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Absentéisme : face au coronavirus, un enjeu vital

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avis d'arrêt de travail

Photo d'illustration.

Crédit photo herreneck - stock.adobe.com
Le manque de professionnels sociaux et médico-sociaux est renforcé par la crise sanitaire. Plus ou moins selon les régions et les types d’établissements. Mais le flou de la conjoncture se conjugue avec les problèmes structurels déjà connus et vient singulièrement compliquer la vie des ESMS et de leurs salariés. Ici et là, quelques solutions émergent.

 

Jusqu’à 30 %, c’est le taux d’absentéisme auquel certains établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) se voient ponctuellement confrontés. Comme dans ce foyer pour adultes lyonnais géré par APF France handicap : « La difficulté tient à ce que la situation est très mouvante, commente Jérôme Colrat, directeur régional Auvergne-Rhône-Alpes de l’association. A l’absentéisme classique s’ajoutent les effets collatéraux du Covid-19. » Et d’énumérer les fermetures de classes, les situations de cas contact, les contaminations. A l’opposé, Marie-Laure de Guardia, présidente du Gepso (Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux) estime être moins confrontée à l’absentéisme qu’avant l’été : « Le gouvernement a bien compris le nécessaire équilibre entre la continuité du service public, la santé de tous et l’accompagnement des personnes », argumente-t-elle.

Une différence d’appréciation, et de vécu, qui, plus qu’une contradiction, traduit un difficile chiffrage du taux d’absentéisme, et de grandes inégalités entre territoires et selon les types d’établissement. « Mesurer une moyenne ne veut rien dire, prévient Prosper Teboul, directeur général d’APF France handicap. Certains établissements sont revenus à la quasi-normale, tandis que d’autres doivent encore fonctionner avec 25 % d’effectifs absents. » Certaines régions sont particulièrement touchées, l’Ile-de-France, les Hauts-de-France et l’Auvergne-Rhône-Alpes, par exemple, pour ce qui est d’APF France handicap. Un absentéisme qui frappe plus durement les établissements médicalisés pour adultes (foyers d’accueil médicalisé, maisons d’accueil spécialisées…) précise son directeur général. De son côté, Jean-Pierre Riso, président de la Fnadepa (Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées), fait observer que certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) affrontent jusqu’à 50 % de personnels manquants.

Nombre de responsables soulignent que le « flou » et le caractère nécessairement évolutif des consignes sanitaires renforcent l’absentéisme et sa grande imprévisibilité. D’une part, ils doivent s’adapter à la variabilité des interprétations des consignes, à l’extérieur de leur établissement. Ainsi, selon que les écoles choisissent ou non de fermer une ou plusieurs classes en cas de contamination ou de cas contacts par exemple, leurs personnels médico-sociaux, qui sont par ailleurs parents d’élèves, risquent de s’absenter plus ou moins souvent et plus ou moins longtemps. D’autre part, au sein même des établissements médico-sociaux, une part est laissée à l’interprétation. « Selon les consignes que nous avons reçues la semaine dernière, note Guillaume Pelletier, directeur général de l’Apei Chambéry (Association de parents d’enfants inadaptés), les cas contacts asymptomatiques doivent rester à domicile sauf si l’employeur ne peut pas faire autrement. Cette petite phrase vient d’être ajoutée, alors que l’on sait que les mesures-barrières fonctionnent dans ce cas de figure. » Il observe par ailleurs que la définition du cas contact a elle aussi évolué. Il ne s’agit plus d’avoir croisé une personne malade, mais d’avoir passé avec elle 20 minutes à moins de deux mètres sans port du masque. Enfin, les consignes qui s’appliquent aux soignants dans le secteur sanitaire ne se retrouvent pas nécessairement valables dans le secteur médico-social ou, à tout le moins, pour certains personnels, comme les auxiliaires de vie, qui ne sont pas considérés comme des personnels soignants. « Tous ces flous rendent l’exercice très complexe », résume Jérôme Colrat

 

Les effets pervers du Ségur de la santé

Au flou des consignes s’ajoutent des délais d’attente parfois longs, jusqu’à neuf jours dans certaines régions, pour le résultat des tests. De quoi rendre peu utile le raccourcissement de 14 à 7 jours de la durée d’isolement des salariés concernés.

Les avis sont donc partagés, sur la question de savoir si la gestion des ressources humaines s’avère plus ou moins complexe cet automne qu’au printemps dernier. Mais en tout cas, selon Jean-Pierre Riso, « entre ces deux phases, trop peu a été fait pour rassurer les professionnels et repartir sur des bases plus saines ».

Car parmi les causes de l’absentéisme, tous pointent la fatigue, l’épuisement. Ou encore le contexte anxiogène, certains salariés témoignant d’une peur de sortir de chez eux. « On doit aussi affronter l’irrationnel », explique Jérôme Colrat, qui souligne l’importance de rassurer les professionnels, tout en soulignant que les discours contradictoires ont rendu la parole difficilement audible.

Autre source d’absentéisme conjoncturelle, en particulier parmi les aides à domicile : depuis cette année, le concours d’aide-soignant a été supprimé et nombre de ces professionnels quittent leurs fonctions pour suivre cette formation. Les meilleurs d’entre eux, complète Jean-Marc Lucien, directeur de l’ADMR Meurthe-et-Moselle, veulent exercer un métier perçu comme plus noble : « On a applaudi les soignants pendant le confinement. Pas les aides à domicile. »

Et certains professionnels ont été revalorisés par le Ségur de la santé, d’autres pas. « Ce “Ségur” témoigne d’un mépris du secteur du handicap », enrage Guillaume Pelletier. Il déplore que seuls les professionnels hospitaliers aient été revalorisés, et a comptabilisé déjà trois départs d’infirmières en un mois vers le secteur médicalisé. De leur côté, les Ehpad associatifs déplorent aussi une fuite de main-d’œuvre. Pour tous, il est urgent de revaloriser l’ensemble de ces métiers et d’aplanir les inégalités préexistantes, largement renforcées par le « Ségur ».

D’autant que, si la crise sanitaire renforce l’absentéisme de façon différenciée selon les régions et les types d’établissements, tous s’accordent en revanche sur ce constat : la pénurie de main-d’œuvre prend largement sa source dans un contexte structurel. Au point de faire dire à Jean-Marc Lucien que le Covid-19 est un « épiphénomène » en matière de manque de personnel.

 

Mesures d’attente et solutions de long terme

Faiblesse des rémunérations, importance du nombre d’accidents du travail, personnes accompagnées de plus en plus dépendantes… Le diagnostic du manque d’attractivité des professions d’aide à la personne n’est pas neuf. Mais continue de causer des difficultés compliquées par l’actuelle crise sanitaire. Ainsi Guillaume Pelletier conserve-t-il, depuis deux ans, dix à 20 postes vacants sur 400 équivalents temps plein répartis dans les 18 ESMS sous sa responsabilité. Même constat au sein des Ehpad, où Jean-Pierre Riso explique que les établissements doivent recourir à de nombreux « faisant fonction », qui ne restent pas longtemps au sein des effectifs. « Auparavant, cela nous posait des questions de qualité des accompagnements ; aujourd’hui, il y a des enjeux de sécurité », s’inquiète Guillaume Pelletier.

Face à une situation si tendue, les professionnels imaginent nombre de solutions. Il y a d’abord des mesures que l’on pourrait qualifier d’« attente », comme le refus de nouvelles admissions dans certains Ehpad alors qu’ils ont des places. Ou la gestion des priorités entre les services rendus à la personne qui pourra être remise en place par l’ADMR, même si pour l’heure Laurence Jacquon, sa directrice adjointe, se félicite de ne pas encore y recourir, comme cela avait dû être fait pendant le confinement : « Nous avons appris à le faire ce printemps, nous sommes prêts si cela devenait à nouveau nécessaire. » Même état d’esprit à la direction régionale Auvergne-Rhône-Alpes d’APF France handicap, où chacun réactive ses plans de continuité d’activité, avec la mise en place de « modes dégradés » en cas d’absentéisme de 30 à 40 % des personnels, le recours à l’intérim et, s’il fallait, la suspension de certaines activités.

Puisque la crise semble s’installer dans la durée, des solutions de plus long terme germent aussi : « Nous avons besoin d’assouplissements, notamment pour réaffecter des personnels en interne, il nous faut par exemple des mesures ponctuelles de déplafonnement des heures supplémentaires, explique Prosper Teboul. Le dispositif RH du ministère de la Santé doit être renforcé, et s’ouvrir à de plus nombreux professionnels de l’accompagnement. Les conditions d’utilisation de la plateforme doivent être simplifiées pour les candidats. Les crèches et les écoles doivent accueillir à nouveau prioritairement les enfants de nos professionnels. Et à l’échelle territoriale, entre associations, nous devons développer les mises à disposition de professionnels. »

En dépit de la créativité des responsables et professionnels du secteur social et médico-social, nombreux sont ceux qui redoutent les semaines à venir, lorsque, en particulier, la grippe pourrait joindre ses effets à ceux du coronavirus. Au-delà, « cette crise vampirise notre capacité à penser et à nous projeter dans d’autres projets qui seraient pourtant très intéressants », conclut Jérôme Colrat.

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