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L’insertion sous contraintes

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Traumatismes liés à l’exil, droit au séjour, populations allophones… Confrontés aux spécificités de ce public très vulnérable, les travailleurs sociaux chargés de l’accueil des mineurs non accompagnés font également face à des restrictions budgétaires qui accroissent la tension au sein des équipes et appauvrissent la qualité de l’accompagnement.

« Ils ont été violentés et malmenés, c’est un traumatisme. L’angoisse de la séparation, les départs forcés ou les trahisons engendrent des cauchemars et des insomnies. Quand certains font de la dépression, d’autres développent des addictions », témoigne Caroline Mercier, éducatrice référente au sein de l’établissement Bx Jean-Baptiste Scalabrini qui accueille 50 jeunes mineurs non accompagnés (MNA) à Vannes (Morbihan) (le dispositif dépend de la fondation des Apprentis d’Auteuil). « Mais c’est un public assez pudique qui ne nous sollicite pas forcément pour nous dire que ça ne va pas », précise-t-elle.

A l’aune de leurs périples migratoires, les MNA ont d’autres besoins que ceux des mineurs protégés par l’aide sociale à l’enfance (ASE) dont les parents résident en France. En parallèle du rôle de substitut familial, les travailleurs sociaux sont obligés de s’adapter. Les parcours d’exil ou de vie à la rue en France ont de lourdes conséquences, à la fois sur la santé mentale et sur le plan sanitaire. Pour y répondre, un partenariat a été scellé entre la structure bretonne et l’hôpital de Lorient pour permettre d’organiser des consultations avec des médecins, spécialistes des maladies contractées par des personnes migrantes. Ainsi, à leur arrivée, les jeunes bénéficient d’un check up : prise de sang, test de tuberculose, radios pulmonaires, recherche de parasites… « Nous disposons d’un budget pour la santé physique mais nous rencontrons de grandes difficultés pour prendre en charge la santé mentale. Nous avons beaucoup de mal à trouver des praticiens adaptés et le coût des interprètes est élevé », souligne Caroline Mercier. « Pour les problématiques d’ordre culturelle, trouver un éthno-psychologue se révèle d’ailleurs impossible. »

Cumul des urgences

Autre particularité de l’accompagnement : l’étape cruciale du passage à la majorité. La régularisation administrative vers un titre de séjour pour permettre au jeune de rester légalement sur le territoire est une course contre la montre. « Il y a de nombreuses dates butoirs qui dépendent de l’âge et des parcours des jeunes », pointe Julien Auzou, directeur du pôle UHD 75(1) du Groupe SOS et de l’établissement Déclic qui accueille un public mixte d’une quarantaine de jeunes. La moitié sont protégés par l’ASE et l’autre est orientée par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). « C’est un grand enjeu de stress pour les équipes, comme pour les MNA. Les travailleurs sociaux ont à cœur que les jeunes puissent être régularisés pour mettre en œuvre leur projet de vie en France, poursuit-il. Nous avons pourtant la chance d’être à Paris où il y a une prise en charge de qualité jusqu’à leurs 21 ans. » En effet, dans la capitale, l’attribution et la durée des contrats jeunes majeurs, nécessaires à l’obtention d’un titre de séjour, ne sont pas restreintes, comme c’est le cas ailleurs. Compte tenu du profil des jeunes, qui arrivent en France à l’adolescence, les délais serrés se cumulent. « Nous avons de nombreuses démarches consulaires à opérer avant le passage en préfecture pour la régularisation administrative. Les documents d’identité doivent être expertisés par la police aux frontières, légalisés par le pays d’origine et parfois, selon les nationalités, au sein de leur ambassade en France », détaille Caroline Mercier.

Nécessaire pour garantir l’issue de la procédure, l’obligation de formation se cumule aux échéances du parcours, surtout lorsque le mineur est allophone. L’apprentissage du français et l’acquisition des codes de la société d’accueil constituant également des défis de taille. « Insertion, loisirs, écoute… Nous sommes sur une prise en charge globale. Mais nous mettons l’accent sur l’instruction de la langue, sur les visites culturelles ou sur les pratiques usuelles, comme la vie en entreprise », confie Julien Auzou.

Sur le volet de l’organisation, Jean-Marc Pasquier, chef de service et fondateur de La Khaoua (fondation Apprentis d’Auteuil), dispositif nantais d’accompagnement de MNA et de jeunes majeurs, ex-MNA, embauche en fonction des enjeux. « Je recrute des salariés aux compétences spécifiques comme le droit des étrangers, l’insertion et le logement. Evidemment, on ne peut pas résumer la réussite de l’inclusion par ce triptyque. Des psychologues ou des chefs de service font aussi partie de l’équipe », note-t-il.

Accompagnement au rabais

Si les professionnels exerçant dans les structures dédiées aux MNA savent ce qu’est la pluridisciplinarité, tous sont confrontés à des restrictions budgétaires. En Loire-Atlantique comme dans le Morbihan, le constat est unanime. « La prise en charge des mineurs étrangers a clairement baissé. Le conseil départemental de Loire-Atlantique traverse une crise financière importante. Les moyens sont davantage orientés vers les autres publics vulnérables comme les mineurs plus jeunes. C’est un peu la bataille actuellement pour obtenir des contrats jeunes majeurs », témoigne Jean-Marc Pasquier. « L’accueil peut s’arrêter à 18 ans si le jeune est apprenti et qu’il dispose d’un appartement », abonde l’éducatrice référente de Vannes. « Par ailleurs, la somme quotidienne par jeune allouée est de 68 €. Je pense que les prix de journée au sein des maisons d’enfants à caractère social (Mecs) ordinaires sont largement supérieurs. »

Moins d’éducateurs, un accompagnement morcelé, des professionnels sur-sollicités, des jeunes isolés et des formations très courtes… « Il y a six ans, certains passaient un baccalauréat professionnel, on pouvait défendre les projets d’études. Aujourd’hui c’est impossible », regrette Caroline Mercier. La tendance force aussi ces établissements à accueillir davantage de jeunes mineurs. « Notre dispositif n’est pas adapté. Chez nous, une dizaine d’enfants est âgée de 14 ou 15 ans et nous en avons déjà accueilli de plus jeunes », poursuit-elle. Au sein des différents territoires, les logements prévus dans ce type de structures sont en diffus, c’est-à-dire qu’il s’agit d’appartements en colocation ou de studios répartis sur plusieurs lieux. Les présences nocturnes ne sont donc pas systématisées et l’accompagnement à la vie courante rendu complexe. Même son de cloche à La Khaoua, prévu pour recevoir de jeunes majeurs, depuis septembre, le dispositif accueille des mineurs.

Majorité de réussites

Cet environnement délétère n’altère heureusement pas la détermination à accompagner le passage de ces jeunes migrants vers l’âge adulte et l’autonomie. La mixité entre jeunes du territoire protégés et mineurs non accompagnés se révèle par exemple vertueuse. « Sur des dispositifs de semi-autonomie, nous observons qu’elle bénéficie aux deux types de jeunes. C’est très intéressant, il y a peu de problèmes de vie collective. Les rencontres et les moments de partage se mettent en place facilement. Tout le monde y gagne », assure Julien Auzou.

En ce qui concerne l’insertion, les MNA ont un désir réel d’intégration, et les réussites sont au rendez-vous. Si Jean-Marc Pasquier pointe « les contraintes autour de ces jeunes » – une OQTF (obligation de quitter le territoire français), par exemple, dégrade sérieusement leur état général –, « lorsqu’ils sont en emploi, ils sont très sérieux et s’entendent bien avec leur patron », remarque-t-il. A terme, la grande majorité d’entre eux obtient un titre de séjour.

La Khaoua et La Maille : expérimenter l’autonomie

→ Contribution financière. Le public accueilli par le dispositif La Khaoua (fondation Apprentis d’Auteuil) verse un loyer proportionnel à son budget. « Au départ, de nombreux jeunes déjà sortis de l’ASE m’ont confié qu’ils n’avaient pas été suffisamment sensibilisés par exemple à la question des charges à régler », détaille Jean-Marc Pasquier, chef de service du dispositif. Les sommes récoltées agrémentent un fonds de solidarité pour financer les projets individuels ou collectifs des jeunes. Mais à partir de 2025, le département de Loire-Atlantique se saisira de l’argent collecté…

→ Garder le lien. Le dispositif La Maille (Groupe SOS Jeunesse) permet aux jeunes majeurs sortis de l’ASE de conserver un lien avec un professionnel s’ils en ont besoin. « Impôts, sécurité sociale, régularisation administrative, soutien socio-affectif… Le service s’adresse aux 18-25 ans et répond à des problématiques multiples », pointe Julian Auzou, directeur du pôle UHD 75 du Groupe SOS. Deux travailleurs sociaux s’y consacrent à plein temps. En moins d’un an, 97 jeunes ont été suivis.

Notes

(1) Le pôle UHD 75 se compose de plusieurs dispositifs dédiés aux moins de 25 ans, avec une direction mutualisée.

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