Les données sont connues. Selon le rapport 2021 du défenseur des droits, la prévalence des troubles psychiques chez les enfants placés est cinq fois supérieure à celle observée en population générale ; celle du handicap, elle, est huit fois supérieure. Les besoins de ces publics vulnérables sont immenses. Et parce qu’ils connaissent des ruptures de parcours, ce sont aussi ceux qui ont le plus de difficultés à accéder aux soins. Et il faut bien le dire : deux mondes, deux cultures, séparent les éducateurs des personnels sanitaires.
C’est pour résoudre à cette équation que deux pédopsychiatres, Jokthan Guivarch de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) et Tiphaine Krouch du centre hospitalier Valvert, ont créé, en partenariat avec l’agence régionale de santé et le département des Bouches-du-Rhône, l’Equipe mobile intersectorielle des enfants confiés (EMI-ECO). Son rôle : évaluer, orienter et accompagner le temps d’amorcer le parcours de soins.
Constituée de médecins, d’infirmiers, de psychomotriciens et de psychologues, l’équipe se déplace, à la demande des services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), sur les lieux de vie de petits âgés de 0 à 12 ans. Et cela change tout, explique Tiphaine Krouch : « On les rencontre dans leur milieu écologique, et non pas dans un bureau où ils ne se jouent pas grand-chose avec des enfants qui ont du mal à tenir en place. » Pour affiner l’évaluation, l’équipe rencontre les familles et les éducateurs. L’enjeu, dans le sillage du programme expérimental Pégase : repérer les troubles au plus tôt. « On peut, grâce à la plasticité du cerveau, soigner un jeune victime de troubles et de traumas. Mais si on tarde, ils s’installent et s’aggravent », explique Marie-Ange Einaudi, médecin référent protection de l’enfance au département des Bouches-du-Rhône.
Parce que la pédopsychiatrie est sectorisée, toute modification de lieu de vie conduit souvent à changer d’équipe de soins. C’est moins le cas avec l’EMI-ECO. De Marseille à Aubagne, en passant par La Ciotat, elle intervient sur un périmètre élargi comprenant une quinzaine de structures d’hébergement. Des maisons d’enfants à caractère social (Mecs) pour la plupart, qui sollicitent les services du département en vue d’une intervention de l’équipe mobile.
Au terme de l’évaluation, les enfants sont orientés vers des structures spécialisées (Itep, IME) ou de droit commun (CMP, CMPP)(1). Entre-temps, l’équipe les accompagne pour une durée de six mois à un an. « Vu les délais pour bénéficier d’une prise en charge en CMP, CMPP ou en Itep, le soutien de l’équipe le temps de l’évaluation est une réelle plus-value », explique Anthony Dubosque, directeur adjoint de La Reynarde, une Mecs de l’Association médico-sociale de Provence. L’EMI-ECO n’a pas vocation à remplacer les dispositifs de droit commun, comme les CMP. « Elle vient en complément, pour s’adapter, au plus près de l’enfant, à ses particularités et à son environnement », explique Marie-Ange Einaudi.
Surtout, elle permet d’épauler des travailleurs sociaux souvent en sous-effectif, et déboussolés face aux problématiques des jeunes. « Avant, malgré la présence de nos psychologues qui nous aiguillaient et coordonnaient les soins, on était un peu seul, reconnaît Anthony Dubosque. L’équipe apporte une meilleure évaluation, grâce à la mise en commun de nos observations. Et elle propose, par sa technicité, des pistes d’amélioration de notre accompagnement au quotidien. » Un véritable trait d’union entre les services sanitaires et éducatifs, qui favorise l’acculturation des uns et des autres et permet de mieux gérer les troubles des enfants au quotidien.
Après deux ans de fonctionnement, l’EMI-ECO accueille une file active de 70 enfants. Et une liste d’attente commence à se former. Signe à la fois du besoin mais aussi, comme le souligne Marie-Ange Einaudi, « du repérage de cette équipe comme compétente ».
(1) Itep : instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques ; IME : instituts médico-éducatifs ; CMP : centres médico-psychologiques ; CMPP : centres médico-psycho-pédagogiques.