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Le mirage du droit aux vacances pour tous

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Les conséquences de la crise sanitaire et la multiplication des normes pèsent de plus en plus sur un secteur qui peine à recruter et à proposer des séjours à des coûts abordables pour les personnes en situation de handicap. Face à ces difficultés matérielles et parfois éthiques, certaines associations tanguent ou mettent carrément la clé sous la porte.

Il aurait pu se produire dans n’importe quel gîte et causer la mort de n’importe quels vacanciers. Mais l’été dernier, ce sont onze personnes en situation de handicap qui ont succombé à l’incendie de Wintzenheim (Bas-Rhin), braquant soudain les projecteurs sur un secteur – celui du tourisme adapté – d’ordinaire plutôt minoré, voire invisibilisé. « En matière de handicap, la question des vacances apparaît comme la dernière roue du carrosse par rapport aux enjeux de l’école, de l’insertion professionnelle et de l’emploi », reconnaît Frédéric Reichhart, enseignant-chercheur à l’Insei (Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation inclusive). « Comme si ce temps de congés était moins important que le reste, peut-être parce qu’aux yeux de certains il est moins légitime. Lors de ma thèse consacrée au binôme tourisme et handicap, je me souviens qu’un hôtelier ne comptait pas entreprendre de travaux pour rendre son établissement accessible en argumentant ainsi : “Franchement, vous pensez qu’une personne aveugle part en vacances, alors qu’elle ne voit rien ?” Il existe encore de nombreux stéréotypes empêchant d’associer spontanément une personne handicapée à un estivant. »

L’ampleur du drame alsacien a pourtant incité les pouvoirs publics à se pencher sur le fonctionnement des VAO (vacances adaptées organisées), vaste conglomérat d’entreprises lucratives et d’associations spécialisées dans l’élaboration de séjours collectifs dédiés aux personnes en situation de handicap. Une première enquête administrative de l’Igas (inspection générale des affaires sociales), diligentée par le gouvernement et rendue public en septembre 2023, avait conclu à un « dysfonctionnement généralisé » du secteur. Un bilan suffisamment alarmant pour qu’une circulaire interministérielle portant sur la sécurité des lieux d’hébergement lui emboîte le pas. Un mille-feuille de nouvelles normes et de contrôles qui pèsent exclusivement sur les épaules des professionnels des VAO, le texte stipulant qu’il leur revient « de (s’)assurer que les lieux d’accueil sont adaptés aux vacanciers (qu’ils) accueillent et respectent les normes de sécurité incendie. »

En clair, les organisateurs de séjours adaptés sont devenus, à leur corps défendant, des contrôleurs. Des courrois de transmission entre l’administration et les hébergeurs. Un rôle coercitif dont ils ne veulent pas, d’autant qu’il se double d’une responsabilité pédagogique vis-à-vis des petits propriétaires de lieux non classés ERP (établissement recevant du public) – gîtes, appartements ou maisons offrant moins de quinze couchages – qui sont souvent totalement ignorants des impératifs légaux. « On nous dit : “Si les lieux ne respectent pas les normes, vous partez !”, s’émeut Sébastien Bort, responsable national des vacances et loisirs adaptés à l’UFCV. Mais nous ne sommes pas assez compétents pour évaluer ce genre de choses. Il faudrait que l’on se forme, nous, pour vérifier qu’il y a bien des alarmes et des issues de secours ? Non, stop ! »

Complexité administrative

A cela s’ajoute la production de justificatifs à fournir aux directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS) : le dernier arrêté d’autorisation, la dernière attestation du passage de la commission de sécurité – datant de moins de cinq ans – ou un courrier du propriétaire indiquant les raisons pour lesquelles le lieu d’hébergement n’est pas soumis à la réglementation des ERP, ces derniers ayant des obligations supplémentaires en termes de sécurité incendie. Le tout devant impérativement s’effectuer deux mois avant le début du séjour, sous peine d’annulation.

Une telle inflation administrative ne peut que fragiliser un secteur déjà en crise. « Notre crainte, à plus long terme, c’est que certains hébergeurs trouvent la situation trop complexe et décident de ne plus louer à des associations pour des vacances destinées à des personnes handicapées, explique Pascaline Martineau, déléguée générale du CNLTA (Conseil national des loisirs et du tourisme adapté). C’est déjà le cas pour certains. Cette circulaire est une épine de plus dans le pied. »

Alors qu’un deuxième rapport de l’Igas est attendu d’ici à la fin du printemps pour dresser cette fois un large état des lieux de l’activité en auditionnant les différents partenaires (organismes de vacances adaptées, associations représentant les personnes en situation de handicap, hébergeurs, opérateurs de tourisme), le secteur reste complexe à comprendre parce qu’il incarne un espace hybride, porté par les valeurs conjointes du médico-social et de l’éducation populaire. A la fois en dehors du champ éducatif et à côté de la sphère purement touristique, il a une identité difficile à cataloguer. Quelque part entre la volonté de redonner du choix aux personnes en situation de handicap et la revendication d’un bonheur partagé. Une sorte de fenêtre ouverte sur le monde, même pour ceux qui vivent toute l’année en institution.

« Les vacances représentent une rupture et une continuité, estime Alain Dupré, administrateur à l’Unapei et au CNLTA et père d’une jeune femme vivant en foyer de vie. Une rupture parce que les personnes ne sont plus dans le même cadre ou avec les personnes qu’elles voient toute l’année, elles changent d’environnement. Mais c’est aussi une forme de prolongation au sens où certains éducateurs le disent : une personne qui part en vacances adaptées revient galvanisée par ses envies et cela permet de repartir sur un nouveau projet. »

Avant l’apparition des séjours adaptés, il y a une quarantaine d’années, prévalaient les transferts d’établissements. Des vacances institutionnelles organisées par les travailleurs sociaux et notamment par les éducateurs spécialisés qui proposaient toute une palette de loisirs. L’époque n’était pas au projet, sinon à l’activité comme support à la relation. Les différents ateliers culturels, sportifs ou créatifs offraient un premier dépaysement, d’autres espaces sociaux de rencontres et d’épanouissement. « Partir en séjour pendant deux semaines avec les résidents de son foyer, est-ce vraiment des vacances ?, se demande aujourd’hui Frédéric Reichhart. Les premiers organismes de VAO se sont justement développés pour rompre avec le quotidien et proposer une autre alternative. »

Du temps pour soi hors les murs et loin de ses référents éducatifs comme de ses voisins de chambre. Quel que soit le niveau d’autonomie, que l’on soit d’ordinaire résident en MAS (maison d’accueil spécialisée) ou en FAM (foyer d’accueil médicalisé), travailleur en Esat (établissement et service d’accompagnement par le travail) ou installé dans un logement individuel, le temps des vacances est désormais sanctuarisé. Plus question de suivre un emploi du temps millimétré ou de chercher à atteindre des objectifs. « On essaye de les libérer de la pression éducative, estime Romaric Vieille, chef de service d’Atlas (Fondation Pluriel, gestionnaire de 70 établissements), à l’interface entre ces structures médico-sociales accompagnant 3 600 personnes handicapées intellectuelles et les organismes de VAO. Oui, ils peuvent aller boire un coup en ville – si tant est que leur état de santé le permette – oui, ils peuvent aller en boîte de nuit jusqu’à trois heures du matin, c’est les vacances. On veut développer l’autodétermination, que les personnes soient actrices de leur vie. »

De pénurie en désintérêt

L’approche se veut en général ludique, spontanée, tournée vers le bien-être. « On ne fait pas les choses pour apprendre, pour développer des compétences ou gagner en autonomie, sinon juste parce que cela donne du plaisir », ajoute Frédéric Reichhart. Les vacanciers sont accompagnés par des animateurs et non des travailleurs sociaux, même si ces derniers changent parfois de casquette et prennent des congés sans solde pour vivre une autre expérience. Les responsables de séjours cherchent à former l’équipe idéale, celle qui aurait le bon dosage entre expérience et légèreté, connaissance du handicap et détente. Une recette qui semble dépendre du bon mixe entre profils issus du médico-social et ceux davantage ancrés dans l’éducation populaire(voir article p 38).

Mais au-delà de ces questions de formation initiale, le problème central des organisateurs de VAO reste le recrutement des animateurs-accompagnants. Une panne d’attractivité notamment liée à la faiblesse des rémunérations : la plupart sous-embauchés à des tarifs assez bas, avec un contrat d’engagement éducatif (voir encadré) lorsqu’il s’agit de mineurs ou d’autres sont carrément bénévoles. Le défi permanent que représentent les ressources humaines, encore accentué par les conséquences de la crise sanitaire, met concrètement en péril un pourcentage non négligeable de séjours. Et quand il s’agit de mineurs, l’entreprise devient même impossible. Certaines associations n’y survivent pas.

« Peu de gens s’intéressent aux vacances adaptées et encore moins à celles qui accueillent les jeunes, reconnaît à contre cœur Paul Bufflier, étudiant en éducation spécialisée et responsable de séjours au sein de l’organisme Grillons et cigales. La tâche est immense. On a des enfants avec une très faible autonomie qui poussent parfois des cris ou alors qui font des crises, nous frappent ou nous insultent… Sortir c’est compliqué, prendre le train c’est compliqué. Mais on se bat pour continuer à exister, parce que si nous arrêtions, certains jeunes n’auraient nulle part où aller. » Difficultés pour constituer les équipes, pour trouver des lieux d’hébergement, pour faire face aux frais de transports et de matériels paramédicaux, les séjours pour les mineurs en situation de handicap pâtissent en outre d’un manque de reconnaissance officielle. Ils ne sont pas estampillés VAO, sinon ACM (accueil collectif de mineurs), et dépendent de l’agrément Jeunesse et Sports comme n’importe quelle colonie de vacances.

Une catégorisation peu exigeante au regard du public concerné puisque le ratio d’encadrement ne prévoit en théorie qu’un animateur pour 8 enfants. Quant aux diplômes requis, ils ne concernent que le Bafa et le BAFD (brevets d’aptitude aux fonctions d’animateur/de directeurs). Des qualifications bienvenues mais parfois insuffisantes ou peu pertinentes.

Arrivée d’opérateurs privés

Luc Torreilles est professeur d’activités physiques adaptées en IME (institut médico-éducatif) et cofondateur de l’association Alter et go ! émanant uniquement, une fois n’est pas coutume, du secteur médico-social. Portée par l’envie de proposer des bulles d’oxygène et de dépaysement aux enfants les plus lourdement handicapés, l’association a été obligée de stopper net ce type de séjours. Un crève-cœur imposé par l’inadéquation entre les besoins de ces jeunes vacanciers et le cadre administratif, notamment l’impossibilité de se déclarer à la caisse des allocations familiales (CAF) puisque ces groupes étaient composés de moins de six jeunes. Un manque à gagner évident. « Nous avions des ados assez imprévisibles, qui se mettaient facilement en danger. Leur autonomie limitée et leurs troubles du comportement nécessitaient une prise en charge individualisée avec du un pour un ou du un pour deux », rappelleLuc Torreilles. Et le professeur d’activités physiques de regretter l’obligation de s’installer dans des lieux agréés par la DDCS (direction départementale de la cohésion sociale) qui n’étaient pas adaptés à ces vacanciers particuliers. Il aurait souhaiter pouvoir bénéficier « d’espaces cocons », très sécurisant, comme les IME.

« Dans un premier temps, on a conservé des séjours adaptés pour des jeunes ayant un comportement plus normalisé, mais nous étions usés, poursuit-il. Il fallait sans cesse demander des dérogations pour que nos moniteurs-éducateurs, qui n’avaient pas le BAFD mais des années d’expérience, puissent être responsables de séjours. Je ne comprends pas qu’il n’existe aucune spécificité pour les mineurs en situation de handicap. »

Tous ces obstacles règlementaires, conjugués au manque de bras et au coût de l’hébergement ont eu raison de l’Association départementale loisirs vacances à Chambéry (ADLV), dont Simon Falda-Buscaiot était le responsable sur le pôle séjours adaptés. Une véritable affaire de famille pour cet éducateur spécialisé, venu au travail social grâce à de nombreuses années en immersion dans cette structure gérée et animée de concert avec sa mère et une nuée de proches et d’amis. Une aventure humaine de 35 ans fauchée par le Covid et l’aggravation des problèmes de recrutement.

« En 2021, notre agrément a été remis en question à cause de nos faiblesses de trésorerie. On a donc décidé de ne pas prendre le risque de monter des séjours sans réussir à constituer des équipes complètes. Le tout dans une relative indifférence des acteurs institutionnels. Je pense que le coût de notre sauvetage aurait été moindre par rapport au maintien de l’ouverture de nombreux établissements pendant le mois d’août pour compenser. » Plus triste qu’amer, l’éducateur évoque ainsi toutes ces personnes en situation de handicap qui, faute d’alternative, se retrouvent coincées l’été dans leur établissement habituel ou chez leurs parents épuisés. Une situation de plus en plus fréquente qui fragilise le principe même du droit universel aux vacances. « Ces dernières années, j’ai vu avec inquiétude l’arrivée massive d’opérateurs privés, qui n’étaient plus sous statut associatif sinon soumis à une logique de marges et de profits. Des objectifs de rentabilité qui sont autant de freins à l’accès aux vacances pour tous. Ils sont en opposition totale avec les valeurs que nous avons toujours défendues. »

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