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Etablissements : parler de la mort, c’est vital

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C’est l’ultime tabou dans les établissements médico-sociaux. Pourtant, parler de la mort ne fait pas mourir ! Face aux paroles tues, aux rituels funéraires bâclés, Jennifer Lucas, éducatrice spécialisée devenue conseillère funéraire, propose une nouvelle approche pour accompagner les personnes vulnérables et soutenir les professionnels.

J’ai exercé le métier d’éducatrice spécialisée pendant vingt ans et je souhaite vous parler de Marc, Gérard, Laurent, Nadia… des mortels qui ne sont plus vivants. Des hommes et des femmes qui se savaient plus fragiles et n’en ont pas fait toute une histoire. Des hommes et des femmes qui auraient pu vous (ra)conter leur sacré chemin de vie, mais qui ont pris un sentier de traverse en toute discrétion.

Marc était une personne calme et posée, qui aimait rester sur un banc à observer le temps qui passe. Il appréciait la présence féminine mais, bien trop timide pour souffler mot doux et lever la voix, il est parti à bout de souffle.

Gérard était engagé et avait à cœur de faire entendre sa voix pour réclamer le respect, pour lui-même et pour les autres. Il aimait être visible et entendu. Malvoyant et se déplaçant en fauteuil roulant, rien ne l’arrêtait. Il est parti après avoir trébuché ; pas sur les mots mais en gardant une vraie force de vie.

Laurent aimait échanger sur des souvenirs d’antan mais le temps passait trop vite et mille questionnements le malmenaient souvent. Sa compagne était la solitude, qu’il aimait autant qu’il souhaitait la voir se dissiper. Il est parti discrètement, avec le courage en bandoulière.

Nadia était une femme et une mère, discrète mais de caractère. Elle portait le poids des souvenirs et des erreurs sur le cœur. Elle savait se faire aimer par une jeunesse en quête de repères ayant quelque peu estompé les siens. Un grand cœur, fragilisé par les choix de vie, s’est brisé sous le poids des larmes retenues.

J’ai toujours été touchée par le décès des personnes que j’accompagnais. Mais au fil de mes vingt années d’expérience dans le secteur médico-social, j’ai observé plusieurs lacunes et besoins non satisfaits concernant le sujet de la mort et du deuil. Le professionnalisme n’empêche pas l’émotion toujours présente, marque du lien tissé avec Nadia, Gérard, Laurent, Marc… Les hommages rendus lors des obsèques sont souvent réduits à une étape dépersonnalisée. C’est une affaire de tutelle qui doit finaliser rapidement la fermeture du dossier, ce sont des familles qui ne peuvent s’impliquer dans la gestion de la situation, ou c’est une dynamique institutionnelle qui ne permet pas de laisser place à des échanges.

Un sujet qui rebute avant qu’il débute

On évite d’aborder ces sujets de la vie, plus par crainte que par certitude que la personne accompagnée puisse être déstabilisée. Cependant, aborder en amont ce thème universel est essentiel, car l’exercice n’est pas plus simple à l’approche de la fin de vie : permettre une libération de la parole, ce n’est pas la mort, c’est vital !

Afin de parfaire mon expérience professionnelle, j’ai bifurqué vers le secteur du funéraire. Je suis aujourd’hui diplômée conseillère funéraire/maîtresse de cérémonie et j’interviens dans les établissements médico-sociaux en qualité d’éducatrice libérale, pour créer des espaces de paroles sur la mort et le deuil, en amont des situations complexes liées au décès.

Parler de la mort n’est pas facile car elle devient toujours un sujet de conversation quand elle n’est pas très loin, rappelant la faiblesse, la douleur, la tristesse. Et dans ces moments-là, tout se panse, à défaut d’avoir été pensé quand la mort et le deuil étaient des sujets plus légers, et le temps plus offert. La finitude est un thème qui rebute avant même de débuter.

On évite les discussions sur la mort et le deuil souvent par crainte de déstabiliser les personnes fragiles, mais cette approche préventive est essentielle. En parler de manière ouverte et anticipée permet de réduire l’anxiété et de préparer sereinement les professionnels et les personnes accompagnées à ces étapes inévitables de la vie. Un accompagnement proactif et une communication claire peuvent transformer des moments de crise en périodes de soutien et de compréhension mutuelle.

Et quand survient un décès, le temps prend le pas et ne laisse plus une seconde pour la réflexion quant à l’art et la manière de rendre hommage. Organiser un dernier adieu, c’est une affaire de vivants sans que le défunt n’ait de mot à dire. Et pourtant, c’est une liberté dont il peut se saisir de son vivant : la liberté des funérailles. Prendre le temps nécessaire pour exprimer et rédiger ses volontés : inhumation ou crémation, choix du cercueil ou de l’urne, détails cérémoniaux (musiques, fleurs, texte…)… Cette liberté doit être respectée. Elle permet à chacun d’être acteur de sa vie jusqu’à son trépas, et d’être certain du respect de sa dignité et de sa personnalité. Parler de la vie, de sa vie, de ce qui nous anime et ainsi s’assurer que sa disparition deviendra un véritable souvenir, et non un lointain souvenir.

Préparer au deuil pour soutenir les professionnels

Dans ma pratique professionnelle, j’aurais apprécié avoir la possibilité de partager avec tous ces thématiques, dans un espace serein, apaisé et régulier. Pouvoir en sourire pour ne pas avoir à chuchoter.

La préparation au deuil et une parole apaisée sur la mort avant qu’elle ne survienne est une étape qui me semble importante. Elle procure un soutien aux personnes accompagnées, aux proches mais aussi aux professionnels des établissements médico-sociaux (ESMS). Et voici comment aborder sereinement ce sujet tabou :

→ Libérer la parole en proposant aux participants un espace sûr où ils peuvent exprimer leurs peurs, leurs questionnements et leurs souhaits sans jugement. Normaliser et démystifier la mort et le deuil afin de réduire l’anxiété et la frayeur.

→ Echanger des expériences, partager des histoires et écouter, apprendre des expériences des autres, en créant un sentiment de communauté et de compréhension mutuelle.

→ Offrir un soutien émotionnel en apportant des éléments de compréhension concernant les émotions qui se rattachent à ces sujets en utilisant des médiations artistiques et animales.

→ Encourager les participants à réfléchir à leurs propres souhaits funéraires et à en discuter ouvertement avec leurs familles, le curateur, les professionnels et l’institution, favorisant ainsi leur autonomie et autodétermination.

Cette préparation au deuil et à la parole apaisée est un soutien pour les professionnels, souvent confrontés à des situations émotionnellement chargées. Elle peut les aider à gérer ces moments avec plus de sérénité et de compétence.

Pour les personnes accompagnées, pouvoir exprimer, de manière claire et assumée, ce qu’elles ressentent et souhaitent en termes de besoins permet de limiter les incompréhensions entre elles, leurs proches et/ou les professionnels. Cela facilite les actions entreprises ou à entreprendre pour les intervenants. C’est également leur offrir des clés afin d’enrichir leurs connaissances des codes et du vocabulaire propres à ce sujet toujours complexe à aborder.

La personne accompagnée devient alors une personne autodéterminée, un citoyen informé, qui peut exprimer des désirs et des incompréhensions, faire des choix éclairés. Ces espaces de parole sur la mort et le deuil m’apparaissent comme des moments nécessaires pour renforcer la dignité et l’autonomie des résidents. Les établissements qui facilitent ces conversations montrent leur engagement à honorer les volontés individuelles et à offrir un accompagnement respectueux et personnalisé permettant de devenir un mortel inspirant.

Sourire à la vie autour d’un café mortel

Tout cela est possible, dans un cadre propice à des rencontres libératrices, à la compréhension d’informations essentielles, à l’écoute silencieuse et attentive. Ou encore à la création, par l’utilisation de médias culturels tels que l’art, la danse, la photo, la philosophie et bien d’autres. Un espace que l’on pourrait nommer « petit dej’ fun » ou « café mortel », autour d’un verre de l’amitié, d’une part de bonheur partagé, une pointe d’humour et de sourire en toute simplicité.

Il faut être libre de passer, de rester, de revenir et de rencontrer des professionnels du territoire qui pourront apporter un soutien pluridisciplinaire pérenne et de confiance. Collaborer avec des art-thérapeutes, des médiateurs animaliers, des coopératives funéraires, et d’autres spécialistes, enrichit les espaces de parole et les groupes de soutien et crée des environnements plus empathiques, diversifiés et inclusifs. En renforçant un réseau et en permettant un partenariat, on répond mieux aux défis complexes liés au deuil et à la mort.

Je propose donc d’ouvrir, aux cœurs des ESMS, des espaces de parole permettant aux personnes accompagnées, aux professionnels, à l’institution d’instaurer une bienveillance collective afin de comprendre et mieux vivre ces moments délicats de la vie. Ces échanges renforcent non seulement la compréhension mutuelle mais également la solidarité nécessaire pour faire face avec sérénité à l’inévitable. Ainsi, dans cette démarche collective, la vie trouve toujours sa voix, vibrante et pleine d’humanité.

Pensées pour Marc, Gérard, Laurent, Nadia…

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