Une cuisine, un lit, une salle de bain… Et une penderie ! Tout sauf un détail pour cette femme de 45 ans qui aura passé deux ans sans domicile fixe. « A la rue, on ne peut pas garder de vêtements. Ils deviennent sales et on finit par les jeter au bout de 3-4 jours. Maintenant, je suis propre sur moi. » Tatiana se réjouit d’avoir intégré, à l’automne 2024, le nouveau centre d’hébergement géré par Aurore.
>>> A lire aussi : Les 4 changements à amorcer pour éradiquer le sans-abrisme
Conçu pour répondre aux problématiques des personnes en situation de grande exclusion, il se distingue d’abord, sur le plan architectural. Le bâtiment, édifié hors site en habitat modulaire pour favoriser une sortie de terre rapide, est l’héritier des Algeco installés dès 2019 dans le cadre d’une mise à l’abri hivernale. Au fil du temps et des publics accueillis, l’habitat, malgré sa précarité, a révélé un intérêt : celui de ne pas être trop enfermant pour des personnes qui n’ont connu que la rue depuis de nombreuses années.
L’actuel bâti, dépourvu de couloirs, source de tensions potentielles, s’en inspire. Il comporte 50 studios de 19 m2 chacun, répartis en neuf maisons autour d’une venelle centrale, un rez-de-chaussée et un étage avec accès direct sur l’extérieur, des espaces partagés – cuisine, salles d’activités, tiers lieu – et ouverts sur le quartier. « C’est un projet à la frontière du dedans et du dehors », résume Fabien Belliarde, directeur de territoire chez Aurore.
>>> Sur le même sujet : Sans-abrisme : les accueils de jour franciliens dépassés
Le projet se caractérise également par la souplesse de l’accueil. Les résidents peuvent aller et venir à toute heure, avec autant d’animaux qu’ils le souhaitent. Leur durée de séjour est illimitée. Et aucun parcours ne leur est imposé.
Aller vers
Dans une logique d’aller vers, les personnes accueillies ne sont pas orientées par le service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO), mais par les maraudes du Samu social et les accueils de jour. « Le seul endroit où ces personnes viennent encore, justifie Adrien Palumbo, chef de service du centre. Contrairement à d’autres lieux, ici, plus on a de galères, plus on a de chances d’être acceptées. »
>>> Pour compléter : A Nantes, les 5 Ponts permettent l’inclusion des personnes démunies
Une dizaine de professionnels accompagnent au quotidien les résidents. Cinq travailleurs sociaux, trois sur l’accompagnement administratif et deux sur la médiation et animation. « On fait de l’aller vers en permanence, en essayant d’anticiper, de sentir l’état d’esprit et de santé mentale des uns et des autres pour éviter que ça dérape, explique Emeric Gindre, l’un des médiateurs. On travaille aussi avec les gens de l’extérieur. Qui dit toxicomanie, dit business, avec des personnes qui essayent de racketter les résidents. »
Plus rare, une infirmière est également présente sur site. Un poste important pour prendre en compte notamment les problématiques d’addiction, à l’origine tant de troubles psychiques que somatiques. « Je fais un pas de côté pour accéder aux personnes, à la manière d’une médiatrice en santé, en les aidant sur des bricoles, pour créer du lien et faire en sorte de pouvoir les accompagner sur leur parcours de soin », explique l’infirmière Sonya Jendoubi.
>>> Sur le même sujet : A Nantes, La Rivière accueille des femmes sans abri
A contrario, les travailleurs sociaux savent, eux aussi, dépasser leurs fonctions habituelles. « On est multifonctionnels et les résidents le sentent », reconnaît Emeric Gindre. Confronté à la violence des corps abîmés par la drogue, il explique avoir souvent lavé les résidents. « On prend soin, on écoute, avec de la patience et une certaine capacité à prendre sur soi », poursuit le médiateur, qui a perçu un réel « apaisement » chez certains d'entre eux. « Des gens qui étaient incapables de tenir un studio hier, s’estimant hors-jeu, l’occupe très bien aujourd’hui. »
Une ouverture sur le quartier
Autour des professionnels permanents, Aurore a créé une multitude de partenariats : avec des structures spécialisées dans les addictions (Csapa, Caarud), dans l’aide à domicile (Adar 44), dans la psychiatrie (ELPP du CHU de Nantes), dans le soin aux animaux (Vétérinaire pour tous), etc.
Le projet, surtout, se veut ouvert sur le quartier. « On souhaite proposer des événements qui attirer des gens de l’extérieur. Créer un lieu culturel où les voisins se disent : il se passe des choses ici », explique Adrien Palumbo. Ouvert aussi à la création artistique. Depuis mars, iokanaan, artiste protéiforme nantais, accompagne huit résidents : « Le projet a commencé par une expression écrite. Puis, chacun a choisi le média qui le touche le plus pour créer une œuvre à partir de son récit de vie. » Une manière de mettre sur le devant de la scène des personnes jusque-là invisibilisées.
>>> A lire aussi : Troubles psychiques : un guide pratique pour l’insertion des personnes sans abri (HAS)
Le centre d’hébergement, né dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt « Grands marginaux », lancé en 2021 par l’Etat, s’inscrit dans un projet plus vaste. Il comprend « trois ilôts », qui donne son nom à l’ensemble : le centre d’hébergement donc, mais aussi 18 places en tiny house gérées par l’association Trajet et 10 en appartement avec accompagnement renforcé, développées par Les Eaux vives.