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La prescription est un rempart contre l’arbitraire des poursuites

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Je conçois qu’il existe un régime spécifique de prescription de l’action publique en matière de crimes sexuels sur mineurs. Chacun sait le poids du silence, du refoulement, de la sidération, et des traumatismes que de tels actes sont susceptibles d’engendrer. Il faut du temps pour réaliser le mal qui a été fait, poser les mots et saisir la justice. Mais tout ceci a déjà été pris en considération : les délais de prescription de l’action publique ont été régulièrement allongés jusqu’à permettre à la victime de déposer plainte plus de quatre décennies après les violences sexuelles subies. Désormais, un adulte peut saisir la justice jusqu’à ses 48 ans. Enclencher l’action publique plus tard n’aurait aucun sens, notamment parce que la preuve n’est pas éternelle. Tous les faits dénoncés aujourd’hui sont prescrits parce que l’ancien régime s’applique, selon la règle de non-rétroactivité de la loi pénale. Dans le système juridique actuel, Vanessa Springora, autrice du Consentement (éd. Grasset), aurait pu déposer plainte puisqu’elle avait moins de 48 ans au moment de la révélation des faits.

Le temps judiciaire n’est pas le temps de la réparation

Par ailleurs, le procès n’a pas en soi de vertu cathartique et son dessein n’est pas de réparer psychologiquement la victime. La justice doit d’abord se concentrer sur la question de savoir si un homme est coupable ou non des faits qui lui sont reprochés et, le cas échéant, décider de la peine la plus juste à son encontre. Or, 80 ans après les faits dénoncés, le dépérissement des preuves est incontestable et on ne peut, sans risquer de sombrer dans l’arbitraire, fabriquer une déclaration de culpabilité. Comment se défendre d’une accusation quand les témoins ont disparu, quand il ne reste rien de la scène de crime évoquée ? Même si le procès peut, parfois, aider à la réparation de la victime, ça n’est pas son but. Il peut d’ailleurs, au contraire, la replonger dans le mal qui lui a été fait de façon extrêmement violente. Le temps judiciaire n’est pas le temps de la réparation. Beaucoup de parties civiles souffrent de devoir se confronter à nouveau des années plus tard à la violence subie.

Et puis, l’imprescriptibilité risque d’enfermer la victime dans une identité victimaire qui ne participe pas à sa réparation : se définir par le mal que l’autre vous a fait perpétue le lien entre victime et auteur. Plutôt que de concentrer les débats sur la prescription, des moyens doivent être donnés à la justice pour mieux accueillir et écouter les victimes, pour mieux former les enquêteurs. Par exemple, j’ai pu constater à quel point les ateliers de justice restaurative pouvaient être constructifs, tant pour le condamné que pour la victime. La confrontation judiciaire entre la victime et son bourreau recèle trop d’enjeux. Dans un procès, les aveux et les regrets de l’accusé sont rarement considérés par la partie civile, qui y voit une absence de sincérité ou une stratégie de défense pour éviter une condamnation trop lourde.

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