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« 18 fois plus de risques d’être victimes d’abus sexuels »

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Une enquête, parue dans la revue scientifique The Lancet en décembre dernier, et dirigée par Jérémy Khouani, met en évidence une forte exposition aux violences sexuelles chez les femmes demandeuses d’asile arrivant dans le sud de la France. Les conditions d’accueil y jouent un rôle central.
Qu’avez-vous pu mettre en exergue dans votre enquête(1) ?

Les femmes demandeuses d’asile sont sur­exposées aux violences sexuelles dans la période suivant leur arrivée dans le sud de la France par rapport à la population générale. Dans l’Héxagone, 0,26 % des femmes déclarent avoir été victimes de viol ou tentative de viol au cours de l’année écoulée, soit 18 fois moins que les 237 demandeuses d’asile incluses dans notre étude(2). De même, les occurrences annuelles de violences sexuelles (2,9 %) dans la population générale sont au moins 9 fois inférieures à celles trouvées dans notre étude. La fréquence des viols ou tentatives de viol en France varie selon l’origine géographique, le statut de relation et les violences subies avant l’arrivée. Ainsi, nous avons constaté une vulnérabilité particulière chez les femmes sans partenaire en France, celles en provenance d’Afrique de l’Ouest et celles ayant été victimes de violences sexuelles avant leur arrivée. Cette association avec une victimisation antérieure avait déjà été décrite dans la littérature. De même, la surexposition aux violences sexuelles des femmes d’Afrique de l’Ouest, tant en France qu’avant leur migration, est à mettre en relation avec l’existence des réseaux de traite qui touchent les populations nigérianes identifiées par l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Cependant, ces explications sont à nuancer car certaines personnes n’ont pas souhaité témoigner des violences qu’elles avaient subies de peur de représailles.

Comment expliquer de tels résultats ?

Ces résultats soulèvent la question de la manière dont les pays d’accueil peuvent prévenir de telles violences sur leur territoire, en particulier envers cette population spécifique de femmes. Le rôle de l’hébergement dans ce contexte est un facteur important. Près d’un tiers des femmes incluses dans notre échantillon n’ont pas bénéficié d’un soutien en matière d’hébergement la plupart du temps au cours de la dernière année. On savait déjà que, dans la population générale, les femmes sans abri étaient plus exposées aux violences sexuelles, on sait maintenant que le fait d’être en demande d’asile est un facteur de vulnérabilité supplémentaire.

Ces résultats soulèvent aussi la question des systèmes de santé des pays d’accueil dans la manière d’organiser le dépistage et les soins afin de prévenir les conséquences sanitaires connues de ces violences et de limiter leurs coûts. Dans notre analyse, moins d’une femme sur 10 avait sollicité un soignant après des violences sexuelles, alors qu’elles étaient 6 sur 10 à avoir consulté un professionnel de santé au cours de la dernière année. Cela signifie que les soignants ne sont pas identifiés comme une ressource quand les violences surviennent.

Selon vous, que faudrait-il mettre en place pour enrayer ce phénomène ?

Il est d’abord nécessaire de repérer ces violences. Des détections sont déjà réalisées, mais il faudrait que cela soit systématique. Quand, comment, par qui ? Ce sont les questions qu’il faut se poser pour faire en sorte de transformer les pratiques. Plus des trois quarts des femmes ont subi des violences sexuelles avant d’arriver en France. Le viol est pratiquement devenu une norme. Avec mes confrères, nous essayons de rompre cette banalisation en répondant d’abord à la demande de soin, que ce soit physique ou mental. Nous leur offrons la possibilité d’ouvrir un espace de parole dont elles peuvent se saisir ou pas, rapidement ou plus tard. Ensuite, nous nous enquérons de leur mise en sécurité. Quel que soit le type d’hébergement, qu’il s’agisse de structures du 115, du DNA (dispositif national d’accueil) ou associatives, l’urgence est de les mettre à l’abri. Attention, cela n’exclut pas qu’elles ne subissent pas de violences dans ce cadre. C’était malheureusement le cas pour un quart de femmes qui avaient subi des violences sexuelles en France. Mais celles-ci sont tout de même statistiquement moindres que quand elles dorment à la rue. L’idée en somme, et c’est ce que nous tentons de faire à notre échelle, c’est de rompre l’isolement et la banalisation de ces violences, et développer un dispositif de prise en charge multidisciplinaire qui prend en compte l’interculturalité, les problématiques sociales et médicales de manière à multiplier les portes d’entrée dans le soin et de s’adapter aux demandes de la patiente.

Cela suppose donc que les professionnels du secteur sanitaire et de l’action sociale doivent s’accorder…

C’est effectivement indispensable. On ne peut pas prendre en charge ces patientes si on ne travaille pas de manière interdisciplinaire. Tout le monde s’accorde ou presque sur ce point. Reste à savoir comment on travaille ensemble en réalité. Pour moi, il faut déjà que tout le monde, y compris les décideurs, ait envie de faire ce travail. Dans notre maison de santé, nous avons choisi d’y intégrer des travailleurs sociaux alors que nous aurions pu mettre nos financements ailleurs. Outre l’envie, il faut de la confiance et du respect mutuel de la part de chacun. L’interprofessionnalité est une compétence qu’il faut développer ; c’est d’ailleurs un des enseignements que je délivre aux futurs médecins généralistes dans mes cours.

Notes

(1) Article en anglais sur : bit.ly/3w2pxBC.

(2) La moitié d’entre elles viennent d’Afrique de l’Ouest, le reste du Moyen-Orient, d’Asie ou d’Europe.

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