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« La théorie de l’attachement aide le professionnel à changer de regard »

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D’abord généraliste-urgentiste devenue psychiatre, Anne Raynaud défend ardemment la théorie de l’attachement, concept qu’elle met en application au sein de formations à l’Institut de la parentalité qu’elle a fondé.
En quoi la théorie de l’attachement vous paraît-elle fondamentale ?

Pour grandir et s’épanouir, un enfant a besoin de se sentir en sécurité. Il va donc construire des liens d’attachement avec des personnes qui sont en capacité de le sécuriser, ce qui lui permettra d’oser aller explorer son environnement et se développer de façon harmonieuse. Avant de connaître la théorie de l’attachement, j’avais trop souvent le sentiment qu’il me manquait un morceau de l’histoire de ceux que je prenais en charge. Résultat, mes interventions étaient parcellaires et insatisfaisantes. Il me manquait un maillon. Ce maillon, je l’ai trouvé dans l’attachement. En y étant sensibilisée, j’ai étayé scientifiquement ce qui m’apparaissait empiriquement évident.

Quel est son intérêt ?

Malgré sa complexité, la théorie de l’attachement est d’abord accessible : on peut donc se l’approprier facilement. Ensuite, elle est pragmatique. Face à telle situation, je peux faire telle hypothèse et proposer telle solution. Cela offre aux professionnels des modalités d’intervention qui ne passent pas par la case des soins psychiatriques, ce qui est appréciable dans un contexte de pénurie de ce champ médical. Enfin et surtout, elle permet une lecture somatopsychique. En médecine, on oppose souvent le corps et l’esprit. Dire d’un mal qu’il est psychosomatique est souvent un peu condescendant. Dans ses travaux, John Bowlby, à l’origine de la théorie de l’attachement, s’inscrit dans une lecture neurodéveloppementale et déploie l’hypothèse que le sentiment d’insécurité peut s’exprimer corporellement. Depuis, d’autres liens ont été mis à jour entre l’attachement et le système immunitaire, par exemple.

Quelles sont les différentes stratégies d’attachement développées par l’enfant ?

La chercheuse Marie Main recense quatre stratégies. La première, l’« attachement sécure », permet d’être équipé de tout ce dont on a besoin pour faire face aux épreuves. La deuxième est l’« attachement insécure évitant ». Dans ce cas, la peur se traduit par de la fuite, de l’évitement, du retrait relationnel et, en corollaire, une exploration du monde appauvrie. Les enfants qui le développent vont connaître des retards de langage, d’apprentissage, moins s’engager dans les processus d’apprentissage et de connections à leurs émotions, et on va d’ailleurs parfois les associer à tort au spectre de l’autisme. Dans la troisième stratégie, l’« attachement insécure ambivalent », la peur provoque un comportement d’attaque aversif : l’enfant a besoin de réconfort mais envoie les signaux inversés. En ne s’attachant qu’à ces signaux sans chercher à les interpréter, l’adulte va instinctivement riposter par davantage de sévérité – « tant que tu réagiras comme ceci, tu n’auras pas droit à cela » –, accentuant ainsi les signes d’appel à l’aide et renforçant le comportement d’opposition. Les enfants qui déploient cette stratégie vont être étiquetés comme atteints de troubles attentionnels ou oppositionnels provocateurs. Pour autant, dans ces deux attachements insécures, le comportement reste organisé. Ce qui met l’enfant en danger est la quatrième stratégie : l’« attachement désorganisé ». Face à un adulte violent verbalement (dévalorisations, humiliations, critiques) ou physiquement, l’enfant peut réagir par de l’évitement, de la résistance, passer d’une réaction totalement excessive à une absence totale de réaction. Cette désorganisation constitue un facteur de risque d’entrer dans des psychopathologies.

Quels comportements des figures d’attachement provoquent ces stratégies ?

On considère que toute personne susceptible de réconforter l’enfant de façon régulière est une figure d’attachement. Les parents sont généralement les figures d’attachement principales, mais la maîtresse, la référente de la crèche, le thérapeute peuvent être des figures secondaires. L’idéal est d’ailleurs que l’enfant en ait plusieurs. Le plus simple est de comparer la figure d’attachement à un porte-avion sur lequel le petit avion qu’est l’enfant cherche à se poser. L’idée est que le petit avion arrimé sur le porte-avion puisse décoller pour aller explorer son environnement et apprendre. Mais que, face à une menace, il se pose à nouveau sur le pont pour faire le plein de sécurité, avant de repartir confiant en exploration. Si, de façon répétée, le porte-avion n’est pas disponible, envoie des signaux contradictoires et inconstants ou, pire, tire sur le petit avion, celui-ci est en insécurité.

Vous regrettez que la théorie de l’attachement ne soit pas une évidence en France. D’où vient cette réticence ?

Historiquement, la psychanalyse, très prégnante en France, et le comportementalisme, auquel appartient la théorie de l’attachement, se sont très souvent opposés. Cela engendre aujourd’hui des à prioris très négatifs ou des lectures simplistes de l’attachement. On reproche ainsi à ce concept de catégoriser les gens, de les réduire à un comportement, en oubliant leur singularité, leur subjectivité, comme le veut l’approche psychanalytique. C’est archi-faux. La théorie de l’attachement se contente d’analyser un comportement comme le signal d’un sentiment internalisé : l’enfant a appris à compter sur l’autre ou pas, et transforme progressivement sa manière d’être.

Une autre critique consiste à dire qu’il s’agit d’une approche figée, prédictive, emprisonnante, alors que c’est une analyse dynamique. C’est vrai que les 1 000 premiers jours sont le moment pendant lequel le disque dur se grave le plus facilement, d’où l’intérêt d’agir de façon précoce. Mais ce qui s’est construit dans la petite enfance va se revisiter ensuite au gré de nouvelles figures d’attachement : par exemple, le groupe pour l’adolescent, le conjoint pour l’adulte. Autre préjugé, la façon d’envisager le soutien à la parentalité est jugée trop normative. On nous reproche de dicter aux parents leur conduite, alors que l’on donne simplement des clés de décodage du lien parent-enfant ; de négliger les parents pour se centrer sur l’enfant, alors que la lecture est binoculaire et envisage le lien parent-enfant. La définition d’un parent n’est-elle pas celle d’un adulte qui a un enfant ? Résultat : alors que de nombreux autres pays se sont emparés de cette théorie, comme l’Italie ou le Portugal, nous avons trente ans de retard.

En quoi la théorie de l’attachement impacte le travail du professionnel ?

Ce concept aide le travailleur social à changer son regard et transforme profondément sa représentation de la relation d’aide, puisqu’il va questionner sa manière d’entrer en relation. S’il décrypte quelle est la stratégie d’attachement de l’enfant, le professionnel va regarder la situation différemment. Au lieu de penser que l’enfant s’oppose à lui et remet en cause sa compétence, il va comprendre qu’il est semblable à un petit avion qui a appris à ne pas compter sur son porte-avion et ne va donc pas saisir une autre main tendue. Au lieu d’aller faire la spéléologie du psychotrauma du parent avant tout chose, il va travailler sur l’interaction parent-enfant dans l’ici et maintenant. Ce changement de paradigme n’est pas simple. Mais ceux qui l’appliquent nous disent qu’ils ont des résultats beaucoup plus satisfaisants. Cela augmente leur sentiment de compétence professionnelle, en même temps que le sentiment de compétence parentale et le bien-être de l’enfant. On passe d’une chaîne d’insécurité à une chaîne de sécurité.

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