L’article 30 de la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (dite loi « ASV ») a créé au sein du code de l’action sociale et des familles (CASF) un article L. 331-8-1 élevant au rang législatif l’obligation de signalement prévue par la circulaire du 20 février 2014 relative au renforcement de la lutte contre la maltraitance et au développement de la bientraitance des personnes âgées et des personnes handicapées dans les établissements et services médico-sociaux (ESMS) relevant de la compétence des agences régionales de santé (ARS). Aux termes de cet article, les « établissements et services et les lieux de vie et d’accueil informent sans délai », dans les conditions prévues aux articles R. 331-8 à R. 331-10 du CASF, leurs autorités de tutelle, « de tout dysfonctionnement grave dans leur gestion ou leur organisation susceptible d’affecter la prise en charge des usagers, leur accompagnement ou le respect de leurs droits et de tout événement ayant pour effet de menacer ou de compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes prises en charge ou accompagnées ».
L’arrêté du 28 décembre 2016 a précisé le dispositif en dressant la liste des dysfonctionnements graves et des événements dont les autorités administratives compétentes doivent être informées et le contenu de cette information. Dans son annexe, il mentionne à titre d’exemple, parmi les « accident[s] ou incident[s] lié[s] à une erreur ou à un défaut de soin ou de surveillance », la commission d’une erreur dans la distribution de médicaments, la délivrance d’un traitement inadapté, un retard dans la prise en charge ou le traitement apporté.
Or une erreur dans la distribution de médicaments par des personnels non habilités survenant dans un contexte de dysfonctionnement d’un Ehpad (aides-soignantes non titulaires du diplôme d’Etat requis, recours important à un personnel intérimaire, manque de personnel) peut-elle à juste titre être qualifiée d’accident ?
Lorsque les besoins actionnariaux déterminent l’organisation des soins, c’est la dichotomie entre maltraitance et accident qui doit être repensée.
Le contentieux prud’hommal documente les conditions de travail dans les ESMS et, au travers d’elles, les circonstances de la survenance des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS). L’étude de ce contentieux fait apparaître qu’en rapportant la maltraitance au contexte général qui l’a produite, le juge fait obstacle à ce que l’employeur individualise une affaire qui trouve sa cause dans des anomalies structurelles. Par ailleurs, certains événements, quoique qualifiés d’accidents, s’apparentent davantage à de la maltraitance une fois établie leur généalogie matérielle. Si la notion d’accident sert parfois à faire diversion, se pose alors la question du recours à la qualification juridique comme instrument d’exclusion de la maltraitance.
>>> Notre dossier sur la maltraitance des personnes vulnérables
1. Que disent la loi et la jurisprudence ?
2. La qualification de la maltraitance
L’ESSENTIEL
> Pour qualifier un acte de maltraitance, les juges du contentieux peuvent s’appuyer sur la définition donnée par le Conseil de l’Europe, la Charte des droits et libertés de la personne accueillie, la Charte des droits et libertés des personnes âgées dépendantes et la Commission nationale de lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance.
> Les jugements ordinaires rendus par les juridictions prud’homales sont une source documentaire importante de la définition matérielle de la maltraitance.
> La maltraitance est habituellement considérée comme un fait individuel, l’acte d’un salarié sur une personne vulnérable. Sans interroger le positionnement de l’employeur et les conditions de travail.
> Par une lecture tronquée de la généalogie matérielle des faits, un événement peut être juridiquement qualifié d’« accident ».
> Par l’omission du cadre social dans lequel ils s’inscrivent, certains événements peuvent être juridiquement qualifiés d’accident et non de maltraitance.