première. Une telle logique conduit à l’installation d’une relation de service marchand.

 

Quelle est la place du tissu associatif en France ?

Les associations sont une composante massive de la société mais très méconnue. On ne reconnaît que les associations de quartier, et encore ! L’ignorance de l’action associative est colossale par rapport à son importance. Je suis sidérée par ce phénomène et je me demande ce que l’on pourrait faire pour qu’on parle enfin du tiers-secteur dans le débat public, les médias, etc. Les élites, les décideurs, les cadres font comme si ce dernier n’existait pas. Il serait souhaitable de leur enseigner un minimum de culture sociale. Ce qui fait vivre un quartier, c’est une MJC, un centre social, des associations mais toute cette richesse est écrasée sous une chape de plomb. Toutefois, le secteur associatif présente une grande diversité. Sur les 1 500 000 associations actives en France, 24,2 % relèvent du domaine du sport, 21,4 % des loisirs, 23 % de la culture, 11,5 % de la défense des droits et des causes, 10 % de l’action sociale et de la santé. Le reste concerne l’éducation, la formation et l’insertion, l’action caritative, la gestion des services économiques et du développement local. Celles qui gèrent plus de 500 000 euros annuels ne représentent que 1,3 % des associations et les emplois salariés sont concentrés dans les plus grandes.

 

Quelles sont les raisons de l’engagement aujourd’hui ?

Pour les salariés, les bénévoles, les administrateurs, le sens est la motivation essentielle. Les valeurs humanistes, solidaires, l’intérêt général sont un terreau. Le problème est que celui-ci est presque devenu tabou. Aujourd’hui, quand vous êtes chef de service, conseiller technique dans une association, on vous demande d’être efficace. On peut même déclarer que les valeurs ne regardent pas les salariés mais seulement le conseil d’administration. C’est paradoxal. Une association a de la vitalité parce qu’il y a des individus engagés. Certains salariés sont déçus parce qu’ils sont cantonnés à être des exécutants sans pouvoir participer à la gouvernance ou parce que les projets sur lesquels ils se sont investis ne sont pas retenus. Ils croient trouver du sens et ils font face à du management qui exige de laisser son humanité et ses émotions au placard. C’est parfois très violent, car ils ne s’attendent pas à entendre parler de taux marché, de concurrence, de domination de l’autre… On assiste cependant à un retour de la question du sens en ce moment. Un certain nombre de responsables retrouvent une capacité à orienter leur association en s’appuyant sur l’engagement de tous.

 

Cela donne-t-il des résultats ?

C’est difficile, il faut que les acteurs soient très déterminés pour que la « mayonnaise » prenne et qu’elle soit structurante. Et quand bien même arriveraient-ils à créer une dynamique, ils ont besoin d’une reconnaissance et, ensuite, d’un soutien financier. Dans l’aide à domicile, par exemple, les administrateurs et les personnels luttent comme des lions, mais on les maltraite depuis des décennies en leur demandant d’industrialiser le secteur, d’être compétitif… Même si l’on a toutes les vertus du monde, il y a des politiques publiques sans lesquelles il est impossible d’avancer. En attendant, je crois à la logique du colibri et à plein de petites actions qui émergent d’en bas. Chaque association peut agir à l’échelle d’un territoire pour faire bouger les lignes. En réalité, l’action collective n’est pas aussi marginale qu’elle l’était il y a dix ou vingt ans. Des initiatives citoyennes remarquables, des chercheurs et des militants passionnants existent, mais on en parle peu.

 

Pour autant, l’entrepreneuriat social n’est-il pas en train de prendre le pas sur les associations ?

Ce courant de pensée, triomphant au moment de la loi sur l’économie sociale et solidaire (ESS) en 2014, est un peu dépassé. Les positions mûrissent et des effets de balancier se produisent. Certaines associations s’inspirent de l’entreprenariat social mais sans caricaturer en négatif le modèle associatif. A l’inverse, des entrepreneurs sociaux se rendent compte que le monde associatif a aussi ces entrepreneurs modernes et qu’il peut être performant. Il suffit de regarder une association qui trace sa route pour se rendre compte qu’elle n’a pas attendu la loi « ESS » pour s’interroger sur sa raison d’être, car c’est son socle. Actuellement, on est plutôt dans une espèce d’hybridation réciproque des deux modèles. C’est d’autant plus intéressant qu’à la lueur de la crise sanitaire, on a une autre lecture de l’utilité sociale. On espère juste que les associations ne soient pas sollicitées en dépannage pendant l’épidémie pour être oubliées ensuite. La période est très difficile mais la démarche prospective humaniste sur laquelle je travaille consiste à considérer que l’on est collectivement responsable de la société à construire. Dans une association, on peut s’impliquer dans la transformation sociale, pas uniquement dans la gestion d’une activité. Cela revient à ne pas déconnecter le monde de demain de l’action au quotidien. Le ciment n’est pas juste le projet formel tel qu’il a été élaboré mais le sens commun. Tout le monde ne décide pas de tout dans une association. Mais quand les salariés sont maltraités faute de moyens suffisants ou d’une politique de qualité, cela fait contresens.

 

Ce constat est également valable pour les entreprises privées ou publiques…

Bien sûr, sauf que les associations affichent des valeurs altruistes. Quand l’évidence du sens est bafouée, l’effet boomerang peut être très destructeur aussi bien sur les personnes accompagnées que sur les travailleurs sociaux, les aidants, les bénévoles… C’est un travail d’assumer ses valeurs mais c’est aussi très stimulant. Beaucoup de choses ont été construites à contre-courant dans l’action sociale.

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