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Falmarès, la vie en vers

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Falmarès, la vie en vers

Teintés des couleurs de l’exil, de l’enfance et de l’espoir, les poèmes de Falmarès rencontrent un vif succès. Arrivé en France en 2017, le jeune Guinéen publie son cinquième recueil, « Catalogue d’un exilé », au sein de la prestigieuse maison d’édition Flammarion. Nous l’avons retrouvé à Nantes, où il vit, entre l’écriture d’un poème et une rencontre littéraire.

Il date du matin même. Un poème intitulé Lettre à ma mère. Trois pages de vers fraîchement lancées sur les réseaux sociaux, comme un puissant cri d’amour. « … Je ne suis rien sans la douceur de ton regard/ Je ne suis rien sans les éclats de ton sourire. […] Mère, Je suis désorienté sans les belles métaphores/ Je ne dors pas sous l’hivernage occidental… » Au détour d’une question, pour donner vie à ses propos, Falmarès s’est arrêté pour fouiller dans son portable et nous montrer son tout dernier texte, empreint de manque et de nostalgie. « Je l’ai écrit car c’est mon anniversaire aujourd’hui. Je viens d’avoir 22 ans », nous éclaire le jeune homme.

Mais les occasions n’ont pas besoin d’être si symboliques pour que le poète prenne la plume. De Nantes à Paris, en passant par Berck, Châlons ou Lorient. Dans le bus, le TGV, sur les bords de Loire, au CDI ou à la médiathèque. Chaque ville, chaque lieu qu’il traverse peut voir naître l’un de ses poèmes. Le jeune homme, qui définit la poésie comme son « centre de gravité », publie presque un recueil par an depuis 2018. Prolifique ? « Peut-être… On peut dire ça », lâche-t-il dans un rire communicatif. « J’ai ce besoin de mettre beaucoup de choses sur le papier et de partager ce que je ressens. »

Publié fin 2023, son dernier recueil, Catalogue d’un exilé (éd. Flammarion), retrace, tantôt sans détour, tantôt en métaphores, son parcours de migration. « Il s’agit d’une histoire personnelle qui se confond avec l’histoire collective, celle de nombreux jeunes qui quittent aujourd’hui l’Afrique pour l’Europe ou les Etats-Unis. A travers mes textes, je souhaite montrer que l’exil est une ouverture. Et l’ouverture, une forme d’humanité. La personne qui vient d’ailleurs accepte de perdre un peu de soi pour prendre un peu chez l’autre. Ce n’est pas toujours facile quand on vient d’une autre culture, cela demande beaucoup d’efforts. »

Panser les blessures

Avant de devenir Falmarès « réfugié poétique », Mohamed Bangoura a grandi à Conakry, en Guinée. A la mort de sa mère, à 14 ans, il quitte son pays pour traverser le Mali, puis travailler sur des chantiers en Algérie. Comme beaucoup, son parcours migratoire le fait passer par la Lybie. Une période non sans séquelles, qu’il compare aujourd’hui à « une nuit ténébreuse à l’assaut de [s]on peuple ». L’adolescent finit par franchir la Méditerranée et arrive à Catane, en Sicile. C’est là qu’il trouve refuge dans l’écriture. « J’écrivais des textes d’une demi-page pour pouvoir me relire le soir. Ça m’aidait à m’endormir, retrace-t-il. Tous les souvenirs du voyage, les traumatismes, les violences… Je me posais trop de questions qui m’empêchaient de trouver le sommeil. Quand on est très jeune, on est aussi naïf. Certains événements dépassent notre compréhension et sont difficiles à surmonter. »

Une fois en France, ce besoin vital de coucher son vécu sur papier ne l’a jamais quitté. Hébergé à l’hôtel ou en famille d’accueil, après avoir été orienté vers Nantes, il investit les médiathèques alentour pour écrire, mais aussi pour se plonger dans les mots de Césaire, Hugo ou Rimbaud. « J’ai appris la Poésie/ Comme on apprend à naître/ Comme un enfant sort du ventre/ De sa mère en grande merveille », écrira-t-il ensuite. Educatrice au sein de l’établissement Saint-Jean-Baptiste-Scalabrini des Apprentis d’Auteuil, où il a été accompagné pendant trois ans, Caroline Mercier a le souvenir d’un jeune avide de connaissances. « C’était déjà sa passion, on le sentait. Il était très érudit pour son jeune âge et aimait parler de ses auteurs préférés. Une fois, alors qu’il participait à un pèlerinage à Lourdes, il a passé tout le trajet en bus à écrire un poème qu’il nous a ensuite partagé. C’était sa façon de relire sa vie et ses expériences. » La professionnelle sourit également en repensant au jour où elle l’a aidé à déménager de son appartement pour un foyer de jeunes travailleurs. « Il y avait énormément de livres chez lui, c’était assez impressionnant. C’est ce qui prenait le plus de place proportionnellement aux vêtements et au reste de ses affaires. » Le travail de l’équipe a alors consisté, sans le brider, à ne pas le laisser s’isoler. « Nous n’avons pas hésité à insister pour qu’il participe aux activités afin qu’il se socialise et ne reste pas seul dans sa chambre. Sinon, je pense qu’il aurait pu ne faire que ça : écrire et lire. »

Engouement médiatique

A la passion du jeune Guinéen se mêlent des rencontres déterminantes. Ses longues heures passées dans les médiathèques de Nantes lui permettent de croiser le chemin de Michel L’Hostis, poète à la tête de la revue littéraire Le Pot à mots, qui, séduit par ses vers, publie ses premiers textes. Quelque temps plus tard, Joëlle et Armel Mandart, un couple d’éditeurs, le prennent sous leur aile et éditent le recueil Soulagements (éd. Les Mandarines, 2018).

Derrière un tempérament réservé, le principal intéressé a aussi su faire preuve d’audace et d’humour durant son parcours. Comme lorsque l’ASE (aide sociale à l’enfance) lui annonce qu’il faut attendre sa majorité avant la parution de ses textes : « J’ai discuté longuement avec mon interlocutrice au téléphone. Puis je lui ai dit : “Imaginez si Blaise Pascal avait dû attendre lorsqu’il a inventé la calculatrice à l’âge de 16 ans. Combien de temps il nous faudrait aujourd’hui pour réaliser des calculs ?” Dans les jours qui ont suivi, mon contrat était signé, explique-t-il dans un éclat de rire. Evidemment, c’est inquiétant pour les services sociaux de ne pas tout contrôler quand un livre sort. Mais j’ai essayé de rassurer. Ce n’est pas parce qu’on est jeune que c’est impossible. Les exemples ne manquent pas : Cecile Coulon, Arthur Rimbaud… »

Très vite, la poésie de Falmarès est reconnue et bénéficie d’une forte attention médiatique. Un coup de projecteur qui ne l’empêche pas de recevoir une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le couperet tombe à quelques semaines du bac, alors qu’il effectue une alternance dans une grande entreprise nantaise. Son parcours est pourtant exemplaire. La mobilisation du monde associatif et culturel lui permet d’obtenir un sursis de la préfecture et, finalement, de régulariser sa situation avec un titre de séjour valable jusqu’en 2026. « Heureusement que j’écrivais, confie Falmarès en revenant sur cet événement douloureux. Beaucoup de jeunes dans des situations d’intégration parfaites n’ont pas la même chance. » Dernièrement, la publication de Catalogue d’un exilé a ravivé l’engouement dont il fait l’objet. Lorsqu’il ne remplit pas de mission d’intérim dans le secteur de la logistique, le Nantais jongle entre les interviews, les séances de dédicaces et les rencontres littéraires. « Je suis ému par l’intérêt que portent les gens à ce que j’écris. C’est une joie et une émulation très grande », dit-il simplement. Un carburant précieux pour ses projets à venir, parmi lesquels un roman en vers libres.

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