« Qui a dit : “La protection de l’enfance sera au cœur des cinq années qui viennent” ? C’est Emmanuel Macron. Et pratiquement deux ans après, que s’est-il passé ? Rien. Pire, la situation se dégrade de jour en jour. » Ce 5 décembre, les phrases de Marianne Maximi claquent et cinglent lors des questions au gouvernement au Palais-Bourbon. La députée du Puy-de-Dôme enchaîne : « Les mesures de placement ne sont plus mises en œuvre, des enfants en danger restent au domicile des parents alors que le juge ordonne leur protection. » Et de porter l’estocade : « Vous nous demandez d’attendre. Mais attendre quoi ? Attendre vos prochaines annonces absurdes, comme par exemple la réforme qui va faire les poches des enfants placés en diminuant leur pécule ? »
En bas de l’hémicycle, Charlotte Caubel, qui est alors encore pour quelques semaines secrétaire d’Etat chargée de l’enfance et des familles ne goûte guère les « scuds » de la députée insoumise. Et rétorque : « Nous, nous ne nous contentons pas d’invectives et d’insultes. »
« Elle dit que l’ai insultée, mais ce n’est pas vrai, commente quelques jours plus tard Marianne Maximi dans son bureau à l’Assemblée. Mon combat, c’est de faire de la protection de l’enfance une question politique. En général, à part Charlotte Caubel, qui trouve que je suis dogmatique et extrême, personne n’ose trop me contredire car je maîtrise les sujets. » Et, c’est vrai, dès que la protection de l’enfance est abordée à l’Assemblée, on a tendance à écouter l’une des rares élues avec un passé de travailleuse sociale et une connaissance expérientielle du secteur.
L’expérience d’une vie. Car le travail social, elle est tombée dedans toute petite. Ses parents se sont rencontrés alors qu’ils étaient tous les deux aides médico-psychologiques (AMP) dans un foyer pour personnes autistes. Elle grandit dans un environnement où « les familles et les résidents se mélangeaient encore ». Mais elle n’a alors pas du tout l’ambition de bosser dans le social : « Sans doute par opposition à l’image parentale. »
Avant de devenir insoumise, Marianne Maximi était déjà rebelle. Dans ses années de jeunesse, elle s’oppose beaucoup, et à tout. Pas très brillante à l’école (elle redouble deux fois) car « très en colère », elle aurait pu sortir du système, jusqu’à ce qu’un prof d’histoire la motive et lui redonne confiance.
A la surprise générale, elle décroche son bac et s’inscrit en fac… d’histoire. On ne va pas dire que ça démarre sur les chapeaux de roues : « La première année, c’était aussi celle du CPE [contrat première embauche, en 2006, ndlr]. J’ai passé plus de temps à occuper ma fac qu’à aller en cours. » Ces années étudiantes ont aussi été celles de l’apprentissage politique : elle milite pour les sans-papiers et les combats écolos. « L’engagement militant donne une ossature. »
Il lui fallait dénicher un métier assorti. Marianne le (re)découvre en devenant pionne dans un lycée pro : « Je me retrouvais dans l’accompagnement des personnes en difficulté. Il y avait une classe d’Ulis, une classe de FLE [français langue étrangère]. Une conseillère principale d’orientation spécialisée dans les élèves en difficulté et en précarité me faisait confiance. »
Toujours un peu fâchée avec l’école, l’étudiante en histoire n’a pas du tout envie d’enseigner. Alors elle tente l’institut régional du travail social (IRTS), « pour voir ». Hop ! Elle est reçue illico : « Et là, je suis devenue une très bonne élève. » Elle a vite trouvé sa spécialisation : « J’ai toujours su que je voulais devenir éduc. » Pour son dernier stage, elle passe presque un an au centre départemental de l’enfance, dans le service de visite médiatisée. Elle devient ainsi le tiers présent lorsque les enfants placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) reçoivent la visite de leurs parents. Ce qui n’est pas la fonction la plus facile quand on devient maman pendant la formation… « Mon petit avait 8 mois, et c’était l’âge des enfants que j’accompagnais. J’ai appris à mener un travail conséquent de mise à distance pour ne pas projeter. »
Ce long stage l’oriente aussi définitivement vers son domaine de prédilection : la parentalité. « Là, se situe le nœud du problème… Et c’est aussi là que l’on peut le dénouer. »
En 2017, elle intègre le centre parental comme référente de parcours. C’est le quotidien de l’internat avec des jeunes familles brisées : mineures avec leur bébé ( parfois la maman est déjà placée), violences conjugales, parents toxicos, migrantes enceintes à la suite de viols, parents déficients mentaux, cas psychiatriques… « Parfois, je rentrais complètement déprimée de mes conditions de travail et d’accueil, des perspectives qu’on pouvait donner à ces enfants. Nous ne pouvions plus répondre aux demandes. Alors qu’on est d’abord référent de parcours, on n’est pas là pour faire du gardiennage ! » Mais un peu beaucoup, quand même.
Un soir, Marianne se retrouve seule avec 47 parents et enfants, dont deux mères qui ont « dégoupillé ». L’une d’entre elles lui refile son bébé en disant : « J’en peux plus. » « Et là, tu te dis : “Moi non plus, j’peux pas.” Mais il faut. C’est intenable. Et on est responsable. » A l’issue de cette soirée, une grève sera déclenchée. Et l’équipe réussira à obtenir des postes supplémentaires pour pouvoir travailler en binôme.
Cette histoire, Marianne Maximi la raconte quelques années plus tard à des représentants du Gepso, de la Cnape et de l’Anmecs qu’elle reçoit dans son bureau à l’Assemblée. L’occasion d’évoquer les taux d’encadrement et les pénuries de personnel. Les échanges avec les représentants des associations durent une heure, sans temps mort. Chaque semaine, elle reçoit ainsi des acteurs du secteur : « Elle connaît bien son sujet, c’est toujours appréciable, commente Jeanne Cornaille, déléguée nationale du Gepso. Certes, on a prêché une convaincue. Mais nous nous sommes sentis soutenus. »
Ce jour-là, on parle du Ségur, de Parcoursup, des décrets de la loi « Taquet », de l’épuisement professionnel… Tous les sujets qui fâchent. Sauf que, là, tout le monde est d’accord sur le même constat : le secteur est au bord de l’effondrement.
Après un sandwich vite avalé au snack de l’Assemblée et quelques taffes le temps de traverser la rue de l’Université, Marianne Maximi retrouve la délégation parlementaire aux droits des enfants. Ce jour-là, elle est face aux syndicats enseignants et trouve vite l’occasion de ferrailler avec une collègue qui affirmait : « Faire une information préoccupante, c’est souvent sauver une enfant. » « Ben non, rétorque Marianne Maximi. J’aimerais que ce soit le cas. Que tout s’enchaîne par des mesures d’action éducative en milieu ouvert, des soutiens à la parentalité ou des placements. Mais ce n’est pas la réalité. Aujourd’hui, dans la plupart des départements de France, nous avons des enfants dont le juge a ordonné un placement et qui n’ont pas de place, qui ne sont pas protégés. »
La députée de Clermont-Ferrand est l’une des plus assidues de cette délégation. Elle a eu l’occasion d’y intervenir encore récemment, pour faire part de son émotion et de sa colère après le suicide d’une jeune fille placée dans un ex-hôtel, dans son département du Puy-de-Dôme. Elle a aussi été à l’origine d’une lettre signée par dix députés de gauche demandant le retrait d’un projet de décret mal fagoté sur la loi « Taquet » visant à interdire les hébergements hôteliers des enfants placés.
Car Marianne Maximi n’est pas seulement une combattante insoumise. Elle sait aussi rassembler, et pas exclusivement dans son camp. Elle a rédigé des dizaines d’amendements en agrégeant des soutiens dans tous les camps, excepté le RN. Bon, évidemment, ça n’a servi à rien, « comme le 49.3 arrive avant tout débat ».
Ah, si ! Un jour, elle a fait adopter un amendement en commission, et pas n’importe lequel : celui pour le maintien de la Ciivise.
Son attitude pragmatique pour faire avancer la cause ne cadre pas complètement avec la réputation des députés braillards et débraillés de LFI. La seule députée dont le prénom est aussi celui de la République est d’une élégance sobre, et ses propos sont ciselés. Avec, en prime, le sens de la punchline : « L’Etat donne des leçons de parentalité. Mais l’Etat est un très mauvais parent. Quand des familles demandent des mesures d’AED [aide éducative à domicile] en Seine-Saint-Denis et qu’il faut attendre dix-huit mois pour qu’un éduc soit disponible… Ce ne sont pas les parents qui sont responsables, c’est tout le système qui ne va pas ! »
A propos de parentalité, on a envie de lui demander au moment de la quitter où elle se situe par rapport au père fondateur de son parti et à sa turbulente progéniture : plutôt derrière Mélenchon ou derrière Ruffin ? « Derrière Maximi », répond-elle, à la fois sage et… insoumise, toujours.