Franck Guichet : C’est le résultat d’une transformation majeure dans notre société, qu’on appelle la transition démographique ou encore la longévité. Pour la plupart des personnes âgées, cela signifie de pouvoir rester chez elles, même s’il faut accepter pour cela de se faire accompagner et aider par des professionnels. Plus les personnes avancent en âge, plus elles ont besoin d’aide et plus l’intervention des professionnels de l’accompagnement à domicile devient essentielle. Si les accidents du travail sont devenus aussi nombreux, c’est parce qu’il n’y a jamais eu autant de personnes aidées à leur domicile, avec des besoins très importants pour la réalisation de tous les actes de la vie quotidienne. Et le domicile, ce n’est pas comme un établissement conçu pour prendre en charge la dépendance. A domicile, les professionnels sont en permanence en train de s’adapter. Et l’habitat des personnes âgées présente de nombreux risques.
Il y a quelques années, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) a effectué un travail poussé sur les risques dans l’aide à domicile, avec la publication d’une grille de repérage des risques(1). Il y est notamment question des produits ménagers, du nettoyage en hauteur, des équipements électroniques, de la qualité de l’éclairage, de l’encombrement du sol, des surfaces glissantes, des tapis, des escaliers, des ouvertures, des risques de contamination, des difficultés liées à la manutention, au transfert, au manque de matériel médical, aux conditions d’hygiène, à la qualité de l’air intérieur, aux installations électriques ou gaz… Il faut y ajouter les transports et les déplacements d’un domicile à un autre, qui sont très souvent une source de stress pour les professionnels devant respecter un horaire, ce qui peut provoquer des accidents. Enfin, il y a la gestion émotionnelle des interactions avec les personnes aidées et les proches aidants, qui déversent beaucoup de leurs angoisses sur les professionnels. C’est un risque majeur dans l’accompagnement à domicile, auquel les professionnels sont très exposés, sans avoir eux-mêmes de solution à proposer ou de protection suffisante pour se mettre à distance.
A mon sens, cela souligne la nécessité de l’encadrement et des temps collectifs dans l’organisation du travail d’accompagnement à domicile. Les temps de réunions, de régulation et de supervision, d’analyse de la pratique et de formation sont indispensables. Mais ils ne sont pas financés, ou de façon très insuffisante. Le financement des services repose sur le tarif horaire et, avec un montant de 23,50 €, les services ne disposent pas des moyens pour payer les professionnels quand ceux-ci ne sont pas en train d’intervenir à domicile mais juste d’échanger ensemble sur les situations qu’ils rencontrent, de partager leurs constats et observations, de réfléchir à des améliorations possibles… Avec un certain cynisme, tout ce travail réflexif est qualifié par les financeurs de « temps improductifs ». Dans tous les métiers du sanitaire, du médico-social et du social, il est admis que les professionnels ont besoin de ces temps de transmission et de régulation. Sauf dans l’aide à domicile. Pourquoi ?
(1) Le guide peut être téléchargé en libre accès via le lien : urlz.fr/qcIi.