Le code du travail a été réformé afin d’être conforme au droit européen qui stipule que chaque salarié doit cumuler 4 semaines de congés payés au titre d’une année de travail, même s’il a été arrêté. Cette transposition a été réalisée par la loi du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, dite « loi DDADUE ».
Plusieurs textes, européens et français, ont mené à cette transposition : trois arrêts de jurisprudence de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, qui avait à plusieurs reprises souligné l’absence de conformité entre le droit français et le droit européen sur cette question dans ces rapports annuels dès 2013 ; une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 9 novembre 2023 ; ainsi qu’un avis du Conseil d’Etat, saisi par Matignon, du 13 mars 2024. Ces institutions s’appuient notamment sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art. 31, paragraphe 2), proclamée en 2000 et devenue contraignante avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009. La directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 du Parlement européen et du Conseil de l’Europe a aussi joué un rôle central dans cette adaptation.
La charte européenne note le droit à une période annuelle de congés payés pour tout travailleur tandis que la directive de 2003 souligne l’absence de différences entre un travailleur en arrêt de travail ou un travailleur ayant effectivement travaillé, ainsi qu’une durée de 4 semaines de congés payés annuels octroyée par les Etats membres.
Arrêt d’origine professionnelle ou non, rétroactivité de la loi, salarié toujours en poste ou non, période de report des congés, information donnée par l’employeur… On fait le point sur cette loi DDADUE.
« Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur » (code du travail [C. trav.], art. L. 3141-3). La Cour de cassation notait dans trois arrêts du 13 septembre 2023 que l’application des dispositions de cet article devait être écartée partiellement en ce qu’elles « subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congés payés […] » (Cass. soc., 13 septembre 2023, nos 22-17.340 ; 22-17.341 et 22-17.342). Dans une notice au rapport relative à ces arrêts, elle ajoute que trancher différemment aurait conduit « à créer une discrimination, contraire à l’article L. 1132-1 du code du travail qui prohibe notamment les discriminations en raison de l’état de santé, dès lors que les salariés absents pour cause d’une maladie non professionnelle auraient acquis des droits à congés payés d’une durée moindre que les salariés présents dans l’entreprise et exécutant un travail effectif. » Ainsi, l’article L. 3141-5 du code du travail qui liste les « périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé » a été modifié par la loi DDADUE.
Avant la loi du 22 avril 2024, l’article L. 3141-5 du code du travail listait six types de périodes, dont la suspension du contrat de travail « pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle ». La Cour de cassation avait en outre assimilé un accident de trajet à un accident de travail (Cass. soc., 3 juillet 2012, n° 08-44.834). Dans sa nouvelle version, une septième option est ajoutée : « Les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n’ayant pas un caractère professionnel. »
L’autre changement dans cet article concerne les arrêts de travail d’origine professionnelle dont le bornage dans le temps a été supprimé. Cette période de suspension du contrat pour une raison professionnelle était limitée à une durée ininterrompue d’un an. La Cour de cassation estimait aussi qu’il fallait l’écarter (Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.638).
S’agissant du cumul des congés payés pendant un arrêt de travail, la loi DDADUE ne gomme pas toutes les différences selon l’origine professionnelle ou non de cette suspension du contrat.
Les salariés en arrêt de travail d’origine non professionnelle cumulent désormais des congés payés : 2 jours ouvrables par mois dans la limite de 24 jours ouvrables par période de référence (C. trav., art. L. 3141-5-1 nouveau).
Les salariés en arrêt d’origine professionnelle continuent d’acquérir 2,5 jours de congés payés par mois (C. trav., art. L. 3141-3 et L. 3141-5), dans la limite de 30 jours ouvrables par période de référence, et ce peu importe la durée de l’arrêt.
Dans son avis du 13 mars 2024, le Conseil d’Etat autorise le gouvernement à limiter l’acquisition de congés payés pour les salariés en arrêt d’origine non professionnelle à 4 semaines – respectant ainsi le droit européen – au lieu des 5 semaines prévues par le droit français. Il estime notamment qu’« aucune règle de droit européen ou international ne reconnaît un droit à un congé annuel supérieur à 4 semaines » et que la différence de traitement entre salariés en arrêt d’origine professionnelle et salariés en arrêt d’origine non professionnelle n’entre pas dans « le champ des discriminations interdites par le droit de l’Union européenne » (voir également encadré ci-dessous).
En cas de rupture de contrat, si le salarié n’a pas soldé tous ses congés payés, il a droit à une indemnité compensatrice (C. trav., art. L. 3141-28). Elle est calculée selon deux méthodes :
→ 1/10 de la rémunération brute totale perçue au cours de la période de référence ;
→ ou le maintien de salaire qui permet au salarié de toucher la rémunération qu’il aurait perçue pendant la période de congés s’il avait continué de travailler.
Le montant le plus avantageux pour le salarié est retenu.
La loi DDADUE change la manière de calculer la première méthode, celle du dixième, en modifiant l’article L. 3141-24 du code de travail. Parmi les éléments pris en compte pour la détermination de cette rémunération, il y a les périodes de suspension du contrat en lien avec un arrêt de travail dû à un accident ou une maladie n’ayant pas un caractère professionnel. Ces périodes sont considérées « comme ayant donné lieu à rémunération en fonction de l’horaire de travail de l’établissement, dans la limite d’une prise en compte à 80 % de la rémunération associée à ces périodes ».
S’agissant des périodes de suspension du contrat en lien avec un arrêt de travail dû à un accident ou une maladie d’origine professionnelle, la règle ne change pas : la rémunération est prise en compte à hauteur de 100 %.
Les nouveautés de la loi du 22 avril 2024 concernant les arrêts de travail d’origine non professionnelle sont applicables rétroactivement, à certaines conditions.
« Les dispositions du 7° du présent article sont applicables pour la période courant du 1er décembre 2009 à la date d’entrée en vigueur de ladite loi » (C. trav., art. L. 3141-5). Ainsi, les salariés qui ont été arrêtés pour des raisons non professionnelles entre le 1er décembre 2009 et le 24 avril 2024 sont également concernés par la transposition. Par conséquent, ils peuvent réclamer à leur employeur – ou ex-employeur, voir ci-contre – le paiement de ces congés payés.
Cette date du 1er décembre 2009 correspond à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne qui rend contraignante la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cette dernière spécifie que « tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés » (art. 31). Ces salariés ne pourront toutefois pas récupérer d’indemnités sur plus de 24 jours ouvrables de congés. Il s’agit du nombre maximal de congés cumulables pendant un arrêt d’origine non professionnelle (C. trav., art. L. 3141-5-1) (voir page 47). Le texte précise que cette limite de 24 jours ouvrables de congés prend en compte les « jours déjà acquis, pour la même période, en application des dispositions du même code dans leur rédaction antérieure à ladite loi ».
Le texte ne mentionne en revanche pas de rétroactivité concernant la suppression de la durée de l’arrêt à un an ininterrompu (voir page 47) pour les salariés concernés par un accident du travail ou une maladie professionnelle. Ainsi, précise le site de l’administration française (service-public.fr), « il n’est pas possible de demander un rappel de congés pendant un arrêt pour accident de travail ou maladie professionnelle de plus d’un an intervenu avant le 24 avril 2024 ».
Les salariés, selon qu’ils sont toujours en poste ou pas dans leur entreprise, ont des délais à respecter pour saisir la justice et réclamer rétroactivement les congés payés acquis durant des arrêts de travail d’origine non professionnelle.
Pour les salariés ayant eu un arrêt de travail n’ayant pas un caractère professionnel et qui sont toujours en poste dans la même entreprise au moment de l’entrée en vigueur de la loi, le délai de forclusion pour réclamer des congés payés est de 2 ans à partir du 24 avril 2024, même si l’employeur ne respecte pas son obligation d’information (voir page 49). On trouve cet élément dans la note des articles du code du travail créés ou modifiés par ladite loi : « Toute action en exécution du contrat de travail ayant pour objet l’octroi de jours de congé en application dudit II doit être introduite, à peine de forclusion, dans un délai de 2 ans à compter de l’entrée en vigueur de ladite loi. » Ces arrêts de travail doivent dans ce cas être survenus entre le 1er décembre 2009 et le 24 avril 2024. L’administration précise sur son site (service-public.fr) qu’après le 23 avril 2026, minuit, le salarié perd le droit de réclamer ces congés payés.
Pour les salariés dont le contrat durant lequel ils ont été arrêtés a été rompu (départ volontaire ou à la retraite, licenciement), la loi du 22 avril 2024 ne donne pas de précisions. En revanche, sur le site de l’administration, il est indiqué que le délai de réclamation auprès de leur ancien employeur d’indemnités compensatrices au titre d’arrêts de travail d’origine non professionnelle est de 3 ans à partir de la date de rupture du contrat.
Le Conseil d’Etat notait par ailleurs dans son avis de mars 2024 que la « prescription triennale » – prévue à l’article L. 3245-1 du code du travail, en vigueur depuis 2013 et non modifié par la loi DDADUE – est « susceptible d’être soulevée, faisant obstacle aux actions des salariés ayant quitté leur employeur depuis plus de 3 ans ». Cet article indique que : « L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par 3 ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des 3 dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des 3 années précédant la rupture du contrat. »
La loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne crée l’article L. 3141-19-1 qui indique que lorsque le salarié ne peut prendre ses congés acquis pour cause de maladie ou d’accident, il bénéficie d’une période de report de 15 mois pour les utiliser. A noter que d’après l’article L. 3141-21-1, créé par cette loi également, cette durée peut être rallongée par un accord d’entreprise ou d’établissement, une convention ou un accord de branche. La date de début de ce report de 15 mois dépend de plusieurs facteurs : la durée de l’arrêt et la date à laquelle l’employeur donne un certain nombre d’informations relatives aux congés à un salarié.
L’employeur doit informer le salarié, de retour d’un arrêt pour maladie ou accident, du nombre de congés payés dont il dispose et la date à laquelle il peut les prendre (C. trav., art. L. 3141-19-3). Ces informations doivent être délivrées dans un délai d’un mois suivant le retour du salarié par tout moyen permettant de dater la réception de ces informations, comme une lettre recommandée avec accusé de réception, une lettre remise contre une décharge, un mail ou un bulletin de paie.
La période de report de 15 mois « débute à la date à laquelle le salarié reçoit, après sa prise du travail, les informations » de son employeur (C. trav., art. L. 3141-19-1).
Le Conseil d’Etat notait dans son avis de mars 2024 que ce délai pouvait être « indéfiniment repoussé » tant que l’employeur n’avait pas donné les informations à son salarié.
La loi du 22 avril crée l’article L. 3141-19-2 du code du travail qui permet une dérogation à la partie de l’article L. 3141-19-1 du même code sur le début de la période de report. Si à la date de la fin de la période de référence des congés acquis le contrat est suspendu depuis au moins un an, pour un accident ou une maladie professionnels ou non professionnels, la période de report de 15 mois débute à cette date. Deux cas de figure se présentent alors.
Si le salarié n’est pas revenu pendant les 15 mois, qui débute donc à la fin de la période de référence si à cette date l’arrêt est en cours depuis au moins un an, alors il perd le bénéfice des congés payés acquis durant l’arrêt pour maladie ou accident.
Si le salarié revient à l’issue d’un arrêt pour maladie ou accident pendant la période de report des 15 mois, enclenchée à la fin de la période de référence sur laquelle le salarié est arrêté, il peut alors bénéficier des congés payés acquis pendant son arrêt, et ce sur le temps de report restant.
Ainsi, un salarié qui revient au bout de 10 mois de la période de report aura droit à une période de report de 5 mois. Cette période de report de 5 mois est suspendue au moment du retour du salarié et redémarre lorsque l’employeur communique au salarié les informations prévues à l’article L. 3141-19-3 du code du travail.
→ La loi du 22 avril 2024, entrée en vigueur le 24 avril 2024, portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne met en conformité le droit français avec le droit européen sur la question de l’acquisition des congés payés pendant un arrêt de travail non professionnel.
→ Les salariés concernés cumulent désormais 2 jours par mois de congés payés, contre 2,5 jours pour les arrêts d’origine professionnelle, peu importe la durée de l’arrêt.
→ Cette loi est rétroactive, selon les situations, les salariés peuvent remonter jusqu’au 1er décembre 2009 pour réclamer des congés payés acquis pendant un arrêt non professionnel.
→ Les salariés ont 15 mois pour prendre des congés non pris pour cause d’arrêt.
Le Conseil constitutionnel, saisi en novembre 2023 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité, a tranché en février 2024 sur le fait que l’article L. 3141-5 du code du travail dans sa rédaction résultant de la loi du 8 août 2016 est conforme à la Constitution. Il a estimé que le législateur peut « prévoir des règles différentes d’acquisition des droits à congé payé pour les salariés en arrêt maladie », selon qu’il est d’origine professionnelle ou non.
L’instance a aussi indiqué que la limitation à un an de « la période prise en compte pour le calcul des congés payés d’un salarié absent pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle » est aussi conforme à la Constitution.
La « prescription triennale » pose question. D’un côté, le Conseil d’Etat estime que les salariés ayant quitté leur employeur depuis plus de 3 ans n’ont pas de recours devant la justice. De l’autre, la Cour de cassation, allant dans le sens du droit européen, jugeait dans un des arrêts du 13 septembre 2023 que « le délai de prescription de l’indemnité de congés payés ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congé payé ». La Cour d’appel de Versailles va en ce sens dans une décision du 18 mai 2022.
Cet aspect du sujet n’a pas été abordé avec la loi DDADUE. Si un arrêt survenu avant les congés permet un report, ce n’est pas le cas des arrêts prescrits pendant des congés. L’administration française note ainsi que, peu importe si l’arrêt se termine avant ou après les congés payés posés d’un salarié, « son congé n’est pas prolongé de la durée de son arrêt maladie ». Ceci contrevient à un arrêt du 21 juin 2012 de la Cour de justice de l’Union européenne qui estime que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 (art. 7 paragraphe 1) « s’oppose à des dispositions nationales prévoyant qu’un travailleur, en incapacité de travail survenue durant la période de congé annuel payé, n’a pas le droit de bénéficier ultérieurement dudit congé annuel coïncidant avec la période d’incapacité de travail ».