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« Le sport est un outil à manier avec prudence »

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Pour être au service de l’accompagnement social, la pratique du sport doit répondre à une démarche précise, observe le sociologue Gilles Vieille Marchiset. A cet égard, les Jeux olympiques de Paris (JOP) n’ayant pas été suffisamment préparés, leur héritage risque de ne pas bénéficier aux plus précaires.
Que peut le sport pour le travail social ?

Il est important de souligner que, malgré les discours politiques encenseurs, il n’est pas un outil miracle. On lui donne parfois trop d’importance. Pour que le sport soit un outil d’intervention sociale, Il doit nécessairement être accompagné d’une démarche précise. Elle doit être structurée par une tête de réseau – la municipalité, une association locale, etc. – et des parties prenantes qui veulent s’inscrire dans la durée. Et non s’en tenir à des actions événementielles.

La démarche éducative – les travailleurs sociaux le savent – doit aussi être centrée sur la personne. Si cette dernière est intéressée, le sport peut faire partie de la panoplie d’outils, dans le cadre d’un accompagnement global. Les acteurs sportifs, souvent concentrés sur la performance de la personne, peinent à l’envisager. Pour agir, les professionnels doivent être formés. Des propositions existent, comme la licence pro « Développement social et médiation par le sport », à l’université de Besançon. Mais les intervenants ayant la capacité de faire de la médiation sociale par le sport, qu’on appelle éducateurs ou animateurs socio-sportifs, sont rares. Et du côté du travail social, peu d’établissements de formation placent le sport comme un outil d’intervention.

Comment le sport à visée sociale, le socio-sport, s’est-il développé ?

Les travailleurs sociaux ont d’abord fait preuve de résistance, notamment la génération des éducateurs formés dans les années 1970-1980. Ils s’inscrivaient dans un contexte contestataire : la sociologie critique de Jean-Marie Brohm, auteur en 1976 de Sociologie politique du sport, avait alors beaucoup d’échos. Le sport, d’essence bourgeoise, était perçu comme générant de la sélection et de l’exclusion. D’où un certain scepticisme des éducateurs à l’idée de l’intégrer dans leurs pratiques professionnelles.

Puis vint le travail mené dans le cadre de la politique de la ville. Pour pacifier les banlieues après les émeutes urbaines du début des années 1980, l’Etat a pris des engagements forts : des équipements sportifs de proximité ont vu le jour et des professionnels ont été formés à l’éducation socio-sportive.

Les années 1990 ont constitué un moment de bascule où le sport est venu au secours de la politique de la ville. C’est à partir de là qu’il a acquis ses lettres de noblesse auprès des travailleurs sociaux.

Cette logique a perduré, avec des financements d’Etat plus ou moins importants. Les années 2000 – notamment le mandat du ministre Jean-François Lamour (2002-2007) – sont un âge d’or, grâce aux emplois aidés. Pendant la présidence de Nicolas Sarkozy, cette logique a été délaissée et occultée par le sport-santé.

Le sport peut-il servir différentes finalités ?

Cette activité est un caméléon qui prend la couleur qu’on veut bien lui donner. Elle diffuse des valeurs très différentes selon qu’elle est utilisée par des régimes autoritaires ou par des démocraties. Le sport-citoyenneté, par exemple, utilise les valeurs de respect, de solidarité, pour apprendre à vivre avec les autres ou encore pour favoriser la rencontre des cultures. Certains projets mêlent sport et culture : les danses urbaines ont ainsi été très utilisées. Elles ne diffusent pas les mêmes valeurs que le sport mais contribuent à valoriser les jeunes.

Le sport-santé est une démarche très récente qui fait suite à une prise de conscience à la fin des années 2000, notamment avec le rapport 2008 de l’Inserm relatif aux effets délétères de la sédentarité sur la santé. L’Etat a alors développé le sport-santé, surtout à partir de 2012. Fondée sur une prescription médicale, la démarche a été mise en place auprès de toutes les populations, avec une attention particulière portée sur les classes populaires, les plus souvent atteintes de pathologies liées à l’obésité. L’effet de ces politiques publiques toujours en cours aujourd’hui s’est avéré relatif : le dispositif a parfois été perçu de manière stigmatisante, et la population la plus précaire n’a pas toujours été touchée par les messages de santé publique.

Des initiatives se développent pour les publics exilés. A quels objectifs répondent-elles ?

La démarche a été mise en place dans les pays anglo-saxons, avant que la France l’expérimente à son tour. Beaucoup de choses se sont alors développées avec une certaine réussite, à l’instar de Futbol Mas. Ses philosophies d’action ont notamment été analysées par une équipe de chercheurs de Rennes, qui s’est intéressée à des dispositifs européens d’accompagnement des réfugiés par le sport. Les chercheurs ont souligné les différentes logiques à l’œuvre : l’intégration, la création d’un sentiment d’appartenance, l’éducation à la citoyenneté, l’émancipation, l’enrichissement culturel, la lutte contre les discriminations, etc. L’équipe note aussi les bienfaits en termes de santé globale, d’estime de soi et de dignité des personnes. A Strasbourg, par exemple, des ateliers d’apprentissage du vélo par des femmes d’origine étrangère ont permis de favoriser leur émancipation et leur autonomie dans la ville.

Y a-t-il des types de sport plus indiqués que d’autres selon la finalité poursuivie ?

Les activités physiques à risques subjectifs, comme l’escalade ou les sports de combat, permettent de travailler la gestion des émotions. C’est la raison pour laquelle elles sont beaucoup utilisées dans les centres éducatifs fermés (CEF). Les raids de pleine nature ou les croisières à la voile poursuivent des objectifs similaires : il s’agit d’apprendre à gérer le rapport aux autres et à l’environnement. Le judo comme la boxe éducative favorisent le travail de maîtrise de soi, de sa force, de ses émotions, que les jeunes ont souvent du mal à acquérir.

En revanche, la finalité du football est plus ambigüe. S’il sert les logiques d’intégration avec des publics comme les mineurs non accompagnés, s’il passionne notamment les garçons, l’outil relève souvent de l’occupationnel. D’un point de vue éducatif, il suppose de bonnes connaissances de la pratique des jeunes, qui restent fascinés par la figure du champion.

Quel héritage les Jeux olympiques peuvent-ils laisser ?

Les JO de Paris portent un coup de projecteur sur le sport dans toutes ses dimensions : sport-spectacle, sport-santé, etc. Mais je crains une occasion manquée, avec beaucoup de paroles et peu d’actes. Tous les experts le disent : l’après-JO n’a pas été suffisamment anticipé et préparé. Les plus défavorisés sont faiblement touchés parce qu’il manque un travail partenarial avec les acteurs de terrain. Le label « Terre de Jeux 2024 », qui prétend mobiliser les collectivités et acteurs locaux, est avant tout un vecteur de communication.

Les JO se situent dans une perspective de sport-santé : on veut une France en forme. Les travailleurs sociaux peuvent diffuser ces messages de santé publique, à condition qu’on les forme et qu’on leur donne des moyens. Or, aujourd’hui, ils ont d’autres priorités. La lutte contre la sédentarité à travers le sport ou des activités de bien-être arrive en bout de chaîne. Intervenir plus tôt permettrait pourtant de régler d’autres problèmes.

Et qu’en est-il des Jeux paralympiques ?

Une des grandes réussites des JO de Londres – la littérature scientifique l’a montré –, c’est d’avoir transformé le regard sur le handicap en montrant les capacités exceptionnelles de certaines personnes. Paris 2024 va continuer dans cette voie, avec le même écueil de focaliser sur les réussites de quelques champions, au détriment des autres personnes en situation de handicap, plus exclues. Le sport, comme toujours, est un outil à manier avec prudence. Et si beaucoup d’efforts ont été fournis pour structurer le mouvement handi­sport, d’importantes difficultés d’accessibilité persistent dans les clubs ordinaires. Désormais, il faut travailler à l’émergence de clubs inclusifs, pour qu’ils soient accessibles physiquement à différents types de handicaps. Ce serait un bel héritage des Jeux de Paris 2024…

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