La lettre qui suit a été rédigée à l’occasion d’une formation au bénéfice des assistantes sociales des patients d’un hôpital psychiatrique. Elle est fondée sur des faits réels, à quelques détails près. Les références aux articles de loi ont été actualisées. Il ne s’agit pas d’un modèle, mais plutôt d’un exemple. En général, ceux proposés par des organismes de défense des consommateurs rappellent le droit. Les avocats y ajoutent la menace du procès (bien légale, comme vous le verrez après lecture de la lettre). Nous l’avons agrémentée d’un développement à propos des réseaux sociaux.
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Madame, Monsieur,
Le (date), un démarcheur de votre société s’est rendu à mon domicile et s’est introduit chez moi dès que j’avais entrebâillé la porte. Il tenait absolument à me vendre un lot de produits prétendument phytothérapiques, dont je n’ai aucun besoin. Je lui ai demandé de partir et lui ai dit que j’étais malade. Je lui ai même montré mes médicaments et lui ai demandé de cesser de me harceler, mais cela a décuplé son ardeur.
Il est resté au moins une demi-heure. Il m’a promis que son lot de produits aurait un impact immédiat sur mon état, bien supérieur à celui de mes médicaments. Je n’en pouvais plus et j’ai fini par lui signer un bon de commande et lui faire un chèque de 285 €, sans même voir qu’il y en avait pour 2 850 €. Il m’a dit qu’il antidaterait le contrat, ce qui me permettrait d’être livré dans deux jours au lieu de deux semaines.
J’ai demandé une consultation à l’assistante sociale de mon hôpital, qui m’a expliqué à quel point ces agissements sont graves et passibles de lourdes sanctions pénales :
•contrat antidaté et perception d’argent avant l’expiration du délai de rétractation : pratique sanctionnée de deux ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende (code de la consommation [C. Consom.], art. L. 242-5) ;
• abus de faiblesse dans le cadre du démarchage visé à l’article L. 121.8 du code de la consommation : pratique santionnée de trois ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende (C. Consom., art. L.132-14) ;
• abus de faiblesse sur une personne vulnérable : profiter de la faiblesse d’une personne dont vous connaissiez la pathologie psychique est passible de trois ans de prison et 375 000 € d’amende (code pénal, art. 223-15-2) ;
• harcèlement : comportements nuisibles répétés, punis d’un à deux ans d’emprisonnement et de 15 000 € à 30 000 € (code pénal, art. 222-33-2-2) ; • pratiques commerciales agressives (visées aux articles L. 121-6 et L. 121-7 du code de la consommation) : sanctionnées de deux ans de prison et 300 000 € d’amende ou 10 % du chiffre d’affaires, auxquelles s’ajoutent l’affichage, la publication ou diffusion du jugement (C. Consom., art. L. 132-11 à L. 132-12).
>>> Sur le même sujet : Le secret professionnel dans le cadre de la citation à comparaître
A défaut d’annulation du contrat et de remboursement intégral sous huitaine, je n’aurais d’autre solution que :
• de déposer plainte à votre encontre entre les mains de Monsieur le Procureur de la République pour abus de faiblesse sur personne vulnérable, abus de faiblesse dans le cadre d’un démarchage, et non-respect des obligations liées au démarchage, aux pratiques commerciales agressives et au harcèlement ;
• d’adresser copie de ma plainte, puis du jugement à intervenir, aux associations de consommateurs, aux magazines qu’ils éditent (Que Choisir, 60 millions de consommateurs…) et à la DGCCRF (répression des fraudes) ;
• de témoigner de mon expérience sur Internet et notamment sur les réseaux sociaux, évitant ainsi à d’autres de subir les mêmes déboires. J’y publierai même le futur jugement.
En espérant que vous saurez éviter une telle issue, croyez, Madame, Monsieur, en ma totale détermination. A toutes fins utiles, j’ai déposé une demande d’aide juridictionnelle pour bénéficier des services d’un avocat.
Signature
Dans une large mesure, tout cela n’est que bluff : si la plainte n’était pas classée sans suite, le procès qui attendrait la victime serait long, parfois coûteux, et son issue incertaine. La défense du consommateur consiste à résister à l’escroquerie, tout en évitant le procès.
La méthode est transposable à d’innombrables situations :
- description objective et chronologique des faits ;
- références juridiques (loi et/ou jurisprudence) ;
- indication des suites judiciaires qui seraient données (plainte, assignation...) ;
- mention d’information de tiers (répression des fraudes, réseaux sociaux…)
Nous attirons votre attention sur le fait que, dans sa lettre, la victime n’accuse pas directement le démarcheur d’être un délinquant, mais laisse seulement entendre que ses agissements sont susceptibles de constituer des infractions pénales. La prudence recommanderait de ne publier sur les réseaux sociaux que le jugement, afin d’éviter toute accusation de diffamation. Un jugement que l’on espère ne jamais connaître, puisque le but de la démarche est de convaincre le contradicteur sans avoir recours à la justice.
Si la lettre est adressée par un travailleur social (avec les éventuelles réserves relatives au secret professionnel), il devra éviter de porter des accusations sur des faits qui lui ont été rapportés. A cet effet, il indiquera « le patient ou l’usager m’indique que… » et « ces faits sont de nature à constituer les délits suivants… ».
Ici, le travailleur social intervient en tant qu’écrivain public. Il informera préalablement l’usager qu’il met en forme et qualifie juridiquement ses propos, sous sa responsabilité (en pratique, il ne risque rien, l’article 1141 du code civil disposant que : « La menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif. »).
>>> Sur le même sujet : L’assistante sociale du travail face aux risques psychosociaux