"Votre silence à notre cri d'alarme est un mépris pour les personnes contraintes de vivre à la rue et pour le monde médico-social à bout de souffle". Après leur recours gracieux resté lettre morte, c'est dans ces termes sans équivoque, que les maires de Rennes, Bordeaux, Strasbourg, Lyon et Grenoble ont déposé leur recours contentieux contre l'Etat, pointant ses graves défaillances en matière d’hébergement d’urgence.
"Des réponses fortes avaient été apportées par l’Etat pendant la crise sanitaire". C'est par ces paroles que Jeanne Barseghian, maire écologiste de Strasbourg, a introduit, ce vendredi 15 février, la visio conférence des maires de Rennes, Bordeaux, Strasbourg, Lyon et Grenoble contre l'État. Mais le miracle du "quoi qu'il en coûte" n'a pas duré. Depuis la sortie de la pandémie, ces maires de gauche dénoncent la fin des plans Grand Froid et les remises à la rue qui se multiplient : "Nous arrivons au bout de nos capacités pour pallier les carences du chef de l’Etat", écrivent-ils dans un courrier adressé le même jour au Président de la République.
Des recours indemnitaires contentieux près des tribunaux administratifs ont donc été déposés depuis le 15 février par les maires des cinq villes de gauche, demandant à l'Etat le remboursement des moyens financiers engagés par leur collectivité pour héberger les personnes sans-abris.
Cité dans le courrier envoyé au président, le récent rapport de la Fondation Abbé Pierre met en effet en lumière l'aggravation de la crise du logement et de l'hébergement d'urgence en France. Des chiffres alarmants : 330 000 personnes sans domicile fixe, parmi lesquelles près de 3 000 enfants sans abri à travers le pays. "Le Ministre Vergriete avait annoncé, le jour du dernier remaniement ministériel, une enveloppe de 120 millions d’euros supplémentaires pour l’hébergement d’urgence et la volonté de se coordonner avec les collectivités locales et les acteurs de terrain, écrivent les maires. Nous souhaitons que cet engagement soit poursuivi par le Ministre Kasbarian."
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David Travers, adjoint à la maire de Rennes délégué à la solidarité, parle "d'un engagement vicéral de la maire, Nathalie Appéré (PS), qui a soutenu l'ouverture de dispositifs de mise à l'abri, exclusivement à la charge de la collectivité, et pour lesquels 3 millions d'euros sont consacrés chaque année par le CCAS et la Métropole. Car il est simplement intolérable pour nous d'avoir des personnes à la rue. Et d'autant plus intolérable lorsqu'il s'agit d'enfants".
A Bordeaux où "La situation des SDF se dégrade d'années en années" , le maire écologiste Pierre Hurmic demande également à l'État de rembourser 130.000 euros que la mairie a payé de sa poche pour offrir des nuits d'hôtels à des sans-abris et ouvrir la salle municipale Gouffrand (entre décembre 2020 et décembre 2023).
Hébergement d'Urgence : une compétence non assumée de l'Etat
"L'Etat s'est mis à poser ces dernières années une conditionnalité à l'hébergement d'urgence, et par conséquent une exclusion partielle voire totale des personnes sans droit ni titre, dénonce David Travers. Il rappelle qu'encore récemment, le Conseil Constitutionnel "a retoqué l'une des dispositions de la loi immigration qui proposait des conditions d'accès à l'hébergement d'urgence".
"Nous demandons des comptes à l'Etat, explique l'élu. Et puisqu'il ne prend pas la mesure de la situation, à défaut qu'il ne s'en saisisse lui-même, nous demandons qu'il nous rembourse ce que financent nos collectivités pour mobiliser des places d'hébergement d'urgence, en hôtels ou encore dans des bâtiments privés que nous louons".
Dès 2014, cette mission du CCAS rennais, appelée historiquement "Mission mise à l'abri" a commencé : "Nous pensons l'accès à un hébergement, mais favorisons aussi l'accès aux transports, à la culture, et à l'apprentissage du français. 820 personnes dont 28 enfants sont actuellement accueillis, auxquelles s'ajoutent les 300 personnes pour lesquelles nous co-finançons des places au sein de structures associatives. Nous travaillons la reconnaissance de ces personnes que nous considérons pleinement comme citoyens rennais", souligne David Travers.
"Pourtant, l'Etat a montré sa capacité à mettre en oeuvre des solutions, observe-t-il. Il a pu le faire pour offrir, ou peréniser des places d'hébergement pour les personnes sans domicile lors de la crise sanitaire, mais aussi, pour l'accueil des réfugiés ukrainiens, ce, sans conditionnalité".
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"Alors pourquoi le système national reste-t-il aujourd’hui sous-dimensionné ? Pourquoi tant d’appels au 115 restent-ils sans réponse ?" lit-on dans la lettre. En effet, les chiffres officiels du Ministère de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales révèlent que près de 40% des appels au numéro d'urgence 115, destiné aux sans-abri, restent sans réponse.
Cette réalité traduit un système qualifié d' "indigne, inadapté, insuffisant" par les cinq maires plaignants et quinze autres maires (de Paris à Bourges en passant par Villeurbanne) , également signataires de la missive adressée au Président de la République.
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Rennes a déployé depuis dix ans 1000 places d'hébergements d'urgence sur ses propres financements, à l'instar de villes comme Bordeaux, Strasbourg, Lyon, et Grenoble. "La mise en demeure de l'Etat aura une action politique forte et syntone. Nous attendons une réponse réelle concernant la vie à la rue qui relève de sa compétence", espère l'adjoint délégué à la solidarité.
Avec des chances de succès ? Il y a un précédent. En 2018, la maire socialiste de Nantes, Johanna Rolland, avait réclamé un remboursement de 7 millions d'euros à l'Etat, somme consacrée par la ville à l'hébergement d'urgence de 703 migrants évacués du square Daviais. Edouard Philippe, Premier ministre, s'était alors opposé à cette demande, estimant "ces dépenses comme étant un choix libre et assumé des municipalités". 3 millions d'euros sur les 7 ont finalement été obtenus.
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