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« En avant toute » avec Sadek

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Depuis trente ans, Sadek Deghima lutte contre le déterminisme social présent dans les quartiers populaires du Pas-de-Calais. A l’avant-garde de la prévention spécialisée, il ne se fixe aucune limite pour redonner confiance aux familles et aux jeunes « oubliés ».

« Ici, on est bien situé. Voyez, les locaux sont sur l’axe principal entre Lens et Hénin-Beaumont. C’est important d’être visible », lance Sadek Deghima en nous accueillant au sein des locaux de l’association Avenir des cités, basée au centre de Billy-Montigny (Pas-de-Calais). Le chef de service a le regard franc et la voix qui porte. D’emblée, il prévient : « La plupart des journalistes que je reçois cherchent des informations à charge sur les jeunes des quartiers, c’est agaçant ! »

Il faut dire que l’ancien éducateur a la prévention spécialisée dans le sang et la stigmatisation en horreur. Il connaît le terrain sur le bout des doigts. Fils de mineur, sans diplôme en poche, il enchaînait les missions d’intérim lorsqu’il a rencontré celui qui a provoqué en lui le « déclic » pour se lancer dans le travail social. « Je me suis dit, ça y est, je sais exactement ce que je veux faire ! »

Valorisation et ascension

Depuis toutes ces années, son credo est resté le même : responsabiliser les adolescents issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville, grâce à des projets qu’ils élaborent ensemble. « Il faut rendre les jeunes acteurs de leur vie. Ce sont des futurs citoyens. Ils grandissent dans des familles où ils n’ont pas toujours la possibilité de s’exprimer. Nous nous devons de faire en sorte qu’ils ne deviennent pas de simples consommateurs. » Le tout, dans le respect d’un principe fondamental de la prév : privilégier les actions « hors les murs ».

L’équipe d’Avenir des cités intervient ainsi sur trois communes du département : Harnes, Sallaumines et Billy-Montigny. Chaque année, elle accompagne 240 jeunes de 11 à 16 ans. « Notre boulot consiste à les valoriser à travers des activités collectives comme le sport, la peinture ou l’organisation de séjours… La culture est extrêmement importante, c’est le seul domaine qui rassemble toute la société. » Le travail de rue permet à la fois d’ouvrir le champ des possibles et de proposer un accompagnement personnalisé à chaque jeune dans ses démarches : rechercher un lycée, rédiger un CV, trouver un logement…

Le chef de service l’assure, les mauvais résultats scolaires ne sont pas déterminants. Pour preuve, il s’est lui-même formé sur le tas. « Le fameux éduc de rue qui m’a donné le goût du métier m’avait assuré que le bac n’était pas nécessaire pour devenir moniteur-éducateur. A mon tour, je le dis régulièrement aux jeunes que je rencontre. » Après avoir exercé durant treize ans au sein de clubs de prévention, l’obtention d’une licence en sciences de l’éducation puis du Caferuis(1) en 2013 marquent ses premières grandes montées en compétences. Il agrémente ensuite son expérience en prenant les rênes d’un service d’accueil de jour pour adultes en situation de handicap, avant d’entreprendre un master en management des établissements sociaux et médico-sociaux et le Cafdes(2). Une belle revanche pour le jeune homme frustré de ne pas avoir connu les bancs de la fac.

Sadek Deghima est installé autour d’une table ronde. Un choix de mobilier déterminant, selon lui, pour nouer une relation. « C’est symbolique. Autour d’un bureau, une des personnes se trouve toujours du mauvais côté. » Le responsable n’aime pas les pesanteurs protocolaires et a le tutoiement facile. Une proximité qu’il entretient auprès des jeunes et de leurs familles et qui lui permet de se connecter à eux. « Les ados sont anxieux, parfois même dépressifs sans en avoir conscience. Beaucoup restent enfermés… Mais ils disent toujours qu’ils vont bien. Ils gardent leurs tourments pour eux », détaille le professionnel, un peu inquiet. Au gré des rendez-vous, il prend la température et sent « monter » les problématiques rencontrées par les jeunes de ces quartiers populaires. Grâce à son acuité, les sujets abordés au quotidien se révèlent souvent être de véritables phénomènes de société.

Parmi les causes de ce mal-être qui ne fait que croître depuis le Covid, des divorces difficiles, des violences familiales en hausse ou encore la précarité. « J’ai l’impression que certains jeunes sont résignés et vivent au jour le jour, comme s’ils allaient mourir demain. Ils n’arrivent pas à se projeter. Les difficultés ont tendance à se répéter de génération en génération… Notre rôle est de leur redonner confiance. »

Ne voir que les opportunités

Suractif et résolument optimiste, Sadek Deghima estime que chaque problème a une solution. Proximité, créativité et innovation, il a le don de transformer les contraintes en opportunités. « Les barrières financières, humaines ou matérielles obligent à créer de nouveaux dispositifs. L’essentiel est de répondre aux besoins qu’on identifie. C’est pour cela, par exemple, que l’équipe est désormais renforcée par la présence d’une psychologue. » Quels que soient les obstacles, pas question de végéter dans une quelconque zone de confort. Les indicateurs de santé sont mauvais ? Le responsable invente un nouveau binôme éducateur/infirmière pour sensibiliser les jeunes via des maraudes. Les locaux sont d’ailleurs en train de se transformer en salle de vaccination pour les familles qui renoncent aux soins.

Les jeunes sont trop sédentaires ? Un bus aménagé en salle de boxe s’est installé depuis plusieurs mois au cœur des quartiers, pour que les adolescents puissent bénéficier de séances de sport près de chez eux. « Les maraudes gravitent autour, il s’agit là d’assurer le lien entre la santé et le sport », souligne Sadek Deghima.

Même détermination pour s’adapter à l’isolement et aux nouveaux modes de vie du public. Depuis 2019, l’association propose des permanences numériques où les éducateurs deviennent « promeneurs du net » sur les réseaux sociaux. « J’accorde une grande confiance à mes équipes. Elles sont curieuses et n’ont pas peur de l’inconnu, c’est primordial. » Bien conscient des faiblesses du budget de fonctionnement, notre homme n’en est que plus déterminé. Il déploie une infatigable énergie à lever des subventions. Tous les moyens sont bons également pour communiquer. « Il faut se battre. C’est mon boulot d’être la locomotive. Il faut toujours essayer. Les challenges m’animent », avoue-t-il en souriant.

Des propos corroborés par Nordine Lagragui, éducateur pour l’association depuis vingt-quatre ans et binôme de Sadek Deghima durant sept ans. « Quand il est monté en grade, j’ai eu peur qu’il change… Mais non ! Malgré ses responsabilités, il privilégie toujours l’humain. Sa porte est restée ouverte grâce à un management collaboratif. On peut compter sur lui. Il a surtout apporté un souffle nouveau, en professionnalisant notre fonctionnement. » De son côté, le cadre a surtout su résister à une forme de cynisme. Pour lui, après tant d’années sur le terrain, les rencontres restent primordiales. « Elles peuvent changer des vies. » A l’évocation d’un jeune en grande souffrance, dont il observe aujourd’hui la réussite, quelques larmes lui montent aux yeux.

Transmission et incarnation

Humanisme, solidarité, fraternité, ses valeurs dépassent largement la sphère professionnelle. « Je montre à mes trois enfants qu’ils sont chanceux et que le partage est important. Il ne faut pas oublier d’où l’on vient », assène Sadek Deghima qui se sent toujours imprégné par le milieu ouvrier de ses parents. « Je quitterais mon emploi s’il n’allait pas dans le sens de ces fondamentaux. » Une philosophie partagée avec sa femme, enseignante dans le secteur social et ancienne éducatrice en prévention spécialisée. Un couple tourné vers la transmission, puisque le responsable enseigne lui aussi, depuis une quinzaine d’années, dans différents instituts de travail social.

Lorsqu’on lui demande s’il aimerait faire autre chose, prendre du galon ou peser davantage dans le débat public, Sadek Deghima est très clair : il n’en est pas question. La politique ? Elle le priverait de sa liberté. Diriger un établissement plus grand ? Aucun intérêt. Ici, à Avenir des cités, il se sent chez lui. Utile. « Notre public est à un âge charnière, où l’on peut déclencher des choses. Nous sommes en première ligne pour déconstruire les discours et pour faire espérer la jeunesse. »

Notes

(1) Certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale.

(2) Certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale.

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