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Protéger contre vents et marées

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Les professionnels qui accompagnent les MNA se trouvent pris en étau entre des considérations politico-économiques et le poids de la crise de la protection de l’enfance. Autant de contraintes qui empiètent sur les droits rattachés à leur minorité.

Taxés de « délinquants », volontiers instrumentalisés par certains médias et partis politiques, discrédités par des départements qui ne reconnaissent pas toujours à leur égard le principe de présomption de minorité… Les mineurs non accompagnés (MNA), ces enfants et adolescents migrants arrivés seuls sur le territoire, semblent être devenus, au fil des faits divers et des coupes budgétaires, la cause de tous les maux. Une figure repoussoir bien « pratique », quand 81 % des quelque 400 000 jeunes protégés par l’aide sociale à l’enfance (ASE) ne sont pas des MNA.

Oscillant entre ceux qui voudraient cantonner le débat aux questions migratoires et les travailleurs sociaux qui œuvrent, coûte que coûte, au titre de la protection de l’enfance, leur accompagnement se heurte à une succession d’obstacles. Dont celui du statut juridique. Les textes sont pourtant clairs : depuis 1982, la Convention internationale des droits de l’enfant, par le biais des services de protection de l’enfance, impose aux départements la responsabilité « de mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger leur santé, leur sécurité et leur moralité ». Institués par le code de l’action sociale et des familles, ces principes sont universels.

Une protection à deux vitesses

Une inconditionnalité de l’accueil biaisée, en premier lieu, par le mode de financement de leur prise en charge. « Fondées sur un modèle d’appels d’offres, les structures d’accueil pour MNA appliquent la même logique que celle opérée dans le champ de l’asile », pointe Olivier Peyroux, sociologue et codirecteur de l’association Trajectoires, qui vient en aide aux personnes exilées. « C’est un marché. Par exemple, la sélection pour la protection s’opère sur la base d’un récit et fait suite à des appels à projet ouverts par les départements, auxquels répondent des opérateurs. » Résultat : les crédits attribués sont minimes et les standards de la protection de l’enfance, de fait, négligés. Pour preuve, les prix de journée alloués aux structures accueillant des MNA sont souvent nettement inférieurs à ceux des établissements qui protègent les mineurs dont les familles résident en France, telles les maisons d’accueil à caractère social (Mecs). Une réalité qui pose d’emblée des inégalités de traitement entre mineurs protégés. Et ce, malgré des enveloppes débloquées chaque année par l’Etat, au regard du nombre supplémentaire de MNA pris en charge. Par exemple, pour 5 000 jeunes de plus à accompagner en 2023, le montant s’est élevé à 31,94 millions d’euros, ce qui correspond à un financement de 6 000 € par personne pour seulement 75 % des jeunes accueillis.

Une distinction épinglée par plusieurs associations(1) dans le rapport « Mettre fin aux violations des droits des mineurs isolés » (février 2023), qui listait 90 propositions liées aux libertés fondamentales, au repérage ou à la prise en charge des MNA. Plus d’un an plus tard, rien n’a changé. « Nous ne comprenons pas ce qui justifie les moindres coûts de cet accueil spécifique », indique Egidia Pichon-Leng, cheffe de projets protection de l’enfance et MNA à la fondation Apprentis d’Auteuil. « Nous sommes face à des jeunes qui ont de réels besoins d’accompagnement en matière de santé physique et mentale, de quotidien, de cours de français langue étrangère ou encore d’insertion vers la citoyenneté. Aujourd’hui, ils sont pourtant davantage perçus comme un fardeau que comme des enfants que le droit nous demande de protéger. »

Les professionnels doivent non seulement composer un suivi sur mesure, épousant les multiples vulnérabilités des MNA, mais également garder à l’esprit l’enjeu de leur régularisation. Celle-ci étant fondée sur une contractualisation (voir encadré ci-contre). Alors que leur arrêt est pourtant prévu par la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi « Taquet », les mises à l’abri en hôtel persistent. Sans compter le fait que les structures proposent majoritairement aux mineurs non accompagnés du logement en « diffus » dans des colocations ou des studios. Un choix qui empêche un étayage quotidien et accroît la solitude. D’ailleurs, selon une étude de la fondation Apprentis d’Auteuil, 88 % des jeunes se disent très isolés. Ce sentiment est renforcé par un parti pris : arrivés majoritairement sur le territoire à l’adolescence, les jeunes exilés seraient prétendument plus autonomes, plus à même de vivre seuls. Un argument infirmé par les chiffres venus du terrain.

Selon la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), 3 630 des 14 782 MNA confiés à l’ASE en 2022 avaient moins de 16 ans. « En 2022, la hausse des arrivants âgés de 13 ou 14 ans s’est élevée à 60 %, note Egidia Pichon-Leng. Nos dispositifs ne sont pas adaptés à des mineurs si jeunes. La prise en charge n’est pas la même que pour un adolescent âgé de 16 ans et plus. Il faut pouvoir adapter les prix de journée, pour être au plus proche des besoins liés à l’enfance. » Une autre échéance agit comme une épée de Damoclès, lorsqu’à 18 ans ces jeunes doivent quitter l’ASE. Pour contrer cette absence de filet de sécurité, la loi « Taquet » a prévu un accompagnement jusqu’à 21 ans (voir encadré), par le biais des contrats jeunes majeurs (CJM) assurant l’insertion sociale et professionnelle. Là encore, de fortes disparités territoriales apparaissent, avec des départements où ces contrats ne sont pas proposés et d’autres qui les prévoient seulement pour quelques mois après la majorité.

« Si, en 2013, 93 % des MNA sortant de l’ASE bénéficiaient d’un CJM, l’arrivée massive de mineurs isolés à partir de 2015 a obligé un certain nombre de départements à durcir leurs critères d’attribution », soulignent les auteurs d’un rapport d’information du Sénat(2) publié en 2021.

Le double défi de la régularisation

Au-delà des différences de montants alloués aux structures dédiées aux mineurs protégés dont les parents résident en France par rapport à celles qui aident les MNA, il est impossible, pour certains conseils départementaux, d’anticiper combien de mineurs isolés arriveront chaque année sur leur territoire. Un flou renforcé par les restrictions budgétaires. « Qu’ils soient issus d’une mouvance politique de gauche ou de droite, les présidents de département tentent de limiter le budget, estime Olivier Peyroux. Politiquement, ça ne coûte rien, c’est la coupe idéale. Si vous réduisez de 10 % la dotation de la protection des MNA sur un territoire, aucun administré ne viendra la défendre. Il est étonnant qu’un seuil minimal de prix de journée ne soit pas fixé. Ce n’est pas réglementé. Certains départements sont à 40 € quotidiens par jeune, contre 150 ou 180 € en Mecs ! », fustige-t-il.

Un manque de moyens doublé de disparités territoriales patentes. A commencer par celles qui concernent l’obtention d’un titre de séjour au moment de la majorité. La régularisation administrative, dont dépendra l’accès au logement ou à l’emploi, s’effectue en parallèle de la préparation à l’autonomie en vue de la fin de la prise en charge par l’ASE. Avant le 19e anniversaire, les travailleurs sociaux doivent préparer un dossier complet sur la situation administrative et le profil des jeunes, puis le remettre au président du conseil départemental, représentant légal du mineur. Ce sont les préfectures, chargées de délivrer les titres de séjour, qui décident ensuite de la régularisation ou non des MNA. Chaque cas est particulier.

« Dans la Marne, par exemple, le conseil départemental et les associations recensent beaucoup de difficultés. La préfecture ne statue pas sur les demandes de titre de séjour », dénonce Alexia Martel, responsable accompagnement MNA pour la Cnape. « Aucun récépissé ne fait suite aux demandes de régularisation transmises par le département. Ce document valant autorisation de séjour, le fait d’en être dépourvu bloque toute la situation du jeune, qui se retrouve sans ressources. Pour autant, dans le Lot-et-Garonne, où les associations transmettent directement les dossiers aux services déconcentrés de l’Etat, tout est fluide », tempère-t-elle. Au-delà des conséquences psychologiques sur les jeunes engendrées par ce système inégal, les professionnels sont éprouvés par ces contraintes. « D’autant plus que la loi immigration du 26 janvier 2024 vient encore limiter l’accompagnement de l’ASE pour les anciens MNA », poursuit la responsable de la Cnape. En effet, si la loi « Taquet » l’a étendue en son temps aux 21 ans du jeune, la nouvelle législation restreint désormais les droits de ceux qui sont visés par une OQTF (obligation de quitter le territoire français).

Autre point d’achoppement : la dématérialisation. Avec de longs délais d’attente, les prises de rendez-vous en ligne pour des demandes de titres de séjour forcent les travailleurs sociaux à travailler dans l’urgence, notamment en raison de l’approche de la majorité des jeunes, lorsqu’ils obtiennent une protection.

La politique des vases communicants

Dans ce contexte, faut-il ou non remettre la gestion de l’ASE entre les main de l’Etat ? Si le débat existe de longue date dans le secteur, difficile de s’accorder. « Tout ce qui concerne les flux migratoires devrait dépendre de l’Etat, affirme Florian Bouquet, président du conseil départemental du Territoire de Belfort. Mais même si je crois à la verticalité, je suis contre la recentralisation en matière de protection de l’enfance. En matière de coûts, peu importe qui pilote, la prise en charge est la même. Nous avons la possibilité d’agir sur le terrain et d’utiliser les budgets pour les rendre vertueux en local. » Défiant à l’égard des étrangers qui mentiraient sur leur âge à l’arrivée, l’élu regrette de devoir accueillir certains MNA par ordonnance de placement prioritaire (OPP), quand la collectivité n’a pas les moyens de mettre en sécurité des jeunes de son territoire. « Les juges considèrent que même si les conditions de vie d’un enfant ne sont pas bonnes, il a déjà un toit. Aujourd’hui, nous n’avons pas les moyens de protéger tous les enfants », déplore-t-il.

Un constat qui rappelle les problématiques structurelles propres à la protection de l’enfance. Pour désengorger le secteur, Florian Bouquet préconise de sortir les jeunes de l’ASE à leur majorité en maintenant un accompagnement accru des acteurs de droit commun du domaine de l’insertion. Pour Céline Goeury, première vice-présidente chargée de la protection de l’enfance pour le département de la Gironde, la réponse est plus tranchée : « La centralisation n’est pas la question. Tel que c’est organisé, le travail de proximité est garanti. La PJJ, qui n’est pas compétente partout, et les agences régionales de santé (ARS) sont des exemples probants des différences de fonctionnement au sein des territoires. Il y a des spécificités locales, il faut en tenir compte. Il s’agit plutôt d’une question d’accompagnement des personnes. Le traitement équitable n’existe pas et nous souhaitons accompagner les MNA comme n’importe quels mineurs », souligne-t-elle.

De son côté, Olivier Peyroux opte pour la centralisation du financement, déjà en place en Allemagne et au Royaume-Uni. « L’Etat paierait et la gestion resterait confiée aux départements. Cela les empêcherait de tenter de réduire les coûts. Les problèmes n’étant pas induits par le travail des professionnels de terrain, mais bien par ce mode de financement, détaille-t-il. Actuellement, chacun bricole avec ses moyens. » Selon le sociologue, « on ne se demande pas ce qu’il faudrait pour accompagner les mineurs, mais comment on va les prendre en charge avec 50 €. On multiplie donc les actions précaires avec de gros problèmes de recrutement ».

Des représentations biaisées

Toutes ces difficultés d’accompagnement favorisent en outre une certaine porosité à l’égard des réseaux criminels. Les mineurs non accompagnés présentent plus de risques d’être exploités et de passer à l’acte en tombant dans la délinquance. « Les MNA sont des proies faciles dont on utilise la vulnérabilité. L’ASE est de plus en plus ciblée. Et l’instrumentalisation politique empêche de s’en rendre compte », assure Olivier Peyroux. Conscients du faible taux d’enquêtes menées, les réseaux de traite font peser la charge pénale sur les mineurs. « D’autant plus que, de manière générale, les mineurs isolés sont plus propices à être incarcérés que les autres mineurs, pointe Alexia Martel. Cela s’explique par le fait qu’ils n’ont pas de garantie de représentation, c’est-à-dire de lien familial qui justifie la mise en place d’alternatives à l’enfermement. » En 2023, sur l’ensemble des mineurs incarcérés, moins de 7 % étaient des MNA, selon le compte rendu d’une commission d’enquête de l’Assemblée nationale daté du 23 mai 2024.

Même si « 97 % des mineurs isolés protégés sont inconnus de la justice », précise Olivier Peyroux. En effet, la majorité des MNA manifestent leur volonté de s’insérer et d’être autonomes. « Je ne vois pas de lien de cause à effet entre la présence de MNA sur mon territoire et la délinquance. Il faut décorréler ces deux choses-là. La réalité est très frustrante, car nous voulons faire les choses correctement et nous observons de beaux parcours de réussite », admet Florian Bouquet.

Se repérer sur le plan légal

La protection judiciaire de la jeunesse pilote le dispositif national d’orientation des MNA.

La loi du 7 février 2022, dite loi « Taquet », a modifié les critères de répartition des MNA sur le territoire. Sont ajoutées au critère géographique les spécificités socio-économiques des départements et leur action en faveur des jeunes à leurs 18 ans. L’objectif étant de garantir une répartition des efforts.

Le texte prévoit également un droit à l’accompagnement des MNA jusqu’à leurs 21 ans.

Un décret du 26 décembre dernier vient ajouter deux conditions : le nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active sur le territoire, et celui de jeunes majeurs pris en charge par l’ASE l’année précédente.

La loi du 24 janvier 2024 visant à contrôler l’immigration et améliorer l’intégration introduit l’exclusion des jeunes majeurs qui ont été confiés à l’ASE durant leur minorité, s’ils font l’objet d’une OQTF.

L’accès au titre de séjour : à sa majorité, un mineur entré isolé en France et confié à l’ASE avant ses 16 ans peut obtenir une carte de séjour temporaire vie privée et familiale. Un MNA arrivé sur le territoire entre 16 et 18 ans peut bénéficier d’une régularisation exceptionnelle. Il peut s’agir d’une carte de salarié ou travailleur temporaire s’il suit une formation professionnelle qualifiante depuis au moins six mois, ou d’une carte d’étudiant s’il effectue des études.

Notes

(1) Aadjam, La Cimade, Infomie, Gisti, Médecins du Monde, Secours catholique, Unicef France.

(2) « Mineurs non accompagnés, jeunes en errance : 40 propositions pour une politique nationale », rapport d’information du Sénat de septembre 2021.

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