Après une belle réunion pleine de nouvelles procédures plus cohérentes les unes que les autres, puis une permanence où ont défilé autant de bribes de vie et des problématiques aussi diverses que touchantes, après un brin de courses alimentaires et mon heure de route musique à fond dans les oreilles, les paroles de Janis Joplin à tue-tête, me voilà arrivée enfin chez moi. Inspiration. Expiration. Sourire. C’est bon de débaucher, de rentrer à la maison, de retrouver son cocon.
C’est quoi que j’entends dans le salon ? Hein ? Quoi ? Roh ! La voisine et son mari qui viennent se taper un p’tit apéro.
– Allez, un p’tit gin tonic, ma chérie ? claironne mon homme.
– Oui, pourquoi pas ? On fête quoi ?
– Rien… La vie.
Oui, c’est bien aussi de fêter la vie. Bon, très vite, la conversation tourne autour des plaintes des voisins, qui ne voient plus le bout du tunnel. J’ai oublié d’enlever « ASS » sur mon front. La voisine m’explique qu’elle a deux garçons et que deux ados au lycée, c’est pas donné. Jamais de la vie elle ne pourrait leur payer leurs Nike, même sous la torture. Deux et deux font quatre. Et là, les calculs à la fin du mois, c’est pas joli-joli. Même le contrôle technique de la voiture familiale est source d’angoisse parce qu’au niveau pollution, c’est pas ça. Elle ne comprend même pas pourquoi elle n’a pas eu l’allocation de rentrée scolaire. Et puis les allocations familiales, elles sont passées où ? On ne va quand même pas lui faire croire que leurs salaires d’ouvriers d’usine dépassent le plafond !
Inspire. Expire. Respire. Je ne peux quand même pas me taire. C’est comme un docteur qui verrait un homme à terre, et qui ferait les gestes de premiers secours ! Déformation professionnelle ou pas, je fais mes gestes de premiers secours à moi. Je balance mes infos sur ses droits. Entre deux « tchins » et trois cacahuètes, je récupère l’aide-mémoire des ASH, fais un rapide calcul et je lance le pari qu’elle touchera le jackpot avant la fin de l’année ! Meredith Grey, Mme Irma, la fée Clochette, je ne sais plus qui je suis. Je crois qu’on est plusieurs, à ce stade. N’empêche que, deux mois plus tard, la voisine me téléphone :
– T’avais raison ! Après mes démarches auprès de la caisse, ils nous ont reversé le rappel d’un an d’alloc ! Du coup, on a pu réparer la voiture avant le contrôle technique et je crois qu’on va craquer pour les Nike à l’anniversaire des garçons…
On dit toujours qu’on n’a aucune reconnaissance, mais moi je dis qu’on pourrait commencer par nous-mêmes. Rah ! J’ai mes petites ailes pailletées qui frémissent d’allégresse.