Monsieur Hamilton me reçoit dans son studio miteux, l’haleine bien chargée de bon matin, les yeux cernés, le regard brouillé. Il me raconte avec un fort accent britannique que sa femme a filé en Angleterre en le laissant là « like a pauv’ con ».
Depuis, « I drink. I know, I drink a lot, I drink too much ».
Il prend sa tête dans les mains et ravale ses sanglots. L’office HLM m’informe d’une menace d’expulsion pour ce monsieur qui a cessé de payer son loyer depuis le départ de sa femme. Et puisque c’est elle qui avait des revenus… M. Hamilton dit ne rien comprendre. Pourtant, j’ai bien regardé sur Google Translate : expulsion, c’est le même mot en anglais qu’en français. Pas grave, je réexplique avec un franglais très stylé.
– Si you don’t pay vos loyers, you can’t rester ici. Si you haven’t got money, compte tenu de votre état de santé, your health is not good ! We can peut-être demander l’AAH ? Et puis to give justificatifs to CAF pour l’allocation logement ? And you can have free health assurance gratuite…
Bon je repasserai, parce que là, trop d’infos tue l’info. Et M. Hamilton est clairement en dessous du niveau zéro. Et mon niveau d’anglais n’y est pour rien, of course. En attendant, je contacte l’office HLM pour les informer que je suis sur le coup et qu’il est urgent pour eux de ne rien faire.
Après plusieurs visites à domicile, des entretiens d’écoute et de soutien alternant avec un nombre incalculable de formulaires complétés, de coups de fil passés à des plateformes téléphoniques uniformes (c’est vrai quoi, quel que soit l’organisme appelé, les réponses sont les mêmes : tapez 1, tapez 2, tapez 3… pour s’entendre dire « votre dossier est en cours »), M. Hamilton reprend peu à peu espoir. Il reprend du poil de la bête. Il n’y a qu’à voir avec quel courage il s’attaque à son bazar pour retrouver les justificatifs demandés.
Maintenant, il va bien falloir penser à passer à l’étape suivante dès qu’il se sentira prêt : la dépendance à l’alcool. En attendant, avec ses nouveaux revenus, le paiement des loyers a repris et un plan d’apurement a été établi. La menace d’expulsion n’est plus qu’un mauvais souvenir.
Soudain, je vois M. Hamilton se lever et me prendre dans ses bras en répétant :
– You are my angel !
– (Euh ! Nan ! Really ! I’m not one.) J’ai juste trouvé le bon interlocuteur. Rien de divin là-dedans.
– What ?
– It’s you qui avez tout fait. You did it all. Sans your help, je n’aurais do anything !
Il éclate de rire :
– You are an angel who speaks very bad english !