La prunelle noire, le poing serré, silencieux. Je pose de temps en temps ma main sur son genou tressautant. A chaque bruit de couloir, sa tête se tourne brusquement vers la porte. Il cherche mon regard ensuite. Je lui souris et lui adresse un clin d’œil.
Voilà quarante-cinq minutes que nous attendons. Presque rien. Les robes noires défilent devant nous comme un vol de corbeaux funestes, des dossiers sous les bras, le pas pressé, le menton haut.
Un ado et ses parents nous rejoignent. Ils s’assoient en face de nous. Ils sont accompagnés d’une éduc que je connais bien. Elle reste debout. On se salue. Les regards des jeunes se captent, puis se fuient.
Le silence se fait lourd. Un toussotement. Les bruits de clavier de la secrétaire affairée. Puis, enfin, un début de conversation avec sa collègue de bureau, comme si nous n’étions pas là :
« Tu vas où cet été, toi ? Nous, on a réservé un mobile-home à Arcachon, comme l’année dernière. Les enfants ont adoré. » « Nous, on ne part pas cette année. Seuls les enfants vont aller chez leurs grands-parents. Trop de travaux à la maison. On a toute la chambre d’Anthony à refaire. Il a tout pourri. J’en peux plus de ce gamin. »
Echange de regards circonspects, entre envie de pleurer et envie de se moquer. Quelle misère ! Toujours les mêmes vacances à Arcachon ou des travaux forcés à cause d’un gamin ingrat ! Les pauvres ! Avec Dylan, on se comprend. Je lui lance un discret : « Et toi, tu vas où cet été ? », sachant autant que lui qu’il passera sans doute les deux mois au foyer. Il me fixe, esquisse un sourire. Je relance : « Arcachon ? Miami ? Dubaï ? » Il lâche un rire sonore et profond, presque dérangeant dans la solennité de l’instant et du lieu.
C’est à ce moment que la greffière débarque dans la salle d’attente et appelle : « Dylan ? C’est à toi. Monsieur le Juge va te recevoir avec ton éducateur. » Nous nous levons dans un même élan. Dylan jette un dernier coup d’œil sur la porte d’entrée. La greffière demande : « Tes parents ne sont pas là ? » Manifestement, elle est très perspicace. Une fois de plus, en effet, ils sont bel et bien absents. Dylan hausse les épaules. En lui adressant un coup de coude complice, je me permets de répondre : « Non, mais peut-être sont-ils occupés aux travaux de sa chambre à la maison ? Tout est possible. » Sourcil interrogateur de la greffière. Œil ému de Dylan.
Effectivement, en dépit des portes closes et des désillusions répétées, tout reste possible. C’est dans ce fragile équilibre et dans la complicité partagée de cette salle d’attente, entre violence symbolique et espoir de résilience, qu’a pu démarrer cette audience.
Conclusion ? Maintien du placement. Tous les rêves sont encore permis. Chambre neuve à la maison ou bassin d’Arcachon ? Qui sait ? Il y a tant d’autres destinations ! Reste à les envisager.