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« Aller vers », mais jusqu’où ?

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Certains concepts à la mode ont parfois une origine lointaine. C’est le cas de l’« aller vers », approche initiée au début du XXe siècle par l’Ecole des surintendantes d’usine.

Lorsqu’on se réfère aux nombreux articles et pages web traitant de l’« aller vers », il semble que cette démarche qui consiste à aller à la rencontre des populations les plus en précarité pour établir un lien forme le cœur des métiers de l’intervention sociale, devenue presque une injonction.

Mais bien avant qu’une telle pratique figure à l’ordre du jour de tous les cursus, l’Ecole des surintendantes d’usine (qui deviendra l’Ecole supérieure du travail social) avait inventé une formule originale pour que ses élèves l’expérimentent en direct et de façon radicale.

En 1917, la première formation dispensée au sein de l’école fut celle des surintendantes d’usine, dont la mission était de faire le « trait d’union entre patrons et ouvrières » et de veiller à ce que ces dernières aient des conditions de travail leur permettant de tenir parallèlement leur rôle de femme au foyer et de mère de famille. Les photos retrouvées dans les dossiers des premières générations d’élèves témoignent de leurs origines sociales. Le décor des studios, les postures et les tenues (bijoux, fourrures, chapeaux…) montrent qu’il s’agit de femmes de la bonne bourgeoisie.

Entre patrons et ouvrières

Si les informations biographiques viennent en partie confirmer cette appartenance sociale par la profession du père (médecin, banquier, industriel…), la place de la mère (présentée comme femme au foyer sans profession) et les études effectuées par les candidates (école privée, lycée, voire université) nuancent les représentations. Bourgeoises, certes, mais ni oisives ni femmes d’œuvres. Toutes ont exercé un métier : secrétaire dactylo, garde-malade, professeure de gymnastique rythmique, directrice de garderie… La Première Guerre mondiale a représenté également une expérience décisive, lors de laquelle certaines se sont engagées comme infirmières bénévoles, pour en faire finalement leur profession. D’autres ont été mariées, ont parfois eu des enfants. Pour beaucoup, leur position sociale s’est trouvée fragilisée du fait d’un décès (du père, du mari) ou d’un divorce. Derrière la notion d’engagement, s’est alors profilée la nécessité de gagner sa vie.

Or l’une des originalités de la formation dispensée au sein de l’Ecole des surintendantes a été l’obligation de passer par un stage en usine. Il ne s’agissait pas de commencer par une expérience dans le service social d’une usine afin de s’initier à leur future profession, mais de se familiariser avec la condition spécifique du travail féminin dans ce type d’environnement, en se faisant embaucher comme simple ouvrière pour une durée de quelques semaines. L’incognito était la règle auprès de leurs compagnes d’atelier comme de leur employeur, qui devaient ignorer leurs origines sociales et l’objectif véritable de cette mission d’infiltration.

De la pénibilité…

Dans les rapports qu’elles devaient fournir à l’issue de ce stage, elles ont évoqué le choc culturel subi et raconté les quiproquos parfois cocasses qu’elles provoquaient. Ces jeunes femmes ignorantes de la réalité du travail manuel se sont confrontées à la pénibilité, à la répétition et parfois la dangerosité des tâches, à la fatigue et aux douleurs musculaires, à l’ennui, à la rumeur assourdissante des ateliers et à l’astreinte de l’horloge pointeuse. Elles ont découvert avec stupeur les difficultés et l’encombrement des transports en commun pour se rendre sur leur lieu de travail, l’environnement peu amène des usines, surtout quand elles arrivaient trop tôt ou trop tard.

… à la solidarité

Souvent en difficulté, maladroites, voire empotées dans l’exécution des consignes de la contremaître de l’atelier, elles ont bénéficié de la solidarité et de l’entraide de leurs compagnes ouvrières du moment – elles qui pensaient venir les aider ! Cette expérience fondatrice sera finalement abandonnée dans les années 1980, les élèves ne trouvant plus à s’engager dans le nouveau contexte de chômage massif… Dans un premier temps, la directrice de l’école pensa leur faire réaliser un stage de chômeuse. Mais celles-ci devenant trop nombreuses à se retrouver dans cette situation, elle finit par y renoncer.

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