Recevoir la newsletter

Les consultants à la rescousse des établissements

Article réservé aux abonnés

Face aux mutations du secteur, de plus en plus de structures sollicitent l’aide d’un tiers. Jokers aux nouveaux contours, les cabinets de conseil ont ainsi vu leur activité s’intensifier et leurs missions se diversifier. Explications et illustrations avec trois projets portés par le Groupe SOS, l’ADMR et deux Ehpad indépendants.

Gestion des risques, du patrimoine, de la qualité, de l’innovation, des finances… On pourrait allonger à l’envi la liste des défis que doivent relever les équipes de direction des établissements médico-sociaux. « On ne leur demande pas d’être bons. On leur demande d’être au top, avec un éventail de compétences qui doit permettre de passer du coq à l’âne d’une minute à l’autre », schématise Benoît Perez, fondateur d’Aléis Conseil. Et d’interroger : « Qui pour s’occuper de toutes ces missions ? Il faut vingt ans d’expérience et, physiquement, c’est difficile à tenir. »

Si, dans le sillage de la loi 2002-2 rénovant l’action sociale et médico-sociale, le secteur n’a cessé de se professionnaliser, l’inflation des missions dévolues aux directions et les exigences du métier ont favorisé le recours à des tiers extérieurs. « Face aux multiples mutations qu’ils vivent, nos clients font largement état de ce besoin d’accompagnement », abonde Tina Garnatz, fondatrice d’Enkaïros. Au-delà des prestations classiques (diagnostics stratégiques, évaluation de la qualité, écriture de projets), sa société est désormais sollicitée pour des demandes plus inédites, comme la mise en place de nouvelles formes d’organisation. « Il y a un changement de paradigme qui vise à favoriser les logiques de parcours de vie et de coopération, explique Akim Guellil, consultant d’Enkaïros. On intervient pour mettre en place des plateformes de services. Mais on peut aussi travailler sur des pôles de ressources et de compétences ou sur le pouvoir d’agir. »

Comme d’autres, le cabinet dépasse donc ses tâches traditionnelles pour y ajouter une compétence de formateur. A tel point que le terme de « consultant » ne reflète plus vraiment la teneur des missions, tant elles sont disparates. Après une carrière d’éducateur spécialisé et de directeur de structures, Benoît Perez a pris des fonctions de consultant en 2008, éprouvant au fil du temps ses capacités d’adaptation. « J’ai l’impression aujourd’hui de faire un autre métier, protéiforme et très changeant. Sur une mission de six mois, je peux avoir quatre ou cinq fonctions différentes, estime-t-il. Commencer par du conseil stratégique avant de glisser vers de la formation ou de l’analyse de pratiques, faire de la recherche-action auprès d’équipes qui ont besoin d’innover, ou encore apporter un appui au niveau financier. »

Certes, les réglementations évoluent. Mais pas seulement. Les territoires changent. Les profils des personnes accompagnées se complexifient. Les modes de vie, impactés par le numérique, se transforment. Et les modalités d’intervention, nécessairement, se renouvellent. « Il faut pouvoir inventer ensemble, travailler les nouvelles postures des professionnels face à des situations inédites », souligne Benoît Perez.

« Parce que les difficultés créent la demande », les structures de la protection de l’enfance sont souvent les premières à faire appel à des cabinets. « On intervient beaucoup sur des problèmes de gestion éducative », remarque Benoît Perez. Souvent, améliorer l’organisation n’est plus un sujet. Aujourd’hui, il s’agirait plutôt de « faire tenir » la structure face au cumul des problématiques, qu’elles soient d’ordre économique, liées au manque d’attractivité ou à la défiance des tarificateurs.

Bien sûr, le recours à un cabinet de conseil a un coût. Mais de l’avis de ceux qui s’adressent à ces professionnels, il est souvent amorti par la plus-value apportée. En témoignent trois exemples, qui illustrent la diversification des activités de conseil : l’ADMR raconte comment elle a mis en place une plateforme de services avec Enkaïros ; le Groupe SOS détaille la mission sur ses pratiques éducatives confiée à Aléis Conseil ; et, enfin, deux Ehpad indépendants des Bouches-du-Rhône témoignent de leur collaboration avec ESMS Conseil pour analyser et optimiser leurs dépenses.

1. Modéliser les pratiques éducatives

« Pourquoi certains jeunes porteurs d’un projet d’insertion le mettent en échec à la sortie de l’établissement, alors que les indicateurs sont au vert ? » C’est de cette problématique, soulevée lors d’ateliers de réflexion, qu’est née en 2020 une recherche-action au centre éducatif fermé (CEF) de Saverne (Bas-Rhin), établissement du Groupe SOS. « L’ensemble des professionnels souhaitait unanimement prendre le temps d’examiner le sens de nos actions », explique Laurence Werle, directrice adjointe. Une certitude : l’action éducative ne se résume pas à un apprentissage de compétences. Elle favorise aussi la stabilisation des comportements du jeune, sa prise de confiance, d’autonomie et d’autodétermination. « Sans cela, il abandonnera, malgré la qualité du projet », souligne Laurence Werle. Mais contrairement à l’insertion, le désir, les valeurs et la conscience qui soutiennent l’approche éducative demeurent moins objectivables. Autant de dimensions pourtant fondamentales dans le projet de la personne.

Pour mettre au travail cette réflexion sur les pratiques éducatives, l’association a sollicité l’agence Aléis Conseil. « On est partis à l’aveugle, avec l’idée de modéliser la réflexion pour la rendre concrète, témoigne son dirigeant Benoît Perez. On a commencé à lister les thématiques à travailler avec les jeunes : certaines sont évaluables, d’autres moins. » En est ressortie l’image de l’iceberg, avec ses parties émergées et immergées, visibles et invisibles. L’ensemble des notions identifiées a pris le nom de « polyèdre éducatif ». Au sommet : l’insertion ou la santé. Au niveau intermédiaire : la socialisation ou les capacités. Puis, dans la partie immergée : l’identité, le désir ou les croyances. A chaque item, son développement : l’identité est ainsi légale, sociale, psychologique mais aussi biologique. « Cette modélisation a permis de rendre palpable une pensée », explique Benoît Perez.

Diffusé sous forme de poster, le polyèdre offre à l’ensemble des professionnels une grille de lecture. Il leur permet de formuler simplement – mais sans simplisme – une problématique complexe, et de créer du sens entre différentes thématiques, « en faisant les bons liens, en évitant les contresens, les non-sens ou les ab-sens », souligne Benoît Perez. En découlent des stratégies éducatives, en fonction des situations vécues. « On sera dans une approche projective si le jeune a pris confiance, ou motivationnelle s’il a un coup de mou, ou plus compréhensive s’il est submergé par des traumas », précise Laurence Werle.

Un des effets majeurs de cette méthodologie : révéler les capacités de compréhension du jeune, pleinement intégré à la démarche. « C’est un outil-référence qui permet de ne pas glisser vers des choses trop complexes, analyse Benoît Perez. Tous les jeunes, même avec des déficiences intellectuelles, comprennent le sens du projet. »

Le travail engagé autour de l’outil se poursuit de manière continue, ne serait-ce que pour transmettre le modèle aux nouveaux professionnels. « On a une structure de base, qu’on enrichit et qui constitue une continuité de pensée, même lorsque l’équipe se renouvelle, détaille Laurence Werle. Elle contribue à créer une identité propre au CEF de Saverne. »

Déposé à l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi), le polyèdre éducatif a, depuis sa création, été réutilisé et adapté au sein de cinq autres structures accompagnées par Benoît Perez. Il devrait faire l’objet d’une évaluation une fois le projet abouti.

2. Décloisonner l’organisation

Le mal est bien connu : les acteurs sociaux et médico-sociaux, comme bien d’autres professionnels, travaillent en silo. Une réalité que Gilles Missonnier a constaté au sein de la structure qu’il dirige, la fédération ADMR 13 (Aide à domicile en milieu rural des Bouches-du-Rhône), association de 1 500 salariés, regroupant une soixantaine de services, de la grossesse à la fin de vie. Dès 2019, le directeur a envisagé la création d’une plateforme de services. L’idée, telle que prônée depuis plus de dix ans par les fédérations du secteur et les tutelles : penser le parcours de vie des personnes et sa coordination. « J’avais la perception qu’il fallait évoluer dans ce sens, mais sans savoir par quel bout le prendre », reconnaît le responsable.

Pour mettre en musique ce changement tant organisationnel que culturel, Gilles Missonnier a mandaté Enkaïros. « Un consultant sait démystifier la problématique, la rendre simple et élever le débat, considère-t-il. Nous étions au ras des pâquerettes, il nous a apporté la théorisation dont nous avions besoin. »

C’est peu dire que la présentation du projet, lors d’un premier séminaire en 2019, n’a pas suscité l’enthousiasme des salariés présents. « Ça venait les affecter sur le plan identitaire. En exerçant de manière plus transversale, ils craignaient la dilution, voire la dissolution de leurs compétences, se rappelle le consultant Akim Guellil. Dans un contexte de mutation, le besoin de sécurité s’exprime par une réaffirmation de l’identité professionnelle. Mais la composante majeure de cette identité doit d’abord être liée, non pas à la technicité, mais aux valeurs que porte le travail social : l’aide et l’accompagnement de l’autre. »

Lever les résistances a donc constitué la première phase du chantier. Il fallait non pas imposer le changement mais proposer à l’ensemble des salariés « une mise au travail », « en formulant l’hypothèse que le projet pouvait ne pas aboutir une fois réfléchi ». Si la crise sanitaire a suspendu le projet pendant deux ans, elle aura aussi facilité l’évolution des points de vue : « Il s’est créé une solidarité entre services, explique Gilles Missonnier. Les salariés ont appris à travailler ensemble. » Une fois sur les rails, le projet a pu mûrir à travers la mise en place, en 2022, de neuf groupes de travail. Il fut question des objectifs et du contenu de la plateforme, ou encore de la coordination de parcours et de la coopération, deux points clés de toute plateforme de services.

Six professionnels ont été formés pour devenir coordinateurs de parcours, avec l’idée d’articuler les dispositifs entre eux. Signe de l’adhésion des équipes, l’ADMR a souhaité rendre compte de l’aventure dans un ouvrage coécrit par une quinzaine de salariés d’horizons divers. Si la mission du consultant touche aujourd’hui à sa fin, Gilles Missonnier espère que « ce travail de lien et de décloisonnement des services va entrer dans les mœurs et s’intensifier ». Mais d’ores et déjà, constate-t-il, « les mentalités ont profondément changé ».

3. Analyser et optimiser les dépenses

C’est l’une des évolutions de cette dernière décennie. Avec l’entrée en vigueur, en 2017, de la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement, les règles de gestion financière des établissements et services médico-sociaux se sont largement complexifiées. Finis les traditionnels budgets prévisionnels : les structures doivent désormais adresser aux autorités de tarification un état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD), suivi quelques mois plus tard par l’état réalisé des recettes et des dépenses (ERRD). Un exercice si technique et stratégique que de plus en plus de gestionnaires sollicitent l’aide d’un cabinet de conseil.

C’est le cas de Stéphane Chorro, propriétaire de deux Ehpad indépendants dans les Bouches-du-Rhône – L’Esterel (93 lits), à Salon-de-Provence, et L’Estelan (87 lits), à Rognes. Chaque année, il transmet au cabinet marseillais ESMS Conseil les différentes données compilées par ses services : rapports médicaux, effectifs annuels, coûts globaux, etc. A l’expert, ensuite, de mettre les bons chiffres aux bons endroits. Et de les rendre « séduisants et intelligibles ». « Dans le cadre des règles fixées, avec de multiples tarifications, on peut affecter des charges de différentes manières. Il est nécessaire d’en discuter avec les tutelles, qui ont leur propre interprétation du cadre, explique Patrick Grosjean, cogérant d’ESMS Conseil. On joue ainsi un rôle d’interface entre deux parties qui, souvent, ne parlent pas le même langage. »

Au-delà de l’exercice formel, si complexe soit-il, la réelle plus-value du cabinet réside dans l’analyse des chiffres. « On effectue un travail de benchmark qui permet de comparer les données de l’établissement avec les moyennes nationales », poursuit-il. Si certaines d’entre elles se distinguent de l’ordinaire, le gestionnaire et l’expert en cherchent les raisons et tentent d’y remédier.

L’analyse des EPRD-ERRD des deux Ehpad a ainsi permis de mettre en lumière une forte augmentation des prix de la restauration collective. « Dans le contexte inflationniste, la maîtrise du coût de l’alimentation est très complexe. Certaines entreprises tirent les prix sur une liste de produits et abusent dès qu’on en sort, explique Stéphane Chorro. Je me rendais bien compte que ce poste me coûtait davantage, mais sans savoir si je le surpayais. Ce travail de benchmark a permis d’objectiver ces dépenses et de rectifier le tir. » C’est cette même analyse qui a révélé un trop fort recours à l’intérim l’an dernier. « On a cherché à s’améliorer, poursuit Stéphane Chorro, en créant notamment un poste d’aide-soignante de liaison. Elle est chargée d’accueillir les nouveaux salariés, de résoudre les tensions qui pourraient naître au sein de l’équipe. » Et si le recours à un cabinet a un coût, le directeur d’Ehpad est catégorique : « On le rentabilise ! » Dernièrement, il a confié à ESMS Conseil la réponse à un appel à projets en vue de la création d’un pôle d’activités et de soins adaptés (Pasa). « Sans le cabinet, assure-t-il, on ne l’aurait jamais obtenu ! »

Une formation estampillée Enkaïros

C’est l’une des premières formations dédiées exclusivement au métier de consultant dans le secteur social et médico-social. Proposée par le cabinet Enkaïros, elle s’adresse aux directeurs, aux ingénieurs sociaux ou aux professionnels dotés d’une expérience significative. A travers différents modules, elle aborde les contextes de l’intervention avec les politiques publiques en vigueur, la posture et les compétences du consultant, les dynamiques de groupe, les approches métho­dologiques ou encore l’intégration culturelle du changement. Etendue sur une période d’un an, la formation comprend 27 jours en présentiel et 6 en distanciel, ainsi que des périodes de stages et de travaux pratiques.

Plus d’infos sur www.enkairos.fr

Management & réseaux

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur