Et si, au lieu d’exporter nos valeurs vers des contrées qui n’en veulent pas toujours, nous importions quelques-unes de leurs pratiques les plus inspirantes ? Allons faire un tour autour du lac Tchad, chez les Kotoko, une des plus vieilles civilisations d’Afrique centrale. Dans cette ethnie, une coutume veut que tous les problèmes se règlent au boukoh, une case à palabres située au centre des villages. Quand il y a un conflit, qu’il soit interpersonnel ou matériel, les deux parties s’y retrouvent et discutent jusqu’à trouver un accord. Et on ne laisse personne sortir du boukoh avant la fin des négos ! Même si ça dure plusieurs jours…
Cette coutume d’un pays pourtant toujours au bord de la guerre civile, miné par les vendettas, les tensions interethniques, les conflits entre éleveurs et agriculteurs, submergé par un afflux de réfugiés soudanais à l’est et harcelé par Boko Haram au sud, devrait nous inspirer. Car ce même pays vient de voir l’irréductible opposant du pouvoir devenir Premier ministre d’un président autrefois honni. Tout est possible quand on sait se parler.
Oui, on aurait bien envie d’adapter cette technique tchadienne sous nos latitudes, par exemple, auprès de quelques personnes qui cotisent à Axess ou à la CGT. Cela fait en effet maintenant près de deux ans qu’une nouvelle convention collective étendue (CCUE) a été programmée à l’issue de la conférence des métiers réunie par le Premier ministre de l’époque, Jean Castex. Et ça fait maintenant près de six mois que les négos sont au point mort, après que la majorité des syndicats salariés a rejeté les propositions du syndicat employeur.
Depuis septembre, les deux parties, sûres de leur bon droit, s’enferment dans des postures psychorigides. Le blocage de ces négociations est en passe de devenir un cas d’école où les arguments les plus pertinents sont dévalorisés par la mauvaise foi de ceux qui les profèrent.
Pourtant, ni les représentants patronaux ni ceux des salariés ne peuvent atteindre le niveau de cynisme d’un gouvernement qui attend, pépère, que l’accord soit signé avant de consentir à accorder une enveloppe pour revaloriser les bas salaires (pléonasme dans le secteur). Bref, non seulement les deux équipes se renvoient la balle, mais, en plus, l’arbitre dégage en touche.
L’augmentation des salaires est la priorité number one des recos du Livre blanc du travail social. C’est le préalable indispensable pour relancer la machine de l’attractivité. Sans ce minimum vital, les autres recommandations du livre – dont nous imaginons dans notre enquête (page 30) qu’elles seront appliquées d’ici dix ans – n’auront guère d’impact. Hélas, tandis que des surdiplômés au Smic craignent de connaître le destin des personnes qu’elles accompagnent, les trois acteurs du secteur (le patronat, les syndicats de salariés et l’Etat) s’enferment dans un jeu de rôle désastreux.
On aimerait donc les enfermer dans une case jusqu’à ce qu’ils trouvent une solution. Ou, à défaut de boukoh, nommer un médiateur qui, de petits pas en petits pas, les amènera jusqu’à l’accord. Car le pire, c’est qu’à écouter les arguments des uns et des autres, on peut aisément comprendre leurs positions respectives…
Retournons donc en Afrique centrale méditer ce proverbe peul popularisé par le conteur camerounais Saïdou Abatcha : « Si tu parles à quelqu’un et qu’il ne t’écoute pas, tais-toi. Ecoute-le ! Peut-être, en l’écoutant, tu sauras pourquoi, lui, il ne t’écoutait pas. »