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Appréhender la violence du public

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Les professionnels sont de plus en plus souvent confrontés à la violence des personnes qu’ils accompagnent. Faute d’être prise en compte au sein des formations initiales, la sensibilisation à la problématique débute durant la carrière.

« Nous n’y sommes pas préparés », « C’est un sujet tabou », « Nous en parlons très peu », « On ne souligne que la maltraitance envers les usagers » … Qu’elles soient physiques, verbales ou psychologiques, les violences que subissent les professionnels des secteurs social et médico-social sont monnaie courante. Parmi les victimes de violences physiques enregistrées, 3 % sont des travailleurs sociaux (chiffres 2022, ministère de l’Intérieur). Peu signalées mais reconnues comme « bien présentes » dans le milieu médico-social par l’Observatoire national des violences en milieu de santé en 2022, elles surviennent majoritairement dans les services psychiatriques et en Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Fréquentes également dans le secteur de la protection de l’enfance, le phénomène est aggravé par la pénurie de personnel et l’augmentation des cas complexes auxquels sont confrontés les professionnels.

Pour autant, elles passent sous silence au sein des modules de formation en travail social et ne sont pas toujours assumées par les acteurs qui les subissent. Un manque de prise en compte coûteux pour de nombreux services dans lesquels, faute d’outils pour faire face aux agressions et aux injures, l’usure, les arrêts de travail, voire les démissions, se cumulent engendrant une instabilité au sein des équipes dont le public accompagné paie aussi les frais.

Prévenir, anticiper et gérer

Face à cette situation, depuis une dizaine d’années, des structures permettent à leurs employés de bénéficier de formations dédiées à la gestion de conflits. « Nous en avions fait la demande auprès de notre direction car nous ne savions plus comment gérer. Les accidents de travail se multipliaient, explique Helen Desjardins, monitrice éducatrice au sein de la Mecs (maison d’enfants à caractère social) Les Marronniers de l’association de Thiétreville à Fécamp (Seine-Maritime). Il y avait régulièrement des bagarres entre enfants et des actes d’une extrême violence envers le personnel. Nous prenions des coups de pied ou de poing et la peur s’était installée dans l’équipe éducative car on dénombrait beaucoup de blessés. Nous avions besoin d’aide pour nous protéger et protéger les mineurs dont nous avions la charge. »

Après avoir exercé le métier d’éducatrice spécialisée pendant plus de quinze ans avant de devenir formatrice et d’ouvrir son centre d’enseignement, Label’Formation, en Seine-Maritime, Anne-Laure Sabata connaît bien les enjeux relatifs à la lutte contre les violences. « Prévenir, anticiper et gérer, sont les trois forces que j’enseigne, annonce-t-elle. L’idéal étant de rester dans l’“avant-crise”. » Pour cela, la formatrice sensibilise au repérage des indicateurs de montée de la violence. Son module fournit les mots et les postures à éviter ainsi que ceux qu’il convient de favoriser. Dire « Calme-toi ! » à quelqu’un de stressé est, par exemple, inefficace. Rassurer et reconnaître l’anxiété de l’autre sont des moyens pour parvenir à une issue positive. Les professionnels apprennent à se protéger, afin d’être à même de sécuriser aussi, si la crise survient, la personne accompagnée et son environnement. « La question de “l’après-crise” reste également fondamentale. Comment revenir travailler le lendemain ? Comment réengager le lien avec celui ou celle qui a manifesté sa souffrance et ses besoins par de l’agressivité ? », poursuit Anne-Laure Sabata. D’une durée globale de trois jours, la pédagogie proposée se veut ludique, en partant d’expériences réelles pour lesquelles apports théoriques et pratiques s’entremêlent.

Sept ans après avoir participé à une formation pratique, le tableau s’est éclairci à la Mecs Les Marronniers. « Nous abordons les crises différemment. Le stress est tout autre. L’angoisse de recevoir des coups a disparu car nous savons désormais les esquiver et contenir les enfants sans force ni douleur », détaille Helen Desjardins. « Mes collègues et moi, nous nous sentons plus rassurés sur nos capacités à intervenir, cela permet de rester solides », indique, pour sa part, Sophie Charles, éducatrice socio-sportive d’une structure privée située en Ille-et-Vilaine, après deux formations effectuées en 2018 et 2023.

Accompagner les émotions

La prise de recul constitue un autre objectif pédagogique. « Ils réfléchissent sur leurs erreurs et sur la manière dont ils peuvent agir autrement car ils prennent conscience que le manque de supports peut les mener à la violence, pointe Anne-Laure Sabata. Atteindre leurs limites est un aspect que les professionnels regrettent toujours. » Des propos confirmés par Helen Desjardins : « Décortiquer les phrases prononcées dans des moments de tension engendre une prise de distance, et l’analyse de nos interactions spontanées se révèle cruciale pour comprendre nos ressentis et ceux de l’autre. » En effet, la part émotionnelle joue un rôle important chez les professionnels. Contrairement aux méthodes enseignées par le passé, où l’injonction à la bonne distance constituait une règle élémentaire, la verbalisation et la sincérité dans la relation font leurs preuves. « Toute émotion qui n’est pas exprimée risque de s’imprimer », avertit Anne-Laure Sabata qui, après avoir étudié les neurosciences, choisit la métaphore comme moyen de transmission : « Considérons que, source de nos réflexes, notre cerveau se situe à la cave d’une maison, l’émotion se trouve au rez-de-chaussée et le raisonnement, au premier étage. Il n’est pas possible d’atteindre la raison sans reconnaître son émotion », affirme-t-elle. Autant de ressources essentielles pour gérer les moments de conflits et éviter qu’ils se reproduisent.

Impliquer l’ensemble de l’équipe

« En formation, j’ai appris à revenir sur l’événement “à chaud”, puis “à froid”, confie Sophie Charles. Ces temps permettent de comprendre l’escalade de la violence en revisitant les éléments déclencheurs. Souvent, des problèmes plus profonds en ressortent. Le débriefing avec les collègues permet de mieux anticiper et de mieux réagir pour tirer du positif dans l’accompagnement. » Des réflexions communes loin d’être généralisées au sein des structures. Tout comme l’intérêt, plébiscité par les acteurs, de former l’ensemble des membres d’une équipe. « C’est essentiel pour ne pas alimenter les crises. Si nous appliquons des techniques inconnues de nos collègues, c’est contreproductif et cela peut créer l’effet inverse de ce qui est attendu », abonde Morgane Tretola Laurent, éducatrice spécialisée en foyer d’urgence pour mineurs dans le département des Bouches-du-Rhône, qui a participé à deux formations.

Sans outils ni conseils, Sylvie(1), assistante de service social pour la métropole lyonnaise, n’a pas pu éviter un incident violent. Lors d’un rendez-vous pour l’ouverture de droits, un usager s’est saisi de son ordinateur et le lui a jeté au visage. Trois mois d’arrêt maladie et un long moment sans pouvoir exercer au domicile des bénéficiaires s’en sont suivis. « J’ai vraiment regretté de ne pas avoir été formée », avoue celle qui a dû insister longtemps auprès de sa direction avant de l’être en 2022. « Depuis, je repère les signes de malaise avec le public. Il peut s’agir de poser des questions simples, sur le sommeil par exemple, vérifier que la personne nous regarde dans les yeux ou qu’elle est en état de se concentrer. Cela permet de s’adapter, de tenir compte de son environnement matériel et de mieux répondre aux besoins. Parler à voix basse, oser la proximité physique et recréer de la confiance chez l’autre par une posture d’assurance constituent des ressources qui permettent de déjouer la violence », soutient la professionnelle. Adaptées à l’ensemble des métiers de l’accompagnement de l’humain, ces modules gagnent donc à se généraliser, faute d’être imposés dans les formations initiales. Avec des moments de rappels, tout au long des carrières. « Comme les gestes de premier secours qui ne sont pas utilisés quotidiennement », conclut Morgane Tretola Laurent.

Se protéger plus que se défendre

La méthode E.R.I.C.

Une astuce en quatre étapes pour résoudre des désaccords verbaux.

→ Ecouter.

→ Reformuler.

→ Interroger.

→ Confirmer.

Les conseils d’Anne-Laure Sabata, formatrice

→ Effectuer une contenance : se placer derrière la personne, l’envelopper, se mettre dos au mur puis se laisser glisser au sol. Les visages sont proches et la bouche située près de l’oreille de l’usager permet d’avoir des mots rassurants, en pointant l’émotion avec un timbre de voix bas. Objectif : synchroniser la personne aidante à la personne aidée.

→ La contenance physique reste l’ultime recours.

→ Reconnaître le stress de l’usager et le rassurer.

→ Tenir une posture de biais (de 3/4) par rapport au corps de l’autre.

→ Pas besoin de force ni de subir la douleur.

→ Utiliser la souplesse du corps humain.

→ Aller sur l’émotion et ne pas tenter de raisonner immédiatement.

Pour contacter Anne-Laure Sabata : contact@labelformation76.fr.

Paroles de pros

« Les professionnels réfléchissent sur leurs erreurs et sur la manière dont ils peuvent agir autrement car ils prennent conscience que le manque de supports peut les mener à la violence. »

Anne-Laure Sabata, formatrice

Notes

(1) Le prénom a été modifié.

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