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« La garantie d’une autonomie de pensée »

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Plutôt que de se demander s’il faut créer une discipline du travail social, la question est de savoir pourquoi être contre ? Aujourd’hui, elle existe partout. En Espagne, depuis 40 ans, mais aussi au Portugal, aux Etats-Unis ou au Canada. En revanche, en France, alors que les travailleurs sociaux représentent plus d’un million de professionnels, il n’y en a pas. C’est d’autant plus aberrant que la fonction sociale est hautement symbolique et politique.

Pour moi, cela tient à plusieurs raisons. L’une est idéologique et identitaire. Il n’y a pas, en réalité, de volonté que cela change. Ni du côté des travailleurs sociaux à qui on répète que si le travail social était une discipline, leur liberté de penser et de relation avec les usagers deviendraient impossibles. Ni chez les sociologues qui craignent de perdre une partie de leur terrain de jeu car, historiquement, ces deux professions se sont construites indépendamment. Mais, en vérité, ce sont les deux faces d’une même pièce : le corps social. Pourtant, seuls les sociologues ont eu droit à leur discipline. Les pratiques professionnelles du travail social sont donc le point aveugle des sciences sociales, qu’aucune discipline ne peut combler si ce n’est celle du travail social à créer.

Développer une recherche spécifique

L’autre raison est institutionnelle. Le système français de l’enseignement supérieur n’autorise pas la création d’une discipline en dehors de l’université et de la volonté d’enseignants-chercheurs à quitter leur discipline pour en fonder une autre. Or les établissements de formation en travail social (EFTS) sont des écoles privées qui n’ont même pas le droit de préparer les grades universitaires.

Cela fait maintenant six ans que je travaille en Suisse en tant qu’enseignant-chercheur dans une université des métiers (articulation entre une forme d’université professionnelle et une grande école). J’ai le plus haut statut académique. A ce titre, je donne des cours mais j’ai aussi une mission de recherche publique. Si la France s’inspirait du modèle helvétique et que la discipline du travail social obtenait la reconnaissance académique, les formateurs en travail social consacreraient une part de leur temps à la recherche et nourriraient leurs enseignements de leurs travaux. Pour les étudiants, cela serait la garantie d’avoir face à eux un corps professoral à la pointe des dernières évolutions du secteur. Une académisation des EFTS consisterait à organiser progressivement l’acquisition des droits et devoirs de l’enseignement supérieur, et ainsi à dépasser la simple fonction de préparateur à un diplôme qu’ils ne délivrent pas. Les formateurs deviendraient des enseignants-chercheurs de plein droit.

Le développement d’une discipline du travail social serait également un moyen de renforcer la lé­gitimité de ce champ professionnel, en formant des experts appartenant à une profession disciplinarisée et donc nourrie par la science. Les professionnels seraient alors mieux armés face aux évolutions du secteur social. Au lieu de quoi, aujourd’hui, la profession est totalement sous-évaluée et sous-payée. Il lui manque cette autonomie de pensée qui est garantie par la recherche. Mais cela finira par évoluer, il le faudra bien, si tant est qu’il y ait une prise de décision politique pour aider le secteur à passer ce cap, que la France reste la seule à ne pas franchir.

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