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La fabrique d’un imaginaire colonial

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Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, durant quinze ans, une formation destinée aux assistantes sociales a eu pour objet de les préparer à partir œuvrer dans les colonies. Selon une démarche parfois nourrie d’à priori et de fantasmes.

À la demande du ministère de la France d’Outre-mer, des sessions de formation spécialisée pour le service social aux colonies ont été organisées à partir de février 1945 au sein de l’Ecole des surintendantes d’usine (aujourd’hui Etsup) et se sont poursuivies jusqu’en 1960. Elles étaient réservées aux assistantes sociales diplômées d’Etat ayant entre 21 et 35 ans, après examen médical certifiant leur aptitude à affronter le climat des colonies. Cette formation durait cinq mois (via un cours le samedi), délivrant en fin de session un certificat d’orientation coloniale.

Issues pour la plupart de la France métropolitaine, ces jeunes femmes se sentent appelées par une mission. Bien qu’elles aient appris durant leur scolarité la formation et la « grandeur » de l’empire colonial, aucune d’entre elles n’est allée au-delà des frontières de l’Hexagone, et c’est avec un certain frisson d’exotisme qu’elles s’apprêtent à se lancer dans l’aventure. Pour les préparer, les formatrices de l’école leur font réviser des leçons portant sur l’hygiène tropicale. Elles apprennent le développement des services sociaux dans ces territoires et les problèmes spécifiques qu’ils posent. Elles révisent la politique coloniale du Second Empire ou doivent s’interroger sur la manière de remplir leur rôle tout en faisant aimer la France. Forte de l’expérience de l’« aller vers » inculqué aux surintendantes, l’école va surtout inventer un dispositif pédagogique des plus originaux.

Dans les archives de l’institution, ont ainsi été retrouvés une trentaine de rapports rédigés par les élèves en formation coloniale. A première vue, il s’agit de leurs impressions sur le pays visité. Elles agrémentent leur épopée de photographies qui semblent prises sur le vif, parfois de petits croquis naïfs. Certaines racontent même à la première personne leur émotion au moment de l’arrivée. Comme cette assistante sociale débarquant au Cameroun : « Sonayo ! Ainsi c’est bien là. “J’y suis.” “Ils” accourent. Que se passe-t-il ? Je souris. Pour l’instant, c’est tout ce que je sais faire en me dirigeant vers la case où me guide le chauffeur. »

Récits fictifs

Pourtant, à y regarder de plus près, ces récits de voyage sont étranges : l’envers des photos porte souvent le tampon de la photothèque du service de documentation du ministère de la France d’Outre-mer ; les formules utilisées sont à l’emporte-pièce, pleines de stéréotypes qui prennent parfois l’allure d’anachronismes par rapport à la période durant laquelle ces femmes sont censées avoir visité le pays. Par ailleurs, dans leurs annotations, les formatrices s’étonnent de l’emploi de la première personne et soulignent l’inexpérience des élèves. Enfin, la durée de la formation rend peu probable une expérience in situ.

Une évidence s’impose alors : contrairement aux surintendantes, qui s’immergeaient en usine pour vivre la vie des ouvrières, les coloniales, elles, ne font qu’un voyage fictif à l’aide de la documentation mise à leur disposition. Le catalogue de la bibliothèque de l’école révèle un assemblage des plus hétéroclites d’ouvrages de missionnaires, d’anthropologie, d’histoire, de géographie, de médecine tropicale et de brochures fournies par le ministère de l’Outre-mer, qui ne sont pas de première actualité : L’Âme nègre, de Maurice Delafosse (1922) ; Les Races humaines et leur répartition géographique, d’Alfred C. Haddon (1930) ; Chez les mangeurs de chair humaine, d’Henriette Célarié (1946)… S’inspirant parfois mot pour mot de ces ouvrages, les élèves composent un voyage imaginaire dans un pays fantasmé, qui en dit long sur notre héritage colonial.

Pour autant, dès les premières sessions, émerge un autre profil de candidates : des jeunes femmes originaires de pays d’outre-mer. Il s’agit de métisses dont le père, originaire de la métropole, s’était marié aux colonies avec une autochtone. Elles ont épousé parfois à leur tour un Français de métropole ou sont venues faire leurs études dans l’Hexagone. Il est alors précisé dans leur fiche de candidature qu’elles sont « bien intégrées à notre civilisation » et doivent, elles aussi, répondre à la question : « Quelles sont les qualités physiques et morales nécessaires pour exercer une activité normale et bienfaisante dans les pays exotiques ? ».

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