Un coup d’œil sur le ciel dégagé, depuis les locaux du service de prévention spécialisée qui l’emploie. Célya Moungari revêt son manteau et file en direction du quartier de la politique de la ville (QPV) de la commune de Harnes, l’un des deux secteurs qu’elle couvre dans le Pas-de-Calais. A ses côtés, un éducateur spécialisé, qui l’accompagne à chaque tournée. La mission confiée à cette jeune psychologue : aller à la rencontre de personnes en grande précarité pour repérer d’éventuelles fragilités psychologiques et offrir à celles qui le désirent un espace de paroles gratuit et individuel. Et, depuis un an, son lieu d’exercice se trouve… dans la rue. « L’idée est d’aller vers des publics jeunes que je ne toucherais pas forcément si je ne sortais pas de mon cabinet. »
L’apparition du métier de psychologue de rue émane des structures de prévention spécialisée, confrontées à des publics qui ont un besoin croissant de soutien psychologique et à la difficulté des éducateurs d’y faire face. « Ce n’est pas leur métier, tranche Célya Moungari. S’ils peuvent, lorsqu’ils décèlent un mal-être, orienter vers des centres médico-psychologiques, ils savent aussi que les listes d’attente sont longues. Notre présence permet de faire l’interface en apportant une réponse rapide. »
Depuis une dizaine d’années, certains territoires (Nord, Lyon, Paris 20e) expérimentent l’intégration de psychologues de rue, via une action de proximité. « Aller vers », anonymat, libre adhésion, non-institutionnalisation de l’action, travail en équipe pluridisciplinaire… Leur pratique s’ajuste à leur patientèle, en faisant précéder l’offre à la demande. « C’est la différence avec les structures de droit commun, informe Laure Chambaudet, psychologue de rue au sein de l’Association d’éducation et de prévention, à Roubaix (Nord). En club de prévention, on tend aux jeunes une main qu’ils peuvent saisir s’ils en ressentent le besoin. » Une mission d’autant plus essentielle que la santé mentale véhicule encore de nombreux clichés dans cette population. Un travail de déstigmatisation et de mise en confiance est souvent nécessaire, les psychologues de rue ayant la liberté de l’aborder à leur guise. Les uns participent à des ateliers dans les missions locales, les autres proposent des activités ludiques pour faire connaissance avec les jeunes. L’idée est de tisser un lien hors des sentiers battus et de susciter un tête-à-tête avec ces thérapeutes.
Qu’elles aient lieu dans la rue, à la bibliothèque ou dans un local prêté par un partenaire, ces consultations ne diffèrent d’une offre traditionnelle que par la souplesse dont le thérapeute fait preuve en s’adaptant aux éventuelles réticences du jeune patient. « Certains ont du mal à accrocher avec les rendez-vous plus formels. Toutefois, même s’il m’arrive d’échanger dehors en marchant, je trouve important de pouvoir leur offrir un “contenant”, c’est-à-dire un lieu où ils se sentent en sécurité pour parler de choses intimes », détaille Camille Jager.
Une, deux, trois séances, parfois plus… S’il arrive qu’un suivi régulier soit proposé par un psychologue de rue, ce n’est normalement pas sa vocation première. Dès que possible, il assure le relais vers une structure de droit commun. Ce, afin de conserver du temps pour retourner aussi souvent que possible au contact des jeunes. Outre une formation de psychologue, une bonne connaissance de ce public et de ses problématiques s’avère un atout de taille pour exercer dans ce cadre. Avant d’arriver dans le secteur de la prévention spécialisée, Célya Moungari a travaillé auprès de mineurs non accompagnés et dans un centre éducatif fermé. De quoi faciliter son intégration dans l’association Avenir des cités qui l’emploie aujourd’hui à mi-temps et mieux appréhender les jeunes, de plus en plus nombreux à solliciter son appui.