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Abbé Pierre : un témoignage sonore reconstitué

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Il n’existait aucun enregistrement de l’une des interventions radiophoniques les plus célèbres du XXe siècle. Jusqu’à ce que…

Il est de ces messages passés sur les ondes qui font événement, dans le sens où tout le monde s’y réfère. Il en est ainsi du célèbre Appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle sur la BBC de Londres, ou bien de celui lancé par l’abbé Pierre à la Radio Luxembourg, le 1er février 1954. Sur le temps long, ils semblent avoir tellement marqué les esprits que tout un chacun croit se rappeler avoir entendu le : « Quoi qu’il arrive, la flamme de la Résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas », ainsi que le : « Mes amis, au secours ! Une femme vient de geler cette nuit à 3 heures sur le trottoir du boulevard Sébastopol. »

Dans les deux cas, la mémoire sonore, que l’on pense avoir, se double de l’image iconique en noir et blanc de ces deux visages, face à un micro sur pied. Sans le savoir, ils ont tous les deux forgé un style auquel ils seront dorénavant associés : la silhouette dégingandée en uniforme et képi de l’un, que les graffitis de mai 1968 schématiseront deux ans avant sa mort ; le béret de guingois et la pèlerine de l’autre, que le journal La Croix qualifiera dix ans après sa mort de « marque déposée ».

Quarante ans plus tard

A chaque date anniversaire, les médias affirment que l’écho de leurs paroles résonne encore aujourd’hui. Pourtant, ce rappel se heurte régulièrement au même problème, qui est de taille ! En effet, pour aucun de ces discours historiques il n’existe d’enregistrement fiable conservé dans les archives des deux radios qui, sur le moment, n’ont pu prendre la mesure de ce qui fera événement.

Ce serait faire œuvre d’anachronisme que de leur prêter la célébrité qu’ils connaîtront par la suite. De Gaulle, tout nouvellement nommé général, n’avait été que pour quelques semaines sous-secrétaire d’Etat à la Défense nationale et à la Guerre. L’abbé Pierre, de son vrai nom Henri Grouès, ancien vicaire du diocèse de Grenoble, mobilisé pendant la Seconde Guerre mondiale, avait obtenu la Croix de guerre pour ses faits de résistance. A la Libération, il avait fait un détour par la politique comme député MRP (Mouvement républicain populaire) de Meurthe-et-Moselle, jusqu’à sa démission en 1950. S’il avait déjà créé en 1949 le mouvement Emmaüs, ce dernier était encore loin de connaître le renom qu’il aura ensuite.

Faute de traces pour faire patrimoine, il a donc fallu réinventer l’archive. En 2023, une équipe de l’ Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique) a ainsi décidé de cloner l’appel du général avec l’aide de l’intelligence artificielle ; tandis que le 4 octobre 1993, donc presque quarante ans plus tard, l’abbé Pierre se prêta lui-même à la reconstitution en relisant à la radio, pour la postérité, sa déclaration de 1954. Cette fabrication de la preuve à postériori pose la limite pour l’historien de l’exercice biographique sur des personnages qui ont été panthéonisés. Dans le cas de l’abbé Pierre se rajoute la dimension religieuse, avec une relecture de sa trajectoire individuelle à travers le prisme de la Providence.

Inventer l’archive

Chaque anecdote sur son enfance et sa jeunesse, présentée sur le site de la fondation qui porte son nom, souligne ainsi à quel point il était prédestiné. Comment poser alors des questions légitimes pour un historien sans paraître iconoclaste ? Comment retracer la chronologie de son parcours de vie sans présupposer qu’elle tenait de l’évidence, et sans se laisser influencer par les propres souvenirs de l’intéressé qui, avec son grand sens de la communication, a toujours su savamment les distiller pour renforcer son image et, par là-même, sa cause ? Si l’on aimerait questionner les relations interfamiliales face à ce choix d’embrasser la vocation religieuse, ainsi que les multiples enjeux et sans doute tensions au sein de l’Eglise face à cet ecclésiastique doté d’une très forte personnalité et d’un grand esprit d’indépendance, il semble bien périlleux de le tenter à un moment de commémoration.

Tout juste pouvons-nous nous étonner du drôle de détournement environnemental qu’a pris récemment cet anniversaire. Si la raison sociale semble être toujours d’actualité, comme nous le rappellent les affiches dans le métro, avec les devises incisives de l’abbé, en revanche, la rigueur extrême de l’hiver 1954 devient aujourd’hui cas d’école, soulignant de façon inquiétante le réchauffement climatique que nous vivons.

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