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Un quotidien parfois à l’euro près

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Au fil des ans, l’inflation et la faible progression des salaires ont grignoté le pouvoir d’achat des travailleurs sociaux. Au point que, désormais, leur niveau de vie vacille, tout comme leur vision du métier.

Ils avaient choisi le travail social par vocation. Pour eux, les bas salaires du métier n’avaient rien d’un scoop. Et pourtant cette question de l’argent a fini par les rattraper. « Le coût de la vie m’impacte tellement que j’ai commencé à vaciller sur mes espoirs dans le métier », explique Christine(1), éducatrice spécialisée en milieu ouvert à Paris depuis onze ans, 1 950 € net par mois, prime « Ségur » comprise. Pour assurer vacances et activités extrascolaires à ses deux enfants, elle fait aussi des heures supplémentaires ou corrige des écrits d’étudiants pour une école de travail social. Locataire et en couple, elle voit bien l’effet de la vie parisienne sur son niveau de vie : « J’ai des amis éducs à Rennes qui ont le même salaire que nous, mais eux vivent dans des maisons avec jardin. »

Charges de famille

Même métier et mêmes difficultés en Seine-Saint-Denis pour Lucie, 23 ans d’expérience et 2 100 € net par mois, avec heures supplémentaires. « Après la nourriture et les activités extrascolaires, il nous reste 20 €. En ce moment, je n’arrive pas à épargner. Nos sorties de cet été, on va les faire avec les chèques-vacances, pas plus », explique cette mère de trois enfants, dont un en bas âge. Pour la première fois, elle a dû demander de l’aide à l’assistante sociale du collège de sa fille pour lui payer des soins d’orthodontie. « J’étais en pleurs, cette démarche était très compliquée pour moi », avoue-t-elle. La situation déteint aussi sur sa manière de travailler avec les familles faisant l’objet de mesures. « J’accompagne davantage les familles sur le versant social, alors que ce n’est pas ma mission première », reconnaît-elle.

Les travailleurs sociaux hors de la région parisienne se plaignent eux aussi des bas salaires, qu’ils jugent incompatibles avec la vie familiale. « Quand je n’avais pas d’enfants, je trouvais que je m’en sortais bien », explique Sandrine, éducatrice spécialisée en Sessad, diplômée depuis 2009. Son mari travaille dans le même secteur, également sous convention 66. Elle se souvient de s’être sentie pauvre lors de la crise des « gilets jaunes », après avoir entendu le salaire moyen des Français dans les médias. Depuis, la prime « Ségur » lui a permis de dépasser le seuil des 2 000 € net mensuels. Ce qui « a fait son effet », convient-elle. Mais le couple surveille toujours ses comptes. Assistante sociale depuis 2009 dans un département bourguignon, Julia, 48 ans, a choisi d’inscrire ses deux enfants dans une école privée. Question de « qualité » d’éducation. Elle tient aussi à leur assurer un bon niveau d’activités extrascolaires. Elle touche 2 300 € net. « Pour joindre les deux bouts, c’est compliqué », avoue-t-elle, pensant déjà au financement du logement de son aînée lorsqu’elle partira faire ses études.

Les femmes seules en première ligne

Les femmes seules accusent le coup elles aussi. « Quand j’étais avec mon mari qui gagnait bien sa vie, je ne m’étais jamais dit qu’il y avait un problème. Depuis que je l’ai quitté l’an dernier, les fins de mois, les loisirs et les sorties ne sont plus les mêmes. Une fois le loyer payé, il me reste environ 450 € pour manger, payer le carburant, m’habiller et accessoirement sortir. Il ne faut pas que la voiture tombe en panne », explique Corinne, aide médico-psychologique au sein d’un foyer d’accueil médicalisé de la fonction publique dans le Gers. Après 21 ans de carrière, elle touche 2 060 € net.

Etre une jeune mère isolée, en particulier, ne fait pas bon ménage avec les standards salariaux du travail social, sauf à travailler le soir ou les week-ends pour gagner un peu plus. La situation de Clara, une monitrice-éducatrice de 37 ans en Haute-Garonne, s’est dégradée dès l’entrée de sa fille en école maternelle. Perdant sa solution de garde, son poste en centre départemental enfants et familles (CDEF), payé 2 200 € net mensuels, devient incompatible avec ses nouvelles contraintes. Elle a trouvé un poste en horaires de jour dans un institut médico-éducatif (IME), sous convention 51, mais au prix d’une forte baisse de salaire : 1 650 € net, et sans aide pour parent isolé. Pour gagner plus, elle compte décrocher le diplôme d’éducatrice spécialisée. Mais aussi tester un nouveau poste d’éducatrice à domicile, proposé cette fois par une entreprise de services à la personne, pour 13,50 € brut de l’heure. Dans ce nouveau cadre, elle espère un léger mieux, grâce à la prise en charge des indemnités kilométriques.

Des salaires négociés

Malgré ces difficultés, parler des bas salaires reste tabou. « Je trouvais que j’étais sous-payée, mais pour certains collègues on ne pouvait pas décemment gagner de l’argent sur la misère », se souvient Claire, ex-coordinatrice sociale au Samusocial de Paris, fonction pour laquelle elle touchait 1 700 € net. Elle se rappelle avoir été ulcérée par l’absence de remboursement de son pass Navigo, alors qu’elle était mobile : « A six mois de grossesse, on m’a dit que je pouvais avoir un vélo gratuit à Paris. » Depuis, elle a quitté son T2 en région parisienne pour une maison en province et un poste de responsable chargée du fonds de solidarité logement dans un département où les travailleurs sociaux sont classés en catégorie A. Elle y est payée 2 020 € net.

Les fiches de paie surprennent aussi les débutants dans le travail social. « En formation, on nous avait dit que le salaire minimal dans le cadre d’une reconversion était de 1 700 €, mais pas que c’était en travaillant les week-ends et les soirées », lance Fabienne, qui a donc carrément décidé de… partir en Allemagne, où elle a des attaches. Ancienne aide-soignante, Elsa pensait elle aussi améliorer son niveau de vie tout en cumulant des horaires de jour, grâce à un poste d’assistante sociale en département. Mais la distance domicile-travail grignote sa paie de 2 100 €. Mère de trois enfants, elle envisage un nouveau poste dans un hôpital plus proche de chez elle, en 4/5e mais payé pareil, afin de diminuer à la fois le carburant et les frais de crèche.

« C’est dommage d’en arriver à devoir négocier », regrette-t-elle. Une pratique devenue courante, selon Isabelle Roudil, secrétaire générale adjointe de la Fédération de l’action sociale de Force ouvrière. « Certains salariés en position de force arrivent à négocier des avantages, comme du temps libre le mercredi pour éviter des frais de nounou. Mais cela complique les plannings et accroît le sentiment d’injustice », constate-t-elle. Certains étudiants en travail social commencent à être briefés par leurs formateurs. « Ils nous disent de négocier nos contrats, parce qu’on est en position de force », souligne Corentin, éducateur spécialisé âgé de 25 ans. Payé aujourd’hui 1 679 € net dans un centre d’hébergement de la petite couronne parisienne – où il travaille en CDD –, il compte bien privilégier à l’avenir des salaires au-delà des 2 000 €. Il en voit déjà certains sur les sites d’offres d’emploi. « Hors de question que je touche le minimum. »

Notes

(1) Les professionnels ont été anonymisés.

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