Ce début de novembre commémorant les défunts pour certains croyants – ou les monstres et autres zombis pour les amateurs de sensations fortes – est aussi celui de l’examen des PLF et PLFSS 2025. De quoi nous enfoncer irrémédiablement dans une période de deuil. Quand l’ambiance frisquette de la Toussaint épouse un calendrier parlementaire qui n’a rien de réjouissant. « Des coupes budgétaires ou un sort » pourrait d’ailleurs devenir le nouveau mantra du gouvernement Barnier, dont les annonces austéritaires réveilleraient un mort…
Pour filer la métaphore halloweenienne, je vous propose de suivre les 7 étapes traditionnelles du deuil, appliquées au social et médico-social. Un processus nécessaire pour surmonter la perte de dotations qui nous sont chères. Un chemin vers la vie d’après, sans les ressources aimées.
1) Le choc. Lorsque le Premier ministre présente son projet de loi de finances, le 10 octobre dernier, les acteurs du secteur sont tétanisés par l’ampleur du désastre : 20 milliards d’euros d’économies sur les dépenses publiques, 100 millions ponctionnés du côté de l’Agefiph (emploi des personnes en situation de handicap), 5 autres prélevés dans l’économie sociale et solidaire (ESS)… « Dans certains secteurs déjà malmenés depuis plusieurs années, c’est la panique », décrivait alors Hugues Vidor, président de l’Udes.
2) Le déni. Face à un tel désastre, le mécanisme de défense classique est de refuser de croire à l’information. Dans ce cas précis, rares ont été les acteurs du secteur à véritablement tomber des nues. Se débrouiller avec trois fois rien, ça, ils ont l’habitude.
3) La colère. Il n’empêche que parfois, trop, c’est trop. Eprouvées de longue date par le manque de moyens, la Fédération des acteurs de la solidarité et la Croix-Rouge ont décidé de faire front commun et d’écrire à la ministre du Logement. A force de ne pas doter les services intégrés d’accueil et d’orientation destinés aux sans-abri, les travailleurs sociaux sont contraints de hiérarchiser les urgences. « Les personnes en détresse sont triées selon une appréciation locale et subjective de certaines vulnérabilités, l’inconditionnalité et la continuité sont trop souvent bafouées. Cette perte de sens, nous ne l’acceptons pas. »
4) La dépression. De quoi sauter à pieds joints dans cette nouvelle étape du deuil. Même si les professionnels sont formés pour garder la sacro-sainte « juste distance » et que les conditions de travail sont connues depuis les bancs de l’IRTS, certains soirs sont plus amers que d’autres. On ne peut s’empêcher de penser à ceux qui meurent sur le bitume, à la protection de l’enfance qui se délite ou aux migrants bientôt privés de l’aide médicale d’Etat…
5) et 6) La résignation et l’acceptation. On connaît tous des assistants de service social qui décident de changer de métier, abîmés par leur impuissance face aux malheurs du monde, ou des éducateurs spécialisés vaincus par le traumatisme vicariant. Par définition en première ligne, certains travailleurs sociaux n’arrivent plus à se projeter. D’autres poursuivent peut-être leur mission avec un poil de cynisme en plus. De quoi renforcer leur cuirasse pour ne pas s’effondrer.
7) La reconstruction. Tel un infatigable Sisyphe, le secteur poursuit le combat. Dans une tribune publiée le 29 octobre dans Le Monde, les représentants des associations, fondations, syndicats et mutuelles réunis au sein du Pacte du pouvoir de vivre appellent les parlementaires « à se mobiliser pour atteindre un budget écologiquement et socialement cohérent ». Et le 22 novembre, c’est le Collectif Alerte qui prévoit de faire du bruit à l’occasion de son 30e anniversaire.
Voilà. Vous vous sentez mieux ? Non ? C’est normal. Certains deuils sont très longs à faire.