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« Je plonge dans l’aquarium avec les gens »

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Avocate au barreau de Bruxelles, médiatrice familiale et formatrice à l’université de Louvain, Isabelle de Bauw s’emploie à dénouer des nœuds, parfois gordiens, et à donner de la réassurance aux couples, parents et enfants qui s’enlisent dans le conflit.
Quelles sont vos références théoriques en tant que médiatrice familiale ?

Un couple, une famille, ce sont des systèmes. Les thérapeutes ont été les premiers à avoir cette posture, mais au départ ils essayaient d’influer en restant très extérieurs. A partir de la deuxième cybernétique, l’observateur a commencé à entrer dans le tableau. C’est ce que je fais en me référant à l’analyse systémique. C’est très différent d’appréhender une famille, un couple, qui fonctionne en vase clos ou en la présence d’un tiers amené à intervenir. J’applique ce que me disait l’une de mes formatrices : « Je plonge dans l’aquarium et je nage avec les gens. » L’image m’a toujours habité. Rien que le fait d’être là, d’écouter, modifie la manière de communiquer.

Ensuite, je m’inscris dans une démarche de médiation transformative. Elle sous-tend une théorie du conflit, selon laquelle les personnes impliquées dans ces contextes de tensions sont confuses, remplies d’émotions négatives qui cognent avec celles de l’autre. L’idée est de transformer petit à petit l’antagonisme. Non pas de le faire disparaitre, mais d’aider à le vivre de manière plus positive. Il s’agit à la fois de se reresponsabiliser, de devenir un peu plus empathique à l’égard de l’autre, mais surtout de travailler l’empowerment. Mon objectif : que les gens retrouvent leurs compétences pour faire face au conflit et, dans le meilleur des cas, pour trouver des solutions.

Quel est le degré de contrainte dans une aventure de médiation ?

En Belgique, c’est censé être toujours volontaire. Dans les faits, un certain nombre de pressions s’exercent pour pousser à la médiation. Il y a les juges, les avocats, parfois la police lorsque des personnes vont porter plainte pour des faits de violence considérés comme mineurs, ou encore les organismes de protection de la jeunesse [la protection de l’enfance, ndlr]. Un grand nombre d’instances guident vers la médiation avec un pouvoir moral très fort. Je pense aussi aux médecins de famille, aux professeurs, aux parents, voire aux enfants. Je me souviens de jeunes adultes, âgés d’une vingtaine d’années, qui avaient dit à leur mère : « Si tu ne vas pas en médiation, on ne vient plus chez toi. » Et puis, il y a la contrainte sociétale. Je pense à l’ouvrage Les Démarieurs, écrit par le sociologue Benoît Bastard, dans lequel il évoquait l’idéologie du « bon divorce ». Les couples doivent réussir leur séparation. Nous ne sommes plus dans un système où les juges tranchent, mais davantage dans un cadre négocié, y compris au moment de se quitter, et cela peut être une grosse contrainte. Surtout dans certains milieux où communiquer ne fait pas partie des habitudes. C’est le cas de nombreuses familles d’origine immigrée, ouvrière ou issues de la grande bourgeoisie. Des cultures où l’on ne parle pas.

Le médiateur familial est-il un « chevalier blanc » ? Un thérapeute ? Un avocat ?

Se considérer comme un « sauveur » habite à peu près tous ceux qui font un métier dans la relation d’aide. J’ai beaucoup travaillé cet écueil, de manière individuelle et avec des psychologues dans le cadre de formations ou d’analyses de pratiques. La médiation transformative m’a appris à ne jamais bâtir de projets pour les gens, de toujours partir de leurs ressources propres. En fait, je me vois plutôt comme une sorte de funambule… Si je n’utilise pas le droit en direct au cours de mes entretiens, je l’ai toujours en arrière-plan, l’un de mes rôles étant de permettre aux personnes de bâtir à terme une convention qui tienne la route devant un tribunal. Mais l’essentiel de mon travail est relationnel. Il s’agit de tenir la barre au milieu. Permettre à l’un de creuser ses émotions et à l’autre d’entendre qu’on ne peut pas réagir n’importe comment, même si on est triste. Je ne suis ni avocate, ni thérapeute, je me sens plus proche d’un travail de guidance parentale.

Quel rôle joue l’improvisation ?

Au début d’une médiation, j’ai appris que cela ne servait à rien de « me faire des films ». Les personnes que je reçois me disent très souvent « vous allez voir, c’est très facile, on est presque d’accord sur tout ». Deux fois sur trois, cela signifie qu’elles ne sont d’accord sur rien et que la médiation sera extrêmement difficile. Inversement, d’autres arrivent très en conflit, pourtant on parvient à dénouer avec eux les ressorts de leurs difficultés et à légitimer la position de chacun. Il n’y a pas de règles.

La famille, notion plurielle, est-elle toujours aussi importante ?

Je dirais qu’elle est même encore plus importante qu’avant. Elle représente le bastion auquel les personnes se raccrochent, même s’il y a davantage de séparations avec des tout-petits. Les couples s’arrêtent aux crises familiales normales – une naissance, par exemple – et ils n’essayent plus de les dépasser. Je suis également frappée par le véritable Graal que représente désormais la famille recomposée. Il y a comme une urgence à retrouver, le plus vite possible, un nouveau conjoint, pour former une nouvelle famille « parfaite » réunissant les enfants des deux côtés. Celui qui a vécu un échec conjugal souhaite retomber tout de suite sur ses pattes.

Quelles sont les limites de votre intervention ?

Outre des questions de déontologie à l’égard de proches par exemple, les principales limites sont relationnelles. Certains médiateurs continuent à travailler lorsqu’il y a de la violence physique. Personnellement, je n’ai aucun soucis si ces faits sont très ponctuels, mais lorsqu’ils sont récurrents, je trouve que c’est quasi impossible. Vis-à-vis de la maladie mentale ou des addictions, cela ne me fait pas peur en soi, mais je reste prudente. Je pense à un couple très touchant. Peu de temps après la naissance de leur bébé, monsieur a fait une crise psychotique majeure et s’en est pris à l’enfant. Trois ou quatre ans après, lorsqu’ils arrivent chez moi, il m’apparait assez vite que ce père ne dispose pas de tous les éléments pour décider lui-même. La médiation a néanmoins été très positive, dans la mesure ou mari et femme ont pu revenir sur ce qu’il s’était passé. Enfin, j’appréhende les cas d’emprise. Un médiateur familial, au contraire d’un thérapeute individuel, est en mesure d’observer les interactions entre deux personnes. Avec l’expérience, quand je suis confrontée à ce type de maltraitances, j’ai mal au ventre. En l’espèce, faire de la médiation est dangereux.

En tant que médiatrice, êtes-vous amenée à faire des signalements ?

Cela peut arriver. A l’époque où j’intervenais dans un centre de planning familial, notre équipe pluri­disciplinaire suivait un couple et ses enfants. Le père était vraiment toxique et l’une de ses filles, âgée de 7 ans, était hospitalisée en raison de son anorexie. La situation abîmait toute la famille. A la suite d’une décision collégiale, nous étions prêts à faire un signalement, mais la pédo­psychiatre de l’hôpital a été plus rapide. Toute la fratrie a été placée. Cet épisode m’a marquée : ce genre de décisions ne se prend jamais seul, toujours en équipe. Que l’on soit dans un centre de planning ou au sein d’un groupe de médiateurs. Le plus important étant d’être transparent, de ne pas agir dans le dos des personnes concernées.

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