Lieux de vie, parcours de vie, projets de vie, conseil de vie sociale… les fondements sur lesquels reposent l’accompagnement des personnes accueillies dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux sont remplis de vie. Mais de mort, très peu. Les thèmes du décès et du deuil ne font en effet généralement pas partie du cahier des charges des professionnels de l’intervention sociale. Ils s’invitent pourtant dans leurs pratiques. En silence, des travailleurs sociaux, plus nombreux qu’on ne le croit, se retrouvent acteurs malgré eux de moments d’existence où s’entremêlent leurs angoisses personnelles, les besoins des usagers concernés et les enjeux sociétaux et légaux qu’implique la fin de vie, sans y avoir été suffisamment préparés. « Beaucoup se plaignent de ne pas avoir signé pour cela. C’est que, pendant longtemps, les personnes en fin de vie étaient transférées à l’hôpital. Mais, aujourd’hui, à l’heure où l’on favorise le maintien à domicile, la question de la fin de vie et de la mort est devenue centrale : il est impossible de l’éluder », analyse Laurence Hardy, sociologue et formatrice spécialiste de cet accompagnement pour l’organisme de formation Askoria.
Bien qu’essentielle, cette question n’en est pas moins extrêmement complexe. En divers lieux, le tabou de la mort reste vivace, et le sujet encore délicat à évoquer collectivement. Assumer d’accompagner une personne à l’approche de sa disparition est une démarche qui nécessite compétences, éthique et retenue. Au-delà des considérations matérielles, sa mise en œuvre doit être abordée dans une perspective globale, pour que chaque intervenant envisage ce moment aussi sereinement que possible, et offre une fin digne aux personnes accompagnées. C’est pourquoi, de plus en plus de structures proposent à leurs salariés de bénéficier de formations dédiées. Celles-ci, d’une durée de quelques jours généralement, visent à améliorer la prise en charge des professionnels durant cette période et à préserver leur propre bien-être, tout en appréhendant les besoins et attentes des personnes concernées. « Dans les formations initiales, on n’en parle pas. Dans les établissement non plus, faute de savoir comment faire. L’idée de ces formations est d’anticiper », résume Jennifer Lucas, éducatrice spécialisée devenue conseillère funéraire(1).
Premier apport de ces formations : rappeler le cadre législatif relatif à la fin de vie. Ainsi, la loi « Leonetti » de 2005 fait obligation aux structures médico-sociales d’avoir un volet soins palliatifs dans leurs projets de vie. Et en 2016, la loi « Claeys-Leonetti » crée de nouveaux droits en faveur des personnes en fin de vie et revalorise les directives anticipées. « Tous les professionnels ne sont pas au courant de ces directives. C’est pourtant un droit auquel tout adulte peut prétendre : indiquer à l’avance ses souhaits concernant sa fin de vie et ses préférences en matière de soins dans l’éventualité où il ne serait plus en capacité de s’exprimer », souligne Marie-Thérèse Guay-Schmitz, formatrice pour APF Formation. Dans les structures accueillant des personnes vulnérables, en particulier quand elles ont des difficultés à communiquer, il convient de rendre accessibles ces directives et de les adapter autant que possible à la compréhension de ces personnes. « Durant mes formations, je m’appuie beaucoup sur les jeux de rôle et les mises en situation. Mais il est aussi possible d’utiliser des pictogrammes ou des photos », poursuit Marie-Thérèse Guay-Schmitz.
Autre impératif, trouver le moment adéquat pour en parler. Particulièrement avec les personnes en situation de handicap, avec qui le sujet doit être évoqué à un âge où cette problématique n’est pas encore inévitable. La question ne doit pas être abordée trop tôt, à l’admission notamment. Elle peut être discutée à l’occasion de l’élaboration du projet personnalisé ou lorsque l’état de santé se dégrade. Pour sa part, Laurence Hardy estime le timing idéal autour de la quarantaine. « Cela laisse le temps de refuser d’y répondre la première fois parce qu’on n’est pas prêt. Peut-être le sera-t-on la deuxième ou la troisième fois. D’où l’importance de réinterroger régulièrement car les positions peuvent évoluer avec l’âge », recommande la sociologue, co-autrice du livret Osons parler de la mort.
Mais l’intégration de la culture palliative dans le travail social n’est possible que si la question a fait l’objet d’une réponse institutionnelle préalable. S’appuyer sur un cadre auquel les personnels peuvent se référer dès que nécessaire rassure. Par ce biais, toutes les questions pratiques qui se posent après la mort notamment peuvent être formalisées. Que faire si le décès survient la nuit ? Qui prévenir si cela se passe un week-end ? Qui pour l’annoncer à la famille ? Que faire s’il n’y a pas de famille ? Faut-il mettre en place un rituel commun à l’établissement ? L’intérêt n’est pas de calquer un modèle unique, qui peut ne pas correspondre aux besoins de certains résidents, mais d’offrir un soutien aux travailleurs sociaux. De plus, des personnes ressources, sensibilisées à ces questions, peuvent être identifiées à l’intérieur de la structure. « Cela évite la précipitation ou les oublis car la mort n’est pas sans conséquences pour les professionnels eux-mêmes », signale Laurence Hardy. En effet, la mort reste un événement qui peut réveiller en chacun des interrogations existentielles profondes et réactiver des blessures qui entrent en résonance avec son histoire personnelle. Au cours des formations qu’elle propose, Marie-Thérèse Guay-Schmitz invite donc les participants à réfléchir à leur propre rapport à la mort et au deuil. « Il ne faut pas hésiter à se faire accompagner par un psychologue en interne, ou par celui de l’équipe mobile de soins palliatifs. Il existe aussi des réseaux de soutien, tels que l’association Empreinte ou l’association Vivre son deuil, qui mettent en place des suivis de deuil pour les proches comme pour les professionnels », renseigne l’intervenante pour APF formation.
L’enjeu ? Alerter les travailleurs sociaux à propos de la probable survenue d’une avalanche d’émotions qui pourrait entraver leur posture professionnelle. Et ainsi leur permettre d’être en capacité de les reconnaître et de les mettre à distance afin de se préserver. Une étape d’autant plus nécessaire qu’ils peuvent avoir à faire face et à accompagner les répercussions chez les autres usagers. En interne, cette dimension doit donc avoir été discutée en amont afin d’élaborer des pratiques aidant à cheminer dans ce travail de deuil. « Dans les Hauts-de-France, j’ai travaillé avec une MAS [maison d’accueil spécialisée] qui, en souvenir des personnes décédées, avait planté un arbre sur lequel les résidents pouvaient suspendre un objet pour le défunt. Certains y venaient aussi pour se recueillir de façon régulière », relate Marie-Thérèse Guay-Schmitz. Derrière ce rituel dont la forme peut varier selon les endroits, l’idée est d’offrir un moyen de « dire au revoir » aux disparus. Il fait office d’antidote pour les vivants confrontés à la disparition d’une personne qui a parfois été accompagnée dans la même structure pendant de nombreuses années.
1. Comprendre le cadre législatif et réglementaire relatif à la fin de vie.
2. Mieux connaître les besoins spécifiques des personnes (physiques, psychologiques, sociaux, spirituels).
3. Savoir appréhender les notions de mort et de souffrance.
4. Repérer les freins, individuels et collectifs, pouvant générer de la tension.
5. Identifier les étapes du processus de deuil.
6. Construire des outils et des partenariats pour penser l’accompagnement à la fin de vie dans une structure.
7. Elaborer des directives matérielles en cas de décès dans la structure (préparation du trousseau, délai d’exposition du corps, lien avec les services funéraires, cérémonie d’adieu, pratiques de recueillement et de mémoire).
« Ce n’est pas rien, un décès, surtout s’il est brutal. Cela peut être compliqué à vivre pour un professionnel. Il faut aussi savoir en parler avec les personnes les plus vulnérables. Pour cela, il faut avoir réfléchi seul et collectivement en amont afin d’appréhender cette situation de façon apaisée individuellement et en équipe. »
Jennifer Lucas, éducatrice spécialisée et conseillère funéraire.
(1) Lire sa tribune « Etablissements : parler de la mort, c’est vital », dans ASH n° 3320, p. 80 et sur ash.tm.fr, lien : bit.ly/4fqfd7w.