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Les « handicapés méchants », des héros vite oubliés

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Dans les années 1970, un groupe d’étudiants de la Cité universitaire de Paris va mener un combat pour sortir le handicap de l’invisibilité, par le biais d’une revue, d’actions choc et de manifestes.

Les derniers Jeux paralympiques ont mis en lumière les exploits sidérants de sportifs aux diverses invalidités, bouleversant la perception de la société française sur le handicap. Des spectateurs se sont passionnés pour les matchs de cécifoot ou de rugby fauteuil et les médias ont dressé les portraits héroïques de « para athlètes » comme « l’incroyable nageur brésilien né sans bras et avec des jambes atrophiées ».

Portées par cet engouement, des personnes ordinaires en béquilles ou fauteuil roulant, qui jusqu’alors avaient l’impression de passer inaperçues, ont pu ainsi avoir la surprise de se voir soudainement abordées en gare par un personnel SNCF vêtu de gilets violets, empressé de les accompagner ou s’enquérant avec inquiétude des équipements adaptés pour le bon déroulement de leur voyage. Elles pouvaient aussi percevoir des regards complices ou admiratifs dans leur entourage quotidien, là où dominaient plutôt gêne et indifférence.

Un mouvement étudiant

Espérons que ce changement de regard ne soit pas de courte durée, comme le montre l’amnésie récurrente pour les luttes et revendications de certains collectifs réclamant la reconnaissance d’une juste place à celles et ceux porteurs de handicap. C’est le cas notamment du comité de lutte des handicapés et de leur revue contestataire Handicapés méchants créés en 1973 et dont les actions coups de poing ont perduré jusqu’en 1980. Cette initiative est lancée à l’origine par une poignée d’étudiants porteurs de handicap logés à la Cité universitaire, réputée à l’époque pour être équipée de logements adaptés, avec des rampes pour se déplacer d’un étage à l’autre… sauf pour la cafétéria, dont l’accès était entravé par la présence malencontreuse de trois marches. La direction de la Cité universitaire faisant la sourde oreille, les étudiants décident d’agir, versant du béton sur les marches et squattant le local jusqu’à obtenir la pose d’un plan incliné.

Forts de ce premier succès, ils se constituent alors en un groupe aux velléités combatives et aux accents libertaires, décidant de sortir de l’invisibilité et de se faire les porte-parole d’une communauté avec ses spécificités et ses droits. Ils se révoltent contre la charité publique, une quête annuelle sous le nom « A votre bon cœur » étant organisée à la même époque en faveur des « gentils petits handicapés ». En contrepoint, ils clament leur colère et se revendiquent « handicapés méchants », leur cause devenant politique : « La société doit changer et s’adapter à nous. » Ils réclament alors des compensations et un salaire équivalent au Smig. Bien que peu nombreux, ils multiplient des actions musclées : manifestations en chaises roulantes sur les Champs-Elysées, grèves, occupation de cinémas et blocage de lignes de bus n’offrant pas d’accès handicapés, blocage d’un tiercé au moment du départ de la course, occupation des locaux du siège de l’Association des paralysés de France. En 1975, ils rédigent et diffusent une charte de revendications : « droit au travail sans discrimination, droit à l’enseignement de tous les handicapés en milieu normal, suppression des ateliers protégés, des centres d’adaptation par le travail et des emplois réservés (considérés comme des ghettos), accessibilité et aménagement de tous les lieux de travail et des transports en communs… ».

Une visibilité éphémère

Ces militants réclament enfin le décloisonnement des différentes catégories de handicapés, notamment entre handicapés mentaux et physiques. Bénéficiant de l’effervescence des années 1970 et de la présence d’autres comités de luttes des travailleurs sociaux, des prisonniers, des homosexuels, des asiles… le mouvement gagne une certaine visibilité médiatique, avant de disparaître peu à peu, victime en partie de dissensions internes et de sa radicalisation. Le dernier numéro de leur revue, publié début 1980, titre de façon prophétique : « Et après ? Continuer… Autrement ? », et se termine sur une phrase de Guy Debord : « Mais les théories ne sont faites que pour mourir dans la guerre du temps. »

Les athlètes des Jeux paralympiques nous ont cependant montré qu’ils avaient toute leur place et pouvaient remporter peut-être cette guerre du temps en changeant durablement notre regard.

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