Les trois quarts des élèves inscrits en Section d’enseignement général et professionnel adapté (segpa), qui accueille des enfants ayant d’importantes et persistantes difficultés scolaires, sont issus de familles défavorisées. Les élèves pauvres sont aussi surreprésentés chez les jeunes porteurs de handicap et donc, au sein des unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) ou des instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (Itep). Des enfants empruntant bien souvent, avec ces filières spécialisées, le chemin suivi par leurs parents avant eux.
Pour éviter que ne se reproduisent sans fin ce type de ségrégations et faire en sorte que ces surreprésentations ne soient plus une fatalité, ATD quart monde a lancé en 2017 une recherche-action qui a débouché sur un programme mis en place dans des écoles et collèges volontaires. Son nom : « Choisir l’inclusion pour éviter la ségrégation » (Cipes).
L’expérimentation a débuté en septembre 2019 dans une vingtaine d’établissements. En dépit de la crise de Covid-19, qui a épuisé quelques équipes, il reste encore 15 écoles et collèges impliqués. Tous ou presque ont terminé la première étape, la réalisation d’un état des lieux. Pour l’établir, les enseignants ont accueilli des observateurs, des chercheurs et parents pauvres qui ont aussi mené des entretiens avec les élèves, directeurs, professeurs… De quoi travailler sur les représentations de la grande pauvreté et bâtir un projet pédagogique débarrassé de préjugés.
« Inégalités naturalisées »
Non sans difficulté : « Nous avons pu observer nombre d’inégalités naturalisées, inconscientes, indique Dominique Lahanier-Reuter, responsable de l’équipe de chercheurs. Un enseignant pouvait refuser de répondre à un élève de Segpa sur ce qu’est un hectomètre, au motif que c’était trop compliqué pour lui. Résultat : cet élève, qui avait fini son exercice de mathématiques avant les autres a passé vingt minutes sans plus rien faire ni demander. »
Compilés et retravaillés, les rapports ont été transmis anonymisés aux écoles. Charge à elles de les utiliser pour améliorer le suivi des enfants en situation de précarité. Dans cinq ans, un nouvel état des lieux évaluera les pratiques et mesurera le chemin parcouru.
Pour accompagner les établissements dans ce processus, une dizaine de chercheurs se sont portés volontaires. Comme Catherine Hurtig-Delattre, qui apprécie que les chercheurs ne se positionnent pas en surplomb : « C’est un travail collaboratif. J’interviens au sein d’une école déjà très dynamique. J’aide juste les équipes à prendre du recul. »
Pour l’heure, outre le retard dû à la crise sanitaire, les limites du projet tiennent surtout au fait que les écoles appliquent moins les recommandations qu’elles ne travaillent des axes qui leur sont plus familiers, comme la création de classes multiniveaux en maternelle. Elles gagneraient pourtant à ne pas se limiter aux approches éducatives et à s’emparer d’autres sujets liés aux représentations de la grande précarité. Intégrer des professionnels non éducatifs, comme des assistants sociaux, offrirait un croisement de regards fécond.