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Sainte Sociale

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Madame Grandemont entre dans mon bureau, tandis que la salle d’attente est bondée. C’est une petite femme qui porte fièrement ses 84 ans. Elle est maquillée et a tiré ses cheveux blancs en un chignon haut. Propriétaire d’un domaine sur la commune, elle recherche des informations pour louer sa petite dépendance. Alors qu’elle s’installe à mon bureau, elle me regarde d’un air contrit, ou peut-être condescendant :

« Oh ma pauvre ! Ça ne doit pas être facile de travailler avec ces pauvres gens…

– Qu’entendez-vous par là ?

– Je veux dire ces… cas sociaux… Vous êtes une sainte pour recevoir ces gens sans les juger, et les aider malgré eux…

– Malgré eux ?… Si je peux me permettre, chacun d’entre nous est un cas social. Vous venez dans mon bureau pour vous informer sur la législation locative…

– Ah mais… ce n’est pas la même chose ! Enfin, vous ne pouvez pas me comparer… »

Monsieur Delamarre m’explique qu’il fait du black pour s’en sortir. Il me jette un œil par-dessus ses lunettes en disant :

« Je me confesse, vous ne pouvez pas le répéter, n’est-ce pas ?

– Nan, désolée, mais la confession, c’est l’église d’à côté. Et si je ne le répète pas c’est parce que je suis diplômée d’Etat d’assistante de service social et que je suis soumise au secret professionnel, ce qui n’a rien à voir avec la Bible. »

Elle est arrivée dans le service avec ses collants en couleur, ses pulls chatoyants. Elle rit à gorge déployée, faisant tinter ses bijoux d’oreille en argent. Elle laisse s’envoler ses boucles de cheveux, qu’elle a teints en bleu, lorsqu’elle ouvre la porte du patio pour allumer une cigarette. Tout ça, c’est peut-être pour s’émanciper des jupes plissées des bourgeoises de la charité chrétienne…

Ma collègue raconte brièvement son dernier entretien, qui s’est terminé par le placement en urgence des enfants. Le père lui a hurlé que les bonnes sœurs ne faisaient pas ça, qu’elles avaient un cœur, elles. Et qu’elle ferait bien de revoir sa copie parce qu’elle était loin d’être dans les clous.

Mais bordel, les bonnes sœurs n’ont pas besoin de formation, elles ont juste besoin de croire en Dieu. Et ma collègue, elle, ne croit pas en Dieu. Elle croit, oui, mais en l’être humain. Elle croit dur comme fer qu’il est plus fort qu’on ne le croit pour s’extirper de ses sombres méandres. Il n’y a rien là de divin et point de sainteté, juste des connaissances, des techniques, une expérience et une légitime préoccupation pour l’être humain.

Pinki Blenders

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