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« N’ayons pas peur de l’amour dans le travail social »

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Ancien enfant placé, Christian Haag est éducateur spécialisé et auteur de deux livres remarqués. A l’instar de Philippe Gaberan, dont il admire l’ouvrage « Oser le verbe aimer en éducation spécialisée », il soutient le retour en grâce des affects dans la profession. Parce que « les enfants ne sont que des enfants » aime-t-il rappeler à ses collègues.

« Ce sont des macarons pour vous remercier d’être venue de Paris pour me rencontrer. » Christian Haag est comme ça : attentionné. « Trop gentil » lui a dit une ex-amoureuse. Une remarque étrange pour celui qui est né en prison d’une mère qui a failli l’empoisonner aux barbituriques. Car l’éducateur spécialisé de 38 ans, qui s’occupe d’enfants de 5 à 10 ans dans un foyer d’accueil d’urgence de Strasbourg, revient de loin.

Son histoire d’enfant confié à la naissance, d’abord en pouponnière puis en famille d’accueil et en foyer, il l’a racontée dans un premier livre Le Murmure des démons, publié en 2019. Il y décrit l’enfant abandonnique qu’il était, prêt à tout pour attirer le regard : « Alors que j’implorais l’amour, je détruisais tout ce qui était positif, mes jouets, les photos… Je ne supportais pas les compliments, je pourrissais mes fêtes d’anniversaire, j’étais insupportable, violent, méchant. J’allais très mal. » Un jour, il lève le poing contre Pierrette, son assistante familiale. Il ne la touche pas mais, désarmée devant son comportement, elle jette l’éponge. A 14 ans, Christian Haag se retrouve dans un foyer, laissant derrière lui Nathalie, sa jeune sœur, placée avec lui. Une sœur, éducatrice spécialisée elle aussi, à laquelle il est très lié. En témoigne, le tatouage qu’il partage avec elle sur le bras droit et qui scelle leur destin : 20.10.1990, date de leur arrivée dans leur famille d’accueil, et une feuille, souvenir du bouquet de feuilles mortes qu’ils avaient confectionné pour la remercier.

Roundo, un nom gitan

Aujourd’hui, celui qui avait 4 ans à l’époque a pansé en partie ses blessures mais il sait la fragilité. « En vrai, je ne pète pas vraiment la forme. J’ai l’âme handicapée et le bonheur coupable. J’ai encore du mal à imaginer que je suis aimable. Les gens ne se rendent pas compte, mais l’abandon, ça te pourrit l’existence », lâche Christian Haag devant son deuxième diabolo à la violette. Pour autant, il n’en veut pas à ses parents. Il n’a pas connu sa mère, morte en 2002. Chez elle, elle avait épinglé au mur la photo de chacun de ses dix enfants, tous du même père, tous abandonnés. « J’ai de la peine pour elle, j’aurai tellement aimé la voir », s’émeut-il. Son père, il l’a vu une seule fois, à l’âge de 17 ans. « Il ne m’a pas parlé et m’a juste glissé un billet de 10 € dans la poche. Ça a été un cauchemar, j’en suis revenu effondré. » A part Nathalie, et une nièce qu’il ira rejoindre cet été dans le sud, il ne côtoie personne de sa famille. « Je viens d’une lignée de manouches, on est différent », s’excuse-t-il presque en oubliant de préciser qu’au travail « tout le monde l’appelle Roundo, son prénom gitan », dévoile Bernadette Baeck, la coordinatrice de l’équipe.

Lui est fier d’être le premier des Haag à avoir décroché son bac. L’école a été un refuge et un bonheur pour ce bon élève. Le théâtre et le sport ont également nourri l’ego de l’adolescent qui a été champion de France de sprint vers 15 ou 16 ans, il ne sait plus. Mais il existe surtout une femme à laquelle il s’est accroché comme une moule à son rocher : Céline Dion. Celle qui chante les sentiments. Le 25 juin, un documentaire lui était consacré à la télévision que ce fan absolu n’aurait raté pour rien au monde : « C’est idiot mais je crois que j’ai recherché l’amour maternel à travers elle. » Il a tellement écouté son idole qu’il peut reproduire l’accent québécois d’un claquement de doigt et réciter ses interviews. « C’est une figure qui est toujours là, qui rassure, berce », confie-t-il. De quoi effacer un peu la honte qu’il avait de vivre dans un foyer : « Je l’ai toujours caché, mes camarades ne l’ont jamais su, je ne voulais pas être assimilé à un “cassos”. »

Un métier magnifique

Parce qu’il aimait lire et écrire, à l’adolescence, Christian Haag a songé à devenir professeur de français mais, comme d’autres jeunes de l’ASE, son parcours l’a rattrapé : « J’ai toujours été entouré d’éducs. Ils exercent un métier magnifique, vraiment humain. Alors j’ai voulu faire pareil. » Dans Les Sillons du quotidien, son deuxième livre paru au printemps dernier, il met en parallèle son enfance abîmée, ses troubles de l’attachement qui l’ont conduit à se replier sur lui-même… et ses expériences professionnelles. Il relate, entre autres, comment un éducateur, Jean, l’a pris dans ses bras et écouté un soir de grande détresse. Une épaule sur laquelle il a pu pleurer. « Jean avait répondu à mon besoin de consolation, d’empathie, d’affection. La petite dose d’amour dont j’ai été chargé ce soir-là avait été donnée par un humain à un autre. Il avait comme validé, reconnu, légitimé mes souffrances », écrit-il. Une approche qui aide à tenir debout et que Christian Haag essaie d’appliquer à son tour dans sa pratique. C’est dire si le concept de « bonne distance » lui est étranger.

Son credo : « N’ayons pas peur de l’amour dans le travail social. » Si chacun a sa manière d’aborder l’autre, les affects, les petits riens qui font se sentir compter pour quelqu’un, Christian Haag les défend : « Cela ne fait pas de moi un meilleur éduc qu’un autre, et il ne s’agit pas de donner à tout prix ou de se laisser dépasser mais cela ne me pose aucun problème qu’un gamin me saute dans les bras ou me fasse un bisou. » De même, il estime qu’une sanction n’a pas besoin d’être humiliante ou effrayante pour des enfants qui morflent déjà beaucoup. Un sujet qui fait parfois débat dans son service, avoue-t-il. Lui plaide en faveur d’une « discipline positive ». Une méthode d’éducation enseignée, selon lui, dans environ 60 pays, qui allie fermeté et bienveillance. Deux mots qui le définissent bien. L’éducateur spécialisé n’entend pas juger ni condamner, juste interroger son métier. « Il se pose beaucoup de questions, c’est essentiel et une force pour l’équipe d’autant qu’il est aussi très imaginatif et apaisant pour les enfants », estime sa coordinatrice.

La « honte » et des idées

Les failles de l’aide sociale à l’enfance, il les connait mais « pour avoir été de l’autre côté, le système est plutôt bon », nuance-t-il. En juin dernier, il a participé à la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance à l’Assemblée nationale. Si Pierrette, son ancienne assistante familiale, a été fière de son protégé, lui a été très déçu de n’avoir la parole que cinq minutes. Et encore, parce qu’il l’a réclamée. Quant à la salle quasi vide, « une honte » a-t-il écrit dans un post sur LinkedIn. De même, il ne s’est pas senti à sa place au comité de vigilance des enfants placés, créé par le très médiatique Lyes Louffok, mais « s’il peut faire bouger des choses, tant mieux », glisse-t-il. Christian Haag n’est pas un militant, n’empêche, il a des idées. L’une vise à lutter contre le manque criant de moyens et les inégalités entre les départements par un système de notation qui les contraindraient à allouer un minimum de budget à la protection de l’enfance. « Là, ils font un peu ce qu’ils veulent. Certains refusent des MNA, c’est anormal », pointe-t-il. Il propose aussi la création d’une structure indépendante de contrôle des lieux d’accueil et une meilleure formation des assistantes familiales, « trop souvent isolées et peu reconnues ».

Devant l’augmentation des troubles psychiatriques chez les enfants accueillis, face auxquels les professionnels sont démunis, il suggère qu’à l’instar des Ehpad, chaque structure dispose d’un budget soins afin de recruter des professionnels de santé sur place. En attendant Christian Haag, qui vit « un peu en hermite » de peur de s’attacher, a été missionné par sa cheffe de service pour relire les rapports de ses collègues avant elle. Une confiance qui le touche car il sait combien une mauvaise formulation peut conditionner l’avenir d’un jeune. Il va aussi être maître d’apprentissage pour les nouvelles recrues de son établissement, de plus en plus nombreuses à ne pas être diplômées en travail social. Surtout, il va continuer à écrire pour lui. « Mes livres sont le plus beau cadeau que je me suis offert. »

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