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« La notion de développement personnel est davantage en jeu »

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Psycho-sociologue, consultant auprès des institutions médico-sociales, Jean-René Loubat questionne le concept même de « vacances » dans un univers institutionnalisé et plaide pour la fonction de coordinateur de parcours, la seule capable, selon lui, de respecter les aspirations profondes des personnes en situation de handicap.
Quelle place les vacances ont-elles dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap ?

Les notions de « vacances » et, plus largement, de « loisirs » et de « temps libre » sont très minorées. On a encore tendance à raisonner en termes d’insertion et d’intégration sociale, à mettre l’accent sur l’accès au travail, au logement, à tout ce qui rythme la vie quotidienne. C’est un sujet insuffisamment abordé parce que, de manière générale, les notions de « parcours de vie » et de « projet de vie » ont quelques difficultés à se faire leur place dans le champ du médico-social. Même s’il y a eu des progrès, stimulés par les concepts d’« autodétermination » et de « pouvoir d’agir », les idées qui gravitent autour des vacances restent trop bousculantes pour les fonctionnements institutionnels classiques.

D’où viennent ces réticences ?

Le mot de « vacances » est en lui-même piégeant, parce qu’il est issu du monde du travail. On a voulu reproduire le fonctionnement de la société ordinaire : école, travail, vacances… Ce terme ne fait pas forcément sens, d’autant qu’une majorité de ceux qui vivent en établissement n’ont pas d’emploi. Il est plus intéressant de sonder l’idée de « projet de vie ». A l’échelle de toute la société, beaucoup de gens s’interrogent sur la place du travail dans leur existence ou souhaitent changer de voie pour se réinventer. On assiste à un recentrage sur soi qui réinterroge les frontières entre le travail et le temps personnel. Le domaine de l’action médico-sociale n’y échappe pas. Il devrait cependant en finir avec l’archétype du temps institutionnel qui représenterait le temps du travail, lequel devrait alterner avec celui des vacances. C’est davantage la notion de « développement personnel » qui est en jeu, où il n’est pas forcément question de relâche ou de relaxe, sinon de découvertes et d’enrichissement de ses capacités.

On a le sentiment que les personnes en situation de handicap ne seraient pas légitimes pour prétendre à ce temps libre…

Certains professionnels sont toujours dans une conception des vacances comme un simple déplacement, une sorte d’héritage historique du transfert d’une structure à une autre pour changer d’air. Ils ont plus tendance à rechercher des endroits en fonction de ce qu’ils pensent être bien pour les personnes accompagnées, plutôt que de s’adapter à leurs véritables souhaits. La prise en compte des attentes reste un problème majeur : on confond encore souvent celles-ci avec les besoins, lesquels sont d’ailleurs trop pensés à la place des personnes en situation de handicap. Consulter véritablement quelqu’un, ce n’est pas se contenter d’écouter et de promettre d’exaucer tous les souhaits. C’est aider les personnes à réfléchir, à envisager les possibles et les difficultés, effectuer un travail de conseiller.

Comment expliquer de tels obstacles à la prise en compte des aspirations des personnes en institution ?

Il existe un énorme problème de formation. Les professionnels ancrés dans la vie quotidienne tels que les AES [accompagnants éducatifs et sociaux] ou les éducateurs spécialisés ne sont pas bien préparés à ce genre de consultation. Je pense qu’il faut développer le métier de coordinateur de parcours. Les établissements ont besoin de se doter de cette fonction singulière qui n’est plus liée à un accompagnement journalier, sinon à un suivi des projets de vie. Les acteurs de ce nouveau paradigme doivent y être expressément formés, parce que ce n’est pas simple de capter les attentes d’une personne, d’autant plus lorsque le handicap rend l’expression difficile. Il faut apprendre à changer de prisme pour instaurer une relation de confiance, un dialogue particulier impliquant davantage d’horizontalité. Favoriser l’expression des aspirations est une démarche complexe qui n’est pas inscrite dans la tradition du travail social. Un grand nombre de personnes en situation de handicap ne savent même pas ce qu’elles sont autorisées à signifier, entre autres parce qu’elles sont conditionnées par des années de fonctionnement institutionnel. Ce n’est pas avec les éducateurs, présents tous les jours, que les uns et les autres peuvent tout d’un coup faire état de leurs envies. Tout comme les adolescents ne s’adressent pas à leurs parents pour parler de leur vie personnelle.

Cette mue, selon vous nécessaire, est-elle en lien avec la logique de désinstitutionnalisation ?

Cela s’inscrit en effet dans ce phénomène, même si le terme est souvent mal compris. Historiquement, il désignait une seule chose : l’alternative à la psychiatrie. Dans le contexte qui nous intéresse, ce n’est évidemment pas la fin des institutions, mais la critique d’un certain type de fonctionnement avec des institutions « totales », qui prennent en charge toute la vie des personnes hébergées. La coordination de parcours s’inscrit en outre dans le mouvement de l’inclusion, mais, là encore, le terme est souvent mal compris : on ne demande pas à la personne en situation de handicap de s’intégrer ou de s’insérer. C’est au contraire un mouvement de la société vers ces personnes. Une politique de l’inclusion doit permettre l’accès à toutes les formes de possibilités offertes par le droit commun. Sortir d’un système d’exception.

Comment faire évoluer le secteur pour qu’il s’inscrive davantage dans une logique de projet ?

La situation est très variable. Certains établissements se révélent très innovants, quand d’autres sont à la traîne. La notion de « projet » a été beaucoup galvaudée, aussi je la conserve essentiellement pour parler de celui qui émane de la personne elle-même. Le coordinateur de parcours ne fixe pas lui-même les objectifs : il aide la personne à réaliser son propre projet. Un peu à l’image d’un architecte qui ne peut pas penser la maison qui vous convient à votre place. En revanche, il peut vous aider à mettre vos idées en 3D et à réaliser votre rêve. Il faut arrêter de faire des projets pour les personnes. Il est extrêmement rare que quelqu’un soit dans l’incapacité totale d’émettre le moindre souhait. La loi du 11 février 2005 [pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, Ndlr] avait désigné les MDPH [maisons départementales des personnes handicapées] pour aider à formaliser les projets de vie. Or elles ne sont pas en mesure de le faire, parce qu’elles n’en ont pas les moyens. C’est une démarche qui demande du temps et une formation. Alors qu’auparavant l’institution était au centre et demandait aux résidents de s’adapter à son fonctionnement, aujourd’hui, c’est plutôt aux institutions de s’assouplir pour s’adapter aux projets de vie. Un tel glissement requiert un effort considérable, une grande souplesse.

Ces nouveaux professionnels prennent-ils davantage en compte les notions d’« oisiveté » ou de « répit » ?

Leur motivation se place en tout état de cause dans une quête de sens, une volonté de retrouver une relation au service de la personne. Ces professionnels peuvent le faire parce qu’ils ne sont pas juges et parties, ils n’ont pas de conflit d’intérêts avec les contingences éducatives. Cette écoute extérieure leur permet de sortir d’une sorte d’acharnement à l’insertion. Les coordinateurs de parcours concourent à aider les personnes en situation de handicap à accoucher des idées qu’elles ne s’autorisent pas forcément à formuler, comme l’envie de voyages, de découvertes ou d’activités de loisirs. Leur travail est celui d’un ajusteur, d’un médiateur qui crée le dialogue, fait des suggestions, montre des possibles. Grâce à ce prisme, à cette nouvelle manière d’aborder le handicap, nous sortirons peut-être d’une vision où l’on remarque toujours les limites, jamais les capacités.

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