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Augmenter les salaires… oui, mais comment ?

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Rattrapés par l’inflation, les salariés des secteurs du travail social sont à la peine. En dépit des injonctions gouvernementales à réviser les grilles de rémunérations, les employeurs, eux, tirent la langue faute de maîtrise de leurs financements. Et commencent à explorer – encore timidement – les alternatives aux seules augmentations.

Au 1er janvier dernier, la dernière revalorisation du Smic a porté son montant à 1 766,92 € brut mensuels. Pour la huitième fois en trois ans, le gouvernement aura donc revu à la hausse le salaire minimum pour aider les ménages à faire face à une inflation qui n’en finit pas de grimper. Selon l’Insee, cette dernière avait encore fait un bond de 2,3 % en mars dernier, en dépit d’une diminution des prix de l’énergie. Malgré l’appel récurrent des syndicats à un véritable coup de pouce significatif au salaire minimum – la CGT exige son passage à 2 000 € brut – le gouvernement a choisi de jouer la sécurité en suivant les recommandations du comité d’experts sur le Smic qui, depuis 2021, tire la sonnette d’alarme quant aux conséquences délétères sur l’emploi qu’entraînerait une augmentation trop forte.

Conséquence logique : faute d’augmentation salariale venue d’en haut, ce sont les employeurs qui ont été priés de sortir le carnet de chèques. De Jean Castex à Gabriel Attal en passant par Elisabeth Borne, les différents locataires de Matignon et leurs ministres du Travail successifs ont exhorté les branches à engager des négociations visant à augmenter les salaires. Avec la menace de sanctions pour celles qui maintiendraient des rémunérations inférieures au Smic d’ici au mois de juin 2024. Au 27 mars dernier, date de l’inauguration du Haut Conseil des rémunérations chargé du suivi de ces négociations, seules seize d’entre elles n’étaient pas encore d’équerre.

L’attractivité des métiers en question

Bon gré, mal gré, la majorité des branches a donc revu ses grilles à la hausse. Car au-delà des sanctions, c’est en partie aussi l’attractivité de leurs métiers qui se joue lors de ces discussions paritaires. A l’heure où plusieurs centaines de milliers d’emplois peinent à trouver preneurs, le sujet est sensible. Dans les secteurs du travail social, on compte aujourd’hui 50 000 emplois non pourvus dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, 25 000 dans l’aide à domicile et 20 000 dans l’éducation populaire.

Certains acteurs n’ont toutefois pas attendu que le gouvernement dégaine les menaces pour se mettre au travail. Dans l’aide à domicile, les négociations entamées dès 2021 entre les syndicats et les cinq principales organisations d’employeurs réunies au sein de l’USB-Domicile ont permis d’accoucher d’un accord revoyant les salaires à la hausse de 15 % en moyenne. Entré en vigueur le 1er janvier 2024, l’accord « poursuit le double objectif d’attirer vers nos métiers, mais aussi de fidéliser nos salariés en poste alors que les besoins de nos entreprises sont de 10 000 recrutements par an », explique Laurence Jacquon, directrice adjointe de l’Union nationale ADMR et négociatrice pour l’USB-Domicile.

Même scénario dans la branche Eclat (animation sociale) où le salaire d’entrée est passé à 1 800 € brut. Le maximum que les employeurs pouvaient concéder, indique David Cluzeau, délégué général d’Hexopée du côté patronal : « On a globalement suivi l’inflation. Les syndicats demandaient un rattrapage de 200 € par salarié, mais on n’a pu accorder que ce qui était financièrement soutenable. » Du côté d’Alisfa (crèches, accueil de jeunes enfants et développement social) où le personnel manque aussi dramatiquement, l’injonction gouvernementale a été l’occasion de redonner un coup de jeune à une convention collective qui n’avait pas évolué depuis vingt ans en mettant en place une augmentation progressive des minima les trois prochaines années. Jusqu’à atteindre un premier niveau de rémunération de 23 300 € annuels en 2027 pour lequel les financeurs (caisses d’allocations familiales et départements) ont donné leur accord.

« On a l’impression de courir après le Smic »

Cette question du financement fait souvent office d’angle mort des négociations salariales dans les branches du travail social. Spécificité du secteur associatif non lucratif oblige, les négociateurs ont rarement la main sur le tiroir-caisse. « Contrairement au secteur privé lucratif classique où les négociations opposent patronat et syndicats, celles du milieu associatif constituent souvent un jeu à trois avec les représentants des salariés, ceux des employeurs… et les pouvoirs publics qui financent. Sauf que ces derniers ne siègent pas à la table des débats », décrypte Fabien Lucron, expert en rémunération au sein du cabinet Primeum. De quoi sérieusement compliquer la tâche des négociateurs… voir rendre les accords caducs. Comme c’est le cas dans l’aide à domicile où le fameux « avenant 43 » révisant les salaires à la hausse n’est tout simplement pas appliqué dans trois départements, faute des financements nécessaires. « Sans vision claire des enveloppes qui peuvent être mises sur la table, les partenaires sociaux négocient parfois à l’aveugle », résume Benjamin Vitel, responsable du dialogue social au sein de la fédération CFDT Santé-Sociaux.

Et cette incertitude chronique sur les financements a des conséquences directes pour les salariés : en l’absence de perspectives économiques et malgré les besoins de recrutement pressants, syndicats et employeurs ont souvent tendance à négocier a minima, pour ne pas affoler les financeurs. Résultat : les revalorisations salariales de ces dernières années ont tendance à rester coincées sur les premiers niveaux de rémunération au-dessus du Smic. Et courent ainsi le risque d’être rattrapées par les augmentations de celles-ci.

Au sein du Groupe SOS, la situation paraît insoluble, explique son directeur des ressources humaines (DRH), Thibault Ronsin : « Nous comptons toujours 50 % de nos effectifs concentrés sur les premiers niveaux de rémunération. Malgré le besoin de compenser l’inflation, les priorités de rémunération axées sur les salaires les moins élevés uniquement ont un effet de tassement par le bas. Nous avons trop peu de marges de manœuvre sur les mesures salariales et cela nous coûte cher en termes d’attractivité sur le secteur ! » Laurence Jacquon confirme : « On a parfois le sentiment de courir après le Smic. Il suffit qu’il augmente pour détricoter toute notre grille. »

Les alternatives aux augmentations

Pour autant, d’autres leviers que le salaire mensuel peuvent être activés pour gratifier les salariés. Mais dans des secteurs qui n’ont pas toujours la culture de la rémunération variable, ils prennent parfois des airs de petite révolution culturelle. De la loi Pacte de 2019 à celle sur le partage de la valeur de novembre 2023, les possibilités ouvertes aux employeurs se sont étoffées. L’Udes (Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire), qui en son temps avait fait pression sur le Medef et le gouvernement pour que les structures non lucratives ne soient pas les oubliées du partage de la valeur, a d’ailleurs signé, en début d’année, une position commune avec les principaux syndicats de l’économie sociale et solidaire pour en démocratiser l’usage dans ses branches.

Pas toujours facile : certains dispositifs, comme la participation (calculée sur les bénéfices), l’actionnariat salarié ou la récente prime de valorisation de l’entreprise créée par la loi de novembre 2023 se situent clairement hors du champ des structures non lucratives, d’autres sont plus accessibles. A l’image de l’intéressement (qui permet de verser une prime proportionnelle aux résultats ou à la performance de l’entreprise) qui demande toutefois un peu de souplesse : « Il peut avoir du sens dans certaines structures privée médico-sociales, explique Fabien Lucron. Un établissement touché par le sous-effectif reçoit autant de patients qu’avant mais voit ses charges salariales réduites. Son chiffre d’affaires se maintient, mais son résultat net, en revanche, augmente, ce qui permet la mise en place d’un tel mécanisme. » Toutefois, les quelques tentatives recensées « se heurtent à l’accord des financeurs », objecte-t-on chez Nexem pour qui ces initiatives locales restent à regarder de près.

Dans ces conditions, la prime de partage de la valeur (PPV) semble demeurer l’outil le mieux adapté à une politique du même nom. Certains employeurs, dans la branche Eclat, dans le périmètre Axess, dans certaines crèches privées, à la Croix-Rouge ou chez Clariane (ex-Korian) l’ont d’ailleurs adoptée. Avec une certaine réserve, toutefois. « L’immense majorité des primes distribuées oscille entre 300 € et 500 €. Loin des 3 000 € à 6 000 € que permet la loi ! », observe Loïc Le Noc, secrétaire national CFDT Santé-Sociaux. Alors, parfois, il faut redoubler d’effort pour imaginer d’autres moyens de restituer du pouvoir d’achat aux salariés. Au sein d’Alisfa, on mise surtout sur la protection sociale. « Par accord, l’employeur prend à sa charge 60 % de la mutuelle santé du salarié au lieu de 50 % et participe même à celle des enfants à hauteur de 12 % », détaille Manuela Pinto, déléguée générale d’Elisfa, la fédération patronale de la branche. Dans l’aide à domicile, une nouvelle négociation étudie les pistes d’un abaissement des seuils d’ancienneté pour permettre aux salariés d’accéder plus rapidement aux niveaux de rémunération supérieurs.

Paroles de pros

« Sur la prime de partage de la valeur, les structures sont libres d’en mettre en place si elles le souhaitent sans généralisation au niveau de la branche. Nos adhérents sont financés à 80 % par les départements et les niveaux de financement diffèrent d’une collectivité à l’autre. Imposer un système de primes de branche mettrait nos structures en difficulté. »

Laurence Jacquon, ADMR

Paroles de pros

« Nos établissements ne disposent pas d’enveloppes d’excédents qui leur permettraient de renforcer les leviers de rémunérations du type prime d’intéressement aux salariés. Cette absence de marge budgétaire réduit les capacités à la main de l’employeur de mener des politiques ambitieuses en faveur du pouvoir d’achat des salariés. »

Thibault Ronsin, DRH du Groupe SOS

La prime de partage de la valeur « version 2024 »

La prime de partage de la valeur (PPV) remplace, depuis juillet 2022, l’ancienne prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (Pepa) que le gouvernement avait mis en place fin 2019 pour calmer la crise des gilets jaunes. Depuis, la prime a été inscrite dans la loi « pouvoir d’achat » de novembre 2023, en reprenant plutôt fidèlement le contenu de l’accord national interprofessionnel qu’avaient conclu les partenaires sociaux en février de la même année. Accessible aux salariés du privé, à certains agents publics ou aux travailleurs des Esat, elle permet à l’employeur de verser jusqu’à deux fois dans l’année une prime d’un montant de 3 000 € (6 000 € en cas de signature d’un accord d’intéressement). Toutefois, contrairement à sa version ancienne qui était entièrement défiscalisée et désocialisée, cette PPV « version 2024 » n’est exempte de cotisations que pour les salariés de structures de moins de 50 employés ou dont le salaire est inférieur à trois fois le Smic. Pour les autres, elle ne l’est qu’à condition d’être intégrée à un plan d’épargne d’entreprise. Ces exonérations sont sanctuarisées jusqu’au 31 décembre 2026… les partenaires sociaux, tout comme les parlementaires, ayant bien borné le dispositif en précisant que la PPV n’avait pas vocation à se substituer aux salaires.

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