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« Il faut dépasser les mots et passer à l’action »

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La publication du Livre blanc du travail social en décembre 2023 n’a pour l’instant été suivie d’aucun effet. Mais l’ouvrage continue d’inspirer les professionnels, quitte à l’épingler. En témoigne cette tribune de Corinne Verdier, assistante sociale, cosignée par ses collègues.

Le wokisme pénètre-t-il aussi la sphère du travail social ? La féminisation de la profession est factuelle, pour autant, fallait-il écrire ce livre blanc au féminin ?

Sans doute est-ce le meilleur compromis face au diktat de l’écriture inclusive, illisible, interdite ou proscrite par les Sages, et relevant seulement d’un militantisme exacerbé.

La cause des femmes se joue ailleurs, en effet, sur les salaires et sur une meilleure articulation entre la vie professionnelle et la vie familiale.

Qu’elle ne fût pas notre surprise en découvrant que le Haut Conseil du travail social (HCTS) n’avait pas les moyens de comparaison avec d’autres pays… Quid de la politique européenne avec le SSIG (service social d’intérêt général) ou de l’incapacité à construire une Europe sociale ?

La crise d’attractivité du secteur social est en effet alarmante, mais elle est le fruit d’une décons­truction et d’une désorganisation systémique, en amont de la formation, en aval d’un amoindrissement des moyens.

La place du travail social, fondamentale dans la société, a commencé à perdre du champ quand le prisme de l’individualisation de la responsabilité a supplanté celui de la responsabilité collective des problématiques sociales. Revoir l’architecture des diplômes, création d’une discipline académique ? Rien de nouveau au pays de l’innovation !

Les outils numériques leviers puissants d’amélioration et de performance des services et conditions de travail ?

Comment est-il possible de développer le concept de « travail social vert » sans évoquer l’empreinte carbone du numérique ? Je vous renvoie à la lecture de l’excellent livre de Guillaume Pitron : L’Enfer numérique (éd. Les liens qui libèrent). La French Tech est-elle si dominante que même les écologistes sont muets sur cette réalité ?

Comment ne pas se pencher sur les effets délétères des écrans sur nos enfants… à en craindre la zombification des comportements humains ?

Une personne sur cinq est en difficulté avec le numérique. Depuis des années le défenseur des droits insiste sur l’impérieuse nécessité d’un droit à l’alternative, en maintenant des guichets et des versions papiers pour l’accès aux droits.

Dans les faits, le dire c’est bien, le faire c’est mieux !

Faire à la place des usagers (Aidants Connect), ce n’est pas l’ADN du travail social.

L’ère du numérique nous a amenés :

→ à échanger avec des algorithmes à la limite de l’absurde ;

→ à perdre de précieux interlocuteurs avec la multiplication des plateformes ;

→ à se résigner aux mails pour nos demandes avec un différé des réponses ;

→ à un RGPD (règlement général sur la protection des données) à la limite de l’excès de zèle.

Nous, générations X, nous avons connu :

→ le décloisonnement et la coopération entre les différents acteurs territoriaux ;

→ la liberté d’agir et de construire ;

→ un militantisme de la réflexion autour des enjeux éthiques et déontologiques des choix des politiques publiques ;

→ le théâtre forum, outil d’émancipation ;

→ une place légitime et légitimée partout ;

→ des informations riches et descendantes, de la documentation sans restriction ;

→ l’alternance des visions entre approche globale versus approches spécialisées.

Notre slogan dans nos actions : « Il n’y a pas d’urgence en travail social ».

Les états généraux ont été une source d’espérance, car la concertation et l’écoute ont été très importantes. Tout a été dit. Et qu’est-ce qui a été fait ?

De la culture du chiffre (logique gestionnaire calquée sur le modèle de l’entreprise) à l’appauvrissement de la pensée (les penseurs sont partis). La veille sociale n’a plus de place prépondérante…

Le travail social a été déshabillé de son essence, de sa substance…

Verticalité sans transversalité, le management moderne asservi aux injonctions paradoxales.

Avant « d’aller vers » (le Samu social l’a expérimenté dans les années 1990), il faut d’abord redonner confiance aux usagers.

Notre cœur de métier, l’évaluation, nous a été spoliée. L’instauration des barèmes, le nivelage vers le bas a exclu de nombreux usagers, notamment, et depuis longtemps, les travailleurs « pauvres ». Peu importe les besoins réels, ce qui prime c’est le barème.

La France est fracturée comme jamais. Je vous invite à lire Jérôme Fourquet : L’archipel Français ou La France sous nos yeux ou encore La France d’après (éd. Seuil).

La France de la classe moyenne reléguée dans la périphérie des villes, la France pauvre qui roule au gasoil et stigmatisée par la bien-pensance écologiste. Quels leviers pour le travail social, sur le logement, sur le pouvoir d’achat, sur la rénovation énergétique… sans moyens ?

Nous pouvons remercier François Hollande pour la reconnaissance de notre diplôme au niveau de la licence, après 35 ans de revendication ! Mais, car, oui, il y a un mais, notre grille indiciaire pour le passage en catégorie A était une grille B, mal déguisée. Il a fallu le Ségur, et encore des années après, pour connaître un début de valorisation !

Pour terminer ce propos, je citerais un auteur que j’affectionne particulièrement, Michel Autès : « La noblesse du travail social, c’est de rester sur les champs de bataille pendant que, non loin de là, on célèbre la victoire. » J’ai bien peur que demain, les champs de bataille ne soient désormais déserts. Et sans petite armée qui construit le lien social, nourrit le vivre ensemble, notre société sera amputée et plus que jamais communautarisée.

Il y a en effet urgence à agir, car la place et les moyens alloués au travail social ont été si dévalorisés, la perte de sens est si profonde, que les vocations qui animaient nos professions tendent à disparaître.

Désormais, il faut dépasser les mots et les diagnostics et passer à l’action concertée.

Signataires :

Corinne Verdier, assistante sociale, formation ITSRS Montrouge, 1987. Christian Foucher, assistant social ; formation ERSS d’Amiens, 1993. Katia Gaudin, assistante sociale, formation IUT Paris-V, 1997. Charlotte Seydoux, assistante sociale, formation ENS Paris, 1997. Béatrice Perucha, assistante sociale, formation EPSS Paris, 1995. François Béchut, assistant social, formation IRTS Paris 1996. Corinne Bouyer, assistante sociale, formation IRTS Poitiers, 1995. Ludivine Pianezzola, assistante sociale, formation IRTS Montrouge, 2013. Laurence Baranger, assistante sociale, formation ISSM Mulhouse, 1995. Julie Cariou, assistante sociale, formation IRTS Poitiers, 2007. Céline Kaczmarek, assistante sociale, formation IRTS Ban Saint-Martin, 1998. Céline Rouil, assistante sociale, formation IRTS Poitiers, 2003.

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