Après de nombreuses années comme serveur en salle dans un restaurant situé en ville, M. Henri a dû cesser son activité.
A 56 ans, il en a usé, des semelles, à piétiner toute la journée jusque tard le soir, à servir, à desservir, toujours avec le sourire et un mot gentil pour les clients. D’ailleurs, ils le lui rendaient bien, l’appelant par son prénom, adoptant le tutoiement de rigueur et, parfois, le pourboire bien mérité.
Mais voilà, les corps s’usent, et M. Henri se retrouve boitant, le pied à la traîne. Impossible de poursuivre son activité professionnelle : « Le seul boulot que je sais faire ! », me dit-il.
Il boite et souffre. Les revenus diminuent comme peau de chagrin, l’obligeant à demander le RSA : « Quelle honte, moi qui ai travaillé toute ma vie ! » Finalement, à la ville, impossible de joindre les deux bouts. Il emménage à la campagne, où s’ajoute à ses difficultés le manque de mobilité, M. Henri n’ayant pas son permis. Le loyer est moins cher mais les charges sont affolantes. Impossible, ici aussi, de joindre les deux bouts. Ce n’est peut-être pas le lieu qui est en cause, mais la faiblesse des minima sociaux.
Comment c’est calculé, déjà, un minimum social ? C’est un député ou un ministre qui a essayé de vivre avec 500 € mensuels et qui a réussi, sans découvert bancaire ? Ah non, pardon, ce sont quelques officiels qui s’offrent 610 € de frais de bouche par jour qui décident que moins de 600 € pour un mois sera largement suffisant pour les petites gens(1) ! Un autre truc que je ne comprends pas. Comment un minimum social peut être amputé de moitié selon qu’on soit en AAH-Aspa ou en ASS-RSA ? Cela veut-il dire que le deuxième cas de figure mange moins, se chauffe moins que le premier ? C’est écrit où, ça ? Y a-t-il des bouches plus délicates que d’autres ? La Dress indique que le barème des minimas sociaux « vise à encourager les allocataires à retrouver une autonomie financière par le biais de l’emploi » (solidarité.santé-gouv.fr, 2021). Allons-y gaiement ! Bonjour les castes d’un autre temps !
Affublé de sa RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) et d’un suivi aléatoire de France travail, M. Henri voit s’effilocher jour après jour les liens sociaux qui le retenaient à l’effervescence de la société. Ici, il ne connaît personne, et personne ne le connaît. Obligé de vivre petitement, l’isolement et la solitude s’unissent pour engloutir ses ultimes espoirs : « Voyez, ça, j’y tiens beaucoup. C’est un limonadier. C’était mon outil de travail quand j’étais heureux. »
(1) « Mettre les questions à la question. Travail de terrain et raisonnement sur les “sans-logis” », de P. Gaboriau, dans la revue Espaces et sociétés, éd. érès, 2004. bit.ly/3SGj4nq.