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L’absentéisme, un mal chronique ?

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Accidents, maladies professionnelles, épuisement physique et psychologique… Derrière les chiffres de l’absentéisme, on trouve des professionnels du domicile confrontés à des conditions de travail difficiles. Même si la solution miracle n’existe pas, les acteurs multiplient les initiatives pour améliorer la qualité de vie au travail et enrayer le cercle vicieux des arrêts maladie.

Chaque année, 2 250 0000 journées de travail perdues, selon l’assurance maladie… Les professionnels du secteur du domicile sont en moyenne arrêtés 82 jours en raison d’accidents du travail et 192 jours pour maladies professionnelles. Cet absentéisme massif est-il une fatalité ? Les chiffres doivent en tout cas être remis dans leur contexte, à savoir une demande exponentielle d’accompagnements à domicile de personnes âgées, en situation de handicap ou malades, à l’heure où l’institutionnalisation ne séduit plus. Le vieillissement de la population française conjugué au virage domiciliaire ne devrait pas améliorer la situation à court terme, laquelle risque même de se dégrader, entre pénurie et épuisement de professionnels constamment rappelés sur leurs jours de repos. L’insuffisance budgétaire et le report sine die de la mythique loi « grand âge » apportent aussi un autre éclairage. Le domicile reste le parent pauvre des politiques publiques d’accompagnement des plus vulnérables.

Le nombre de journées de travail perdues n’est donc plus (si) impressionnant mais somme toute logique, face à un métier sous-estimé, où la formation demeure éloignée des réalités, où les tâches ménagères prédominent dans l’inconscient collectif, bien loin des plans d’aide élaborés par les assistantes sociales. Et que dire, quand, du matin au soir, le quotidien n’est fait que de rencontres avec des personnes vulnérables, malades, à bout de souffle ? La fatigue psychologique et celle physique se mêlent progressivement et conduisent inévitablement à des arrêts maladie plus ou moins longs.

Pour tenter de circonscrire le phénomène, les responsables de service multiplient les initiatives en privilégiant la qualité de vie au travail et en misant sur une nouvelle organisation, fondée sur davantage d’autonomie et de reconnaissance des équipes. D’autres se tournent vers un nouveau métier : celui d’assistante polyvalente, à l’interface entre la gestion et le terrain. Formations, équipements… Les plans d’investissement se multiplient.

Depuis l’instauration des pairs salariés, certains ont vu les arrêts maladie fondre comme neige au soleil, mais regrettent que ce moyen coercitif soit plus efficace que le bon sens. Car, dans le secteur, la quête de sens n’est jamais bien loin. Si le bouleversement de l’organisation est en marche, des experts mettent en garde contre l’autonomie à tout crin, qui doit être avant tout accompagnée d’un « soutien social, professionnel et moral ». Dans le cas inverse, c’est le stress et l’isolement qui l’emporteront.

L’autonomie, un piège à stress ?

En premier lieu, pour améliorer les conditions de travail, l’autonomie est nécessaire mais pas suffisante. Elle doit être complétée par le soutien social de ses collègues et de sa hiérarchie. On augmente la marge de manœuvre des intervenantes tout en organisant des rencontres régulières entre elles, des formations adaptées, en leur donnant la possibilité d’exprimer leurs difficultés, de demander de l’aide, de partager leurs expériences. En second lieu, il faut différencier autonomie et participation aux décisions. Cette dernière accroît la responsabilité des employées sur des points non maîtrisés, multiplie les tensions de rôle et augmente le stress. Sur ce point, l’employeur a plutôt intérêt à conforter le cadre des interventions, en clarifiant les contrats de travail, en définissant les règlements et chartes diverses, en précisant la prise en charge des bénéficiaires. C’est à ce prix que l’autonomie reste bénéfique aux employées et aux employeurs et améliore réellement les conditions de travail des aides à domicile.

Stéphane Coillard, docteur en gestion, enseignant RH

Désenchanter

Au 1er janvier 2024, je suis percutée de pleine face par la logique du tout sécuritaire et de la traçabilité à outrance ; alors que tout mon discours était fondé sur la confiance, l’engagement d’une équipe et la solidarité d’un groupe, je me suis retrouvée comme trahie par des nouvelles obligations de nos tutelles. Et pour cause : dorénavant, les auxiliaires devront badger à chaque fois qu’ils entreront et badgeront de nouveau une fois la prestation terminée. Comment peut-on en arriver à un tel non-sens ? Les auxiliaires redeviennent d’un seul coup des êtres formatés, conditionnés, robotisés pour faire des tâches. Alors que les médias et l’opinion publique parlent de mettre en avant ces métiers de l’humain, de l’échange, du relationnel, nos tutelles extirpent de ce métier tout ce qui en fait son charme et son ADN, frustrant salariés et bénéficiaires. Il n’est plus question de s’adapter aux gens, à leur état de santé, de passer un peu plus de temps que prévu parce qu’une personne est en difficulté ou, au contraire, et de s’autoriser à partir plus rapidement car la personne souffrant de la maladie d’Alzheimer refuse de nous recevoir. Mais de quoi l’Etat a-t-il peur ? A quand une grande réforme sur la qualité de vie au travail et le sens qu’on veut bien lui donner ?

Axelle Bijou, gérante service à domicile AD Seniors

La carte de la formation

Notre association ADT 44 s’est engagée depuis longtemps dans la prévention des risques professionnels en s’attaquant aux différentes causes de ses accidents de travail. Il y a quinze ans, une partie concernait des salariés fraîchement recrutés, peu formés et peu qualifiés. À partir de ce constat, nous avons renforcé la formation initiale dans un parcours d’intégration ainsi que les formations techniques de nos salariés, afin qu’ils n’interviennent sur des situations nécessitant des gestes techniques qu’après avoir réalisé les formations et sécurisé ces missions par des binômes sur toutes les situations complexes. Nous avons investi massivement dans la formation en multipliant par trois le budget, et avons accéléré la mise en œuvre du plan de formation. Résultat : s’il n’y a plus d’accidents causés par un manque de formation ou une inadéquation entre les compétences du salarié et la situation à accompagner, ceux-ci sont toujours trop nombreux (chutes, glissades, accidents domestiques ou en lien avec la santé déjà fragile d’un salarié).

Geoffroy Verdier, directeur général ADT44

L’effet papillon… et tout le monde est impacté

Pour l’entreprise, l’absentéisme nuit en premier lieu à la qualité du service rendu et à la satisfaction du client. Il représente également une perte financière conséquente car certains bénéficiaires préfèrent annuler la mission plutôt que d’avoir à subir la présence d’un remplaçant. C’est ainsi en tout cas qu’ils l’expriment. Mais il s’agit principalement d’une source de tension et d’épuisement au sein des équipes. Un salarié absent, ce sont six autres qui vont être appelés et sollicités pour assurer les remplacements ; ce sont des bénéficiaires mécontents au téléphone, pour lesquels on cherche et propose des solutions ; ce sont des collègues fatigués d’être sollicités alors qu’ils avaient deux heures libres dans leur planning. C’est une charge de stress quotidienne et lourde pour les responsables du planning, qui doivent s’assurer en permanence que tout le monde sera levé, habillé, aura mangé, ne restera pas seul et sera couché, ou encore qu’un frigidaire est rempli. Ce stress aboutissant à un épuisement pouvant aller jusqu’au burn-out dans les équipes encadrantes.

Claire Gioux, cogérante du Saad Adhap-Exome

« Et si on travaillait autrement ? »

J’ai décidé de mettre en pratique la méthode dite de « haute qualité humaine ». J’ai commencé par ce qui me paraissait le plus fatiguant pour mon équipe et ce sur quoi je pouvais avoir un impact fort : les trajets pour mettre de la cohérence géographique dans les remplacements que je proposais. Avec cette nouvelle organisation, j’obtenais déjà plus facilement mes précieux « oui ». La deuxième étape était d’apprendre à connaître les membres de mon équipe. Je devais savoir ce qui était important pour eux, connaître leurs difficultés, leurs préoccupations, mais aussi leur « pourquoi ? » et ce qui les anime dans leur métier. Ainsi, je savais qu’untel pratiquait la danse à 19 h tous les jeudis soir, que tel autre devait amener son fils chaque mardi à 16 h chez l’orthophoniste ou encore qu’une autre était indisponible tous les lundis entre 13 h et 14 h car elle avait un rendez-vous chez son kinésithérapeute. Je connaissais les besoins de chacun par cœur et ne les appelais sur ces temps importants que si je n’avais aucune possibilité. Ils le savaient tous. Ils avaient compris que je respectais leur vie privée.

Yolaine Desbois, fondatrice du réseau Animation à domicile

La galère selon Marcel

Il paraît qu’il suffit de traverser la rue pour trouver du travail, ce qui est à prouver. En revanche, ce n’est plus une rue qu’il faut traverser pour trouver des postulants, mais une autoroute, avec tous les dangers que cela suppose. Personnellement, j’ai vu le carambolage arriver il y a une dizaine d’années. Les postulants se faisaient non seulement de plus en plus rares, mais également de moins en moins fiables et consciencieux.

Cela fait des années que je n’arrive plus à avoir une équipe au complet, ce qui augmente le stress. Car, avec une équipe incomplète, chaque indisponibilité d’un accompagnant représente un déséquilibre plus ou moins préjudiciable au fonctionnement de l’équipe.

Marcel Nuss, formateur et écrivain, qui nous a quittés le 13 février dernier

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