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Du sport sous haute surveillance

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Alors que les JOP de Paris s’achèvent, l’Histoire nous rappelle que l’image du sport a parfois été manipulée lors de controverses plus ou moins récentes dans le cadre de l’institution pénitentiaire.

À l’heure où la célébration olympique fait l’unanimité, on oublie l’utilisation plus controversée de la pratique sportive dans certains contextes, et notamment en milieu pénitentiaire. Rappelons-nous ainsi la polémique engendrée il y a deux ans par l’expérimentation pour le moins innovante imaginée par le directeur de la prison de Fresnes (Val-de-Marne), qui, avec l’aval de sa hiérarchie, avait organisé une course de karts mêlant détenus et gardiens.

Bien que le tournoi se soit déroulé sans incident et que, sauvant l’honneur de l’institution, les surveillants aient remporté le match, la diffusion sur le Net d’une vidéo de la compétition avait suscité de vives réactions et entraîné une enquête administrative diligentée par le garde de Sceaux. De nombreux internautes s’étaient offusqués d’images jugées choquantes, critiquant l’ambiance survoltée des joueurs qui s’adonnaient de façon spectaculaire à un divertissement aussi sophistiqué. Un syndicat des surveillants avait même déploré que la prison s’apparente à un centre de vacances, et demandé la destitution du directeur. Cet épisode souligne les ambivalences qui ne datent pas d’hier sur le rôle attribué au sport et à ses usages.

Redorer l’image de la prison

Dans les séries de clichés commandités à la fin des années 1920 au photographe Henri Manuel par l’administration pénitentiaire sur ses institutions – notamment ses colonies agricoles pour mineurs –, on découvre avec surprise plusieurs images sur lesquelles les jeunes se consacrent joyeusement à des parties de football, les rayures étant cette fois l’apanage de leur maillot sportif. Au même moment, au sein de la prison de Fresnes, d’autres photos montrent des gardiens qui ont troqué képi et uniforme contre un béret et un débardeur pour se métamorphoser en « moniteurs ». L’affichage est loin d’être anodin dans le contexte de l’époque. L’administration pénitentiaire est en effet prise à partie par une vaste campagne médiatique qui dénonce les violences institutionnelles et assimile ses établissements pour mineurs à des « bagnes d’enfants ».

Pour tenter de renverser cette publicité désastreuse, l’institution a donc demandé à Henri Manuel de capturer dans le déroulé de son reportage plusieurs moments récréatifs et sportifs, quitte à les créer de toutes pièces pour les besoins de la pose. La colonie pénitentiaire d’Aniane (Hérault) ressemble ainsi à une cour de récréation où les jeunes jouent à saute-mouton, livrés à eux-mêmes, alors que sur tous les autres clichés les surveillants sont omniprésents. A un autre moment, ils s’adonnent à des exercices de gymnastique sous la conduite d’un entraîneur qui, pour l’occasion, a fait tomber la veste. La colonie de Saint-Maurice (Loir-et-Cher) semble être dotée de tous les agrès et matériels sportifs extérieurs, les colons évoluant sur les barres parallèles et les cordes à nœuds ou pratiquant le saut en hauteur. Ceux de la colonie maritime de Belle-Ile-en-Mer, qui deviendra la cible des médias pour leur révolte en 1934, semblent par moments mener une vie bucolique ponctuée de pique-niques, de jeux de quilles et de parties endiablées de football. Même les détenus de la colonie correctionnelle d’Eysses, dans le Lot-et-Garonne, réputée pourtant pour sa sévérité, semblent bénéficier d’une barre fixe et de séances de théâtre.

Vertus rédemptrices

Ces mises en scène ne font pas illusion et ne sont pas retenues par les médias de l’époque, qui préfèrent détourner les autres clichés du photographe pour critiquer l’univers carcéral de ces institutions supposées être des alternatives à l’enfermement. Dans ces deux initiatives menées à un siècle d’écart, se pose la dimension ostentatoire de la pratique sportive que vient de nous rappeler le déroulé des derniers Jeux olympiques. Au-delà des performances, il s’agit bien d’un spectacle dont on espère des vertus rédemptrices et réconciliatrices. Les réticences exprimées par certains quant à la participation possible des détenus à ce cérémonial chercheraient à donner des limites au vieil adage : seule une mens sana (« esprit sain ») aurait donc droit à un corpore sano (« corps sain »).

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