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Pour des queues de cerises

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Orlando, la cinquantaine, teint mat et barbe épaisse, vient me voir pendant ma perm’ sans rendez-vous. Ce que j’aime bien, pendant cette perm’, c’est que les gens débarquent librement : pas besoin de téléphoner pour demander un entretien, ni de raconter brièvement son histoire… On n’est même pas obligé de décliner son identité. La liberté, quoi ! Quelquefois, il y a tellement de monde que ça se transforme en Isic(1). Les gens font l’animation, se donnent des conseils… C’est vraiment cool, ce joyeux bordel.

L’autre jour, Mme Laccueil a fait passer tout le monde avant elle, tellement elle était bien à discuter ! Bon, parfois aussi, l’attente est longue, mais c’est le prix de l’accueil inconditionnel. Et puis j’aime ne pas savoir qui je vais voir, pourquoi, comment… Mais là, tout de suite, je reçois Orlando, souriant, la voix rauque. Et je me dis que c’est vraiment un chouette type, vu dans quelle galère il se trouve :

« Il faut que je déclare mes ventes à la caisse. Je suis ferrailleur. Mais l’informatique, c’est pas mon truc… Non, personne ne peut m’aider… J’ai pas envie de montrer à tout le monde mes revenus, ou du moins que j’en n’ai pas. Parce que le taf, c’est pas ça en ce moment. »

Nous téléphonons rapidement à la plateforme dédiée, où l’interlocuteur nous indique comment bien déclarer en ligne. C’est à se demander si les agents des plateformes ont des oreilles. Finalement, nous envoyons un mail demandant un formulaire papier.

La semaine suivante, nous recevons une réponse menaçant Orlando de poursuites, dans la mesure où il n’a déclaré aucune vente alors qu’il atteste travailler à son compte. C’est à se demander si les agents des plateformes ont des oreilles et des yeux.

Dans le même temps, la caisse suspend tout versement – AF et RSA(2) – en attente de contrôle. Bien sûr, comme la caisse manque de personnel, la vérification met du temps à se mettre en place. Bref, en voulant être honnête, Orlando se prend des coups de bâton sur les doigts, alors qu’il gagne des queues de cerises !

Incroyable comment le numérique a phagocyté l’être humain. C’est-à-dire qu’on ne peut même plus ordonner à la machine de bien vouloir envoyer à l’imprimante le fameux formulaire papier – graal de tous les graals ! – qu’un agent, avec discernement, pliera dans une enveloppe sur laquelle il tracera l’adresse avec un simple Bic et qu’il glissera dans la boîte aux lettres, avec le sentiment d’avoir fait une bonne action. Enlever une épine du pied à Orlando, par exemple.

Notes

(1) Intervention sociale d’intérêt collectif.

(2) Allocations familiales et revenu de solidarité active.

Pinki Blenders

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